Quel futur émerge dans la ZAD
Six mois après les expulsions de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, la zone est toujours occupée, malgré l’abandon du projet d’aéroport. Une partie des habitants revendique en effet le droit à expérimenter d’autres manières d’habiter. Leur combat, à la croisée d’enjeux administratifs, écologiques et politiques, tente de redéfinir le rapport entre urbanité et ruralité, dans l’optique de vivre dans un territoire sans l’abîmer.
Le 6 avril, trois jours avant la première opération d’expulsion de la ZAD, une centaine d’architectes, d’urbanistes et de chercheurs signaient une tribune dans les colonnes du blog de Médiapart. Celle-ci appelle à défendre « d’autres manières d’habiter » et voit dans la ZAD une expérimentation nécessaire pour faire face aux enjeux de demain. Une pétition accompagne la tribune afin de faire pression sur le gouvernement : elle reçoit rapidement 60.000 signatures. Au-delà de ses retombées réelles et de l’effervescence médiatique autour de l’expulsion de la ZAD, le ralliement de professionnels de la ville au mouvement de la ZAD peut interroger. Qu’est ce qui se joue exactement dans ce bocage nantais ? Quel habitat s’y invente ? S’agit-il de ville ou de campagne (et cette dichotomie est-elle d’ailleurs toujours pertinente) ?
Redéfinir la ville
Signataire de la tribune, architecte et professeur, Christophe Laurens est auteur de Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre réalisé avec les étudiants du master Alternatives Urbaines (DSAA) à Vitry-sur-Seine. Publié le 20 octobre, le livre est un témoignage sur les modes d’habiter de la ZAD, composé de photos de Cyrille Weiner et de relevés des cabanes et des constructions. Grâce aux plans et aux croquis, le livre met en lumière l’agilité des constructions, qui n’existent pas pour elles-mêmes mais dans un écosystème de relations.
« Ce qui est très intéressant pour moi dans la ZAD, c’est qu’elle défait complètement cette opposition binaire entre l’urbain et le rural explique l’auteur. La ZAD a cette qualité de carrefour qu’ont les villes, c’est un lieu de rencontre. La tentative des zadistes est de dire : on peut vivre avec des imaginaires urbains, dans un monde ouvert selon les modalités actuelles de la ville mondialisée. C’est-à-dire avec internet, une bibliothèque, un théâtre, une vie intellectuelle, des rencontres artistiques etc. Mais c’est une urbanité qui est autre : dans un bocage, avec des oiseaux, des champs, où l’on produit la nourriture localement, du pain, des fruits et légumes, du fromage… C’est une vie locale très forte, mais qui n’est pas un local autarcique comme parfois on l’entend pour la campagne. »
Habiter comme un mode de vie
Léo est un habitant de la ZAD, formé à l’ébénisterie, au design et à l’architecture. Il nous détaille le rapport des zadistes à leur territoire, grâce à l’exemple de l’initiative Abracadabois. « L’idée est de développer collectivement une filière bois en ménageant le territoire. » À chaque saison, les arbres sont soigneusement choisis, coupés de manière à laisser le sol vivre et sciés à la main. Le bois est ensuite réparti selon les besoins et les projets du moment. « On n’abat pas les arbres en fonction de nos besoins mais en fonction des besoins de la forêt. » Par l’observation et la patience, il y a une transmission de la compréhension de la forêt et de ses essences. Et si le bois vient à manquer, on fait autrement, avec le réemploi, la solidarité ou la créativité. « Notre façon d’habiter englobe bien plus que nos modes de construction. Ce sont les façons de s’organiser pour vivre ensemble, pour faire de l’agriculture ensemble, les façons d’organiser les chantiers, de partager nos savoirs, de faire du réemploi de matériaux… la façon dont on organise tout sur la zone finalement. »
Interrogé sur la pérennité des installations, Christophe Laurens invoque l’état de délabrement de certains grands ensembles. « Ce qui pérennise c’est l’usage, ce n’est pas le bâtiment. Une petite cabane fragile, si elle est habitée on la répare. Pourquoi les grands ensembles tombent en ruine alors qu’ils sont habités ? Parce qu’ils ne sont pas vraiment habités. Les offices HLM ou les copropriétés ont en quelque sorte soutiré le métier d’habitant aux habitants. Quand on leur dit qu’ils ne peuvent pas changer la moquette, repeindre ou planter un clou et qu’ensuite il faut rendre l’habitat dans le même état vingt ans plus tard, on les dépossède de la possibilité d’habiter. Évidemment que ce n’est pas le même logement vingt ans plus tard, quand il y a eu trois ou quatre enfants. »
Une manière de vivre conséquente
Ainsi, pour l’architecte, cette façon de vivre sur un territoire sans l’abimer est non seulement plus durable, mais elle responsabilise également l’habitant. Il explique comment la ville crée une mise à distance entre le citadin et les conséquences de son confort. « On est des sortes d’utilisateurs un peu lointains. On appuie sur le bouton on a de la lumière, nos sacs poubelles sont emportés chaque jour comme par magie. Dans la ZAD, ils vivent la matérialité de leurs vies. S’ils se retrouvent noyés sous les déchets, ils réduisent leur production de déchet et ils recyclent le reste. Ils font immédiatement face aux conséquences de leur modes de vie. Et en fait, se retrouver en responsabilité c’est super euphorisant parce qu’on est responsable à la fois du désastre mais aussi de ce qu’on peut faire. La ZAD est une manière de vivre conséquente. »
« De loin, les gens croient qu’on veut revenir à la bougie, ajoute Léo. Mais quand ils viennent sur place ils se rendent compte qu’on a créé une forme de vie complètement désirable. Les gens repartent et disent que c’est génial, qu’on mange trop bien, qu’on vit proche de la nature dans des maisons que l’on a construit nous-mêmes selon nos besoins et nos envies. »
Droit à expérimenter
Mais les obstacles sont nombreux à empêcher la ZAD de perdurer. Internes d’abord, alors que la lutte contre le projet d’aéroport fédérait des habitants aux parcours et aux volontés parfois très différents. Externes ensuite, puisque les cases de l’administration ne prévoient rien permettant une telle expérimentation et que les autorités ne semblent pas intéressées à créer de dialogue. Car casser le rapport binaire entre l’urbain et le rural n’est pas un seul enjeu d’ordre philosophique, c’est avant tout la question d’un droit à expérimenter. Une question politique et administrative dès lors que la législation en place n’offre pas cette expérimentation. « On est en train de créer un fond de dotation pour créer une propriété collective, explique Léo. L’idée est de faire des coopératives d’habitants, penser de manière collective, sans spéculation et en autogestion. Il y a énormément de formes auxquelles on pense. »
Parallèlement à la question de la propriété, son usage est l’objet d’une lutte dont le champ de bataille est le Plan Local d’Urbanisme (PLU). À l’abandon du projet d’aéroport, le gouvernement requalifie immédiatement les terres de « zone agricole » dans le PLU. Une qualification insuffisante pour les habitants de la ZAD, qui craignent de voir ces terres épargnées par 50 ans de conflit finalement détruites par l’agriculture intensive. En constituant une contribution au PLU, ils espèrent démontrer la spécificité écologique du bocage et ouvrir la voie vers une qualification mixte qui permettrait l’agriculture, l’habitat et le respect de l’environnement. « On critique le côté binaire dans l’aménagement public, développe Léo. C’est tout ou rien. Soit c’est urbain et il n’y a plus de nature ; soit c’est de l’agriculture ; soit c’est de la nature sanctuarisée et on ne peut rien y faire ».
Zone écologique expérimentale ?
« Ce qui leur faut, c’est une autre case résume Christophe Laurens. Une zone agricole habitable ou une zone écologique expérimentale, peu importe le nom. S’ils arrivent à arracher ça à l’État, ça pourra s’étendre ailleurs. Mais encore faut-il que ça intéresse des gens. Ce n’est pas du tout gagné, c’est un mode de vie particulier. Ils ne veulent pas imposer un modèle, ils veulent laisser vivre cette expérimentation. »
Également signataire de la tribune, le jardinier et paysagiste Gilles Clément, auteur du Manifeste pour le Tiers Paysage regrette également le traitement fait à la ZAD. « Ce qui est remarquable c’est qu’ils puissent maintenir une diversité du vivant tout en vivant là. Or partout où il y a des humains qui exploitent le sol de manière industrielle ce n’est pas le cas. C’est un renversement de position, d’une lutte contre un aéroport, on est passé à une lutte pour la vie de demain ».