Quel avenir pour l’urbanisme transitoire ?
L’urbanisme transitoire est à la mode. On ne compte plus les friches ou bâtiments occupés temporairement dans les grandes comme dans les petites villes, souvent avec succès auprès des habitants. Alors que de plus en plus d’acteurs privés et publics s’intéressent au phénomène, quel est son avenir ? Le « squat » va-t-il s’institutionnaliser ? Réunis lors d’une conférence organisée par Demain la ville, le Lab ., plusieurs acteurs de la région lyonnaise ont tenté de répondre à ces questions.
Le sociologue Benjamin Pradel se rappelle bien de sa thèse, en 2010. Il l’avait dédiée à l’urbanisme temporaire, sujet qui n’intéressait que peu de personnes… Depuis, le phénomène a changé de dimension. Dans la métropole lyonnaise, il est bien identifié et apprécié.
Pour Michel Le Faou, vice-Président de la Métropole de Lyon et adjoint au maire de Lyon*, les avantages de l’urbanisme transitoire sont nombreux : optimiser l’utilisation du foncier, tester de nouveaux usages et transformer l’image d’un site. « Nous sommes dans une phase de reconstruction de la ville sur la ville. L’urbanisme transitoire donne le droit à l’erreur : il permet de tester des initiatives et d’éviter d’emprunter de mauvaises directions », explique-t-il.
L’urbanisme temporaire est pratiqué dans des lieux provisoirement vacants. Benjamin Pradel, également cofondateur du collectif d’occupation temporaire Intermède, distingue deux pratiques. L’urbanisme « transitoire » permet de faire passer un espace d’une phase à une autre, par exemple avant la construction d’un nouveau quartier. De son côté, l’urbanisme « éphémère » n’a pas nécessairement d’impact visible ou de conséquences sur le projet futur.
Une grande variété d’occupants
L’occupation temporaire permet notamment de proposer des locaux à des prix bien inférieurs à ceux du marché. Elle est donc particulièrement prisée par les petites structures, souvent issues de l’économie sociale et solidaire… ce qui crée parfois des situations surprenantes ! « Nous menons un projet dans une halle de 2000 m² dans le 7e arrondissement de Lyon. La mixité d’usage génère beaucoup d’enrichissement entre les occupants mais aussi des difficultés. Comme lorsque des artistes doivent scier du métal alors que, juste à côté, un porteur de projet essaie de mener une conférence Skype avec un client ! », raconte Benjamin Pradel.
La transversalité et la diversité des acteurs (artistes, architectes, sociologues, bailleurs, collectivités, associations, etc.) font toute la richesse de l’urbanisme transitoire. Les différents occupants apprennent à se connaître et à travailler ensemble.
L’urbanisme transitoire est basé sur le décloisonnement. La conversation entre les acteurs est ouverte et crée de la transversalité. Nous devons préserver ces discussions simples basées sur le bon sens.
Si ces projets présentent l’avantage de réunir des acteurs de milieux sociaux très divers, ils nécessitent beaucoup de dialogue et de compréhension pour se développer. « Le temps du transitoire ne fonctionne pas toujours avec le rythme de l’administration et des plans locaux d’urbanisme. Il faut donc jouer d’agilité et d’échange », indique Laurent Graber, cofondateur de LFA Looking For Architecture. Il cite l’exemple du jardin Mazagran, créé spontanément autour d’une œuvre plastique dans le 7e arrondissement de Lyon. L’appropriation par les habitants a été telle que le projet s’est agrandi, passant de 400 m² à 5000 m² sous l’impulsion de la métropole.
Une manière de tester des usages
Dans l’organisation d’événements, l’urbanisme transitoire a émergé assez naturellement. « Nous avons besoin d’endroits surprenants qui ont une histoire. Nous aimons créer un récit en utilisant le passé, le présent et le futur des lieux que nous occupons de quelques jours à plusieurs mois », indique Orbiane Wolff, présidente de Superposition, qui a récemment organisé l’Urban Art Jungle Festival sur la friche de l’Autre Soie, ancien dortoir des usines de soierie à Villeurbanne. Sur place, elle a tissé un lien avec le site d’hébergement d’urgence en proposant aux habitants de créer une fresque racontant leur histoire.
Pour les grands projets urbains, cette démarche permet d’appréhender les futurs usages du quartier et de mieux identifier les besoins locaux. « Nous mettons en place une occupation transitoire dans une halle industrielle pour préfigurer les usages en vue d’un futur projet urbain. Notre tiers-lieu permettra d’incuber la vie future du projet. », annonce Claudie Jacoutot, directrice grands projets & innovation urbaine chez Bouygues Immobilier. Le promoteur a aussi mis à disposition d’Habitat et Humanisme 2 000 m² sur un ancien site de Nexans pour implanter un village mobile destiné à l’accueil de réfugiés et demandeurs d’asile. « L’occupation temporaire évolue. L’évènementiel et l’effervescence artistique laissent place à quelque chose d’un peu plus économique et culturel, remarque le sociologue Benjamin Pradel. Dans ce contexte, la question de l’hébergement est en train de se poser fortement, une tendance dont il faut se réjouir. »
Les risques de l’institutionnalisation
Forte de ces retours d’expérience, la métropole lyonnaise veut aller plus loin. « Nous menons une réflexion pour définir une stratégie globale d’urbanisme transitoire. Nous souhaitons placer l’occupation temporaire et l’urbanisme transitoire à l’interface de plusieurs politiques publiques pour répondre ponctuellement à des demandes spécifiques », lance Michel Le Faou. Il travaille notamment avec la SNCF sur l’évolution de certains sites.
Avec un tel essor, l’urbanisme transitoire s’institutionnalise… Au risque de perdre son identité ?
Cette forme d’urbanisme permet de développer une économie plus éthique et plus circulaire. J’espère que cet engagement sera défendu
« L’institutionnalisation en cours ne doit pas assécher la richesse des projets qui émergent par le bas. On ne pourra pas déployer une méthode unique sur l’ensemble des projets », renchérit Benjamin Pradel. Se structurer tout en gardant la souplesse qui a fait son succès, c’est le défi qui attend l’urbanisme transitoire.
Fabienne Bouloc
*Michel Le Faou est vice-Président de la Métropole de Lyon délégué à l’Urbanisme et au renouvellement urbain, à l’Habitat et au Cadre de vie, et adjoint au maire de Lyon délégué à l’Aménagement, l’Urbanisme, l’Habitat et le Logement