Quel avenir pour la signalétique en ville ?

14 Oct 2019 | Lecture 6 minutes

Alors que les villes s’étalent, s’élèvent et se densifient, les éléments urbains se condensent et prennent de la hauteur pour complexifier la ville. Plus si simple donc de retrouver son chemin dans ce dédale tortueux d’informations et d’entités urbaines ! C’est là qu’une bonne signalétique peut faire toute la différence. Avec quelques panneaux bien pensés, la vie en ville devient alors plus ludique, pratique, voire même artistique. À la fois repères urbains, indicateurs spatiaux et embellisseurs d’espaces publics, les signes qui agrémentent nos villes constituent une fonction essentielle à notre quotidien. Discrète ou pimpante, la signalétique dépasse même parfois sa fonction première pour alors procurer aux villes des décors de festivités révélant des ambiances urbaines bien diverses.

Mais alors, depuis leur apparition, quelle a été l’évolution de ces symboles, dessins, et autres supports constitutifs de nos villes ? Comment nous aident-ils à mieux vivre l’espace urbain qui nous entoure et quel rôle peut avoir la signalisation dans notre appréciation de la ville ?

La signalétique, une nécessité en ville

Si la signalétique a une telle importance en ville, c’est qu’elle répond d’abord et avant tout, à des besoins essentiels : se repérer et s’orienter afin de savoir simplement où se rendre. Cela participe évidemment pleinement au bon fonctionnement de la ville !

Nos espaces urbains nécessitent des points d’ancrage qui facilitent la mobilité des services et des personnes en indiquant des lieux et des directions. Qu’elle soit adossée aux murs comme le numéro des rues, au sol pour indiquer la bonne utilisation de la voirie, ou encore sur des panneaux en vue d’indiquer une direction, la signalisation se caractérise grâce à une science qui permet de se mouvoir dans la ville plus aisément par le biais d’un langage, d’icônes ou de pictogrammes standardisés et reconnaissables instantanément.

Par ailleurs, pour faciliter l’orientation, la ville s’est progressivement parée de signes indiquant les lieux afin, non seulement de nommer, mais aussi et surtout de rendre visibles et facilement identifiables les lieux publics et semi-publics nécessaires à la vie quotidienne, comme les mairies, les écoles ou encore les hôpitaux. Mais, il s’agit aussi de faciliter les autres formes de déplacements, liés à la vie servicielle et économique d’une ville, notamment avec l’acheminement du courrier postal ou encore les échanges commerciaux. Par le jeu des échelles, des panneaux indiquent alors les entrées et les sorties de ville, les quartiers, souvent marqués par des monuments ou des avenues connues, ainsi que les rues et les habitations. Cette progressive localisation des lieux participe à faire naître des ambiances urbaines, supports de la construction d’imaginaires caractérisant certains espaces des villes.

Si l’enjeu de la compréhension de la signalétique est fort, certaines villes n’en sont pas encore là car elles en manquent cruellement. Pour faire face à ces lacunes, la population doit apprendre à se mouvoir par elle-même dans la ville, autrement dit “à la débrouille”. Ce manque se révèle parfois sur les indications des itinéraires des transports en commun, de leurs directions et de leurs arrêts, ce qui entraîne souvent un report de la mobilité sur les taxis, les moto-taxis ou encore la voiture dans les villes d’Asie du Sud-Est, notamment à Bangkok, en Thaïlande.

“Rue 4, interdit de jeter les poubelles” dans la favela Rocinha à Rio de Janeiro (Brésil) © Jessica Gonzalez via Lumières de la ville

“Rue 4, interdit de jeter les poubelles” dans la favela Rocinha à Rio de Janeiro (Brésil) © Jessica Gonzalez via Lumières de la ville

 

La nécessité d’indiquer la ville se manifeste même dans des espaces d’habitations informelles comme les favelas, à Rio de Janeiro, au Brésil au sein desquelles les numérotations inexistantes au départ sont alors organisées et mises en place par les habitants eux-mêmes afin qu’ils puissent se repérer dans leur propre quartier, comme c’est le cas de la plus grande favela, Rocinha. Les habitants vont même plus loin en introduisant une signalétique sous la forme de street-art pour indiquer ce qu’on peut ou ne pas faire dans l’espace public.

Au grès des tendances, une évolution qui suit les innovations

C’est un fait, la signalétique peut ne pas avoir de visée esthétique. Ce n’est d’ailleurs pas sa fonction première, qu’est au contraire celle d’informer avant toute autre chose. A ce propos, certains pôles urbains se retrouvent envahis par des signes que l’on peut pas vraiment caractériser de beaux, mais qui bien au contraire, du fait leur empilation parfois quasi anarchique, contribue à retirer toute beauté à des paysages urbains déjà bien marqués.

Mais pour autant, devrait-on en attendre plus de la signalisation urbaine ? Devrait-elle, elle aussi participer à revaloriser certains espaces urbains ?

Alors que la signalétique présente une base universelle, ses formes visuelles se diversifient dans le temps et dans l’espace où elle se trouve. Elle peut alors prendre la forme de symboles variés, de langages modifiés, de parures ou encore de gadgets… Mais que ses formes soient essentielles, superflues ou bien révélatrices, la signalétique urbaine n’a cessé de transformer les villes. Elle contribue d’ailleurs à les imprégner d’ambiances particulières, plus ou moins populaires.

Cet essor de la signalisation s’accompagne également du développement de la signalétique urbaine impulsée par le capitalisme et la société de consommation, bien développée dans les années 50-60 en Amérique du Nord. La signalétique de communication prévaut sur l’espace pour prendre des airs “bling bling” et ne sert plus simplement à indiquer le chemin mais surtout à attirer l’attention dans le but d’inciter à consommer. Une autre utilité renforcée par la signalétique lumineuse, avec affichages LED, qui rappelle aussi un temps et un lieu et fait référence, dans l’imaginaire, à une ambiance vintage, révélée dans les films et encore visibles aujourd’hui à Times Square ou à Las Vegas.

Entrée de ville pour Las Vegas © James Walsch via unsplash

Entrée de ville pour Las Vegas © James Walsch via unsplash

Si ces espaces urbains qui ont pu perdre de leurs attraits aujourd’hui, sont le témoin d’une époque, d’autres villes cherchent encore à suivre ces modèles. C’est le cas de nombreuses villes asiatiques comme Séoul, Hong Kong, Shanghai ou Tokyo. Ainsi, leur signalétique peut-être entravée par d’autres éléments du paysage urbain telle que la publicité.

L’ombre de la logique mercantile

La frontière entre la publicité et la signalétique peut donc parfois être floue. Aujourd’hui, les affichages et dispositifs publicitaires sont soumis à une réglementation visant à protéger les espaces publics et le cadre de vie de tous. Pour éviter l’invasion de ces signaux à but commerciaux ou mercantiles, chaque installation doit être signalée par une déclaration et être conforme à certaines conditions pour obtenir une autorisation.

Ce principe permet de maintenir un équilibre dans les espaces publics, notamment ceux particulièrement fréquentés, dans le but d’éviter l’invasion de signes pouvant envahir l’espace, comme cela peut être le cas dans des lieux privés. Un phénomène qui peut se traduire par le développement de marquages éphémères, tel que le principe du clean-tag qui rend visible le temps d’une semaine environ sur le trottoir, une signalétique commerciale à destination des piétons de passage.

En effet, la neutralité et la qualité seulement informative de la signalétique pourraient être menacées par la privatisation progressive des espaces, notamment comme on le voit dans les grands centres commerciaux, les “malls” ou les espaces et quartiers privés. Dans ces lieux de la ville, la signalétique revêt alors un objectif commercial et publicitaire, pour guider les consommateurs dans leur parcours et les influencer.

Vers une signalétique urbaine plus intelligente pour les villes ?

Mais aujourd’hui les tendances évoluent aussi pour se diriger vers la ville intelligente. S’il s’agit donc toujours de LED, la signalétique se veut aujourd’hui plus high-tech pour redevenir utile. Le numérique apporte donc de nouvelles informations dans l’espace public, il questionne aussi la priorisation de l’information. Lorsque les espaces urbains en abusent, le risque reste de se perdre dans l’information alors que la signalétique part de plus en plus à la recherche de l’optimisation du parcours du visiteur. L’intérêt étant de ne pas se perdre dans l’information mais de trouver le juste équilibre permettant de mieux se diriger dans la complexité de l’espace urbain, que nous soyons habitants, visiteurs ou touristes.

Les nouvelles technologies proposent donc des solutions pour mieux informer. Ces dernières permettent en effet d’enrichir les informations données. D’ailleurs, la signalétique du futur, c’est aussi celle avec laquelle il est possible d’interagir. En lien étroit avec la réflexion sur la ville intelligente, il s’agit de questionner la plus-value de ces nouveaux dispositifs et l’impact positif qu’ils peuvent avoir pour le citoyen. Par exemple, à Paris, les panneaux lumineux sont personnalisables, permettant aux habitants de s’approprier les messages de la ville. Il est alors possible de partager des rendez-vous pour des évènements et de rendre visible son association, une action renforcée depuis peu dans les quartiers populaires.

La signalétique peut aussi s’associer à d’autres fonctions et services des infrastructures urbaines comme le mobilier urbain. C’est ce que proposent les bancs connectés d’EnGoPlanet qui cible l’utilisateur moderne au Koweït. En utilisant l’énergie cinétique des piétons qui marchent sur le bitume, la start-up propose des services de recharges de smartphones sur ses bornes signalétiques high-tech. Ces services participent aussi à favoriser le confort des piétons tout au long de leurs parcours, notamment des visiteurs qui ne connaissent pas forcément leur itinéraire…

Avec l’essor du numérique, les indicateurs urbains deviennent par ailleurs de plus en plus sophistiqués avec des panneaux rotatifs, qui se règlent pour changer de messages ou en étant directement connectés à internet. Le groupe d’art Breakfast regroupe des artistes et des ingénieurs qui ont conçu Points, une signalétique digitale qui fait évoluer ses informations sur commande au fil de la journée, selon la demande de l’utilisateur. L’interaction avec le visiteur est possible afin de connaître exactement la direction souhaitée et le temps à parcourir pour y arriver. Le panneau donne alors des informations sur les moyens de transports à privilégier et propose aussi un tableau de bord permettant de demander des indications sur les lieux de restauration ou la localisation des commerces situés aux alentours. Sans compter cette fonction “sociale” permettant à l’utilisateur de partager ses impressions sur les réseaux sociaux

Une autre innovation similaire développée par Charvet Digital Media, iGirouette, permet ainsi à divers acteurs de la mobilité et du stationnement d’indiquer l’information souhaitée comme le nombre de places de parking disponibles ou le temps d’attente estimé pour en obtenir une. Et pour interagir avec les panneaux, les utilisateurs doivent par contre se munir d’une application, elle-même disponible sur smartphone. Mais l’objectif des villes qui s’en munissent, Lyon, Calais ou Poitiers avec le futuroscope est de favoriser les modes de transport doux et la marche à pied.

Vers le pédagogique et ludique !

La signalétique urbaine reste donc indispensable dans son utilité première, à savoir celle de faciliter les déplacements dans la ville. Mais elle revêt aujourd’hui un nouveau rôle, celui de support d’innovation des espaces publics. Des innovations qui l’ont transformée au cours du temps et qui aujourd’hui oscillent entre nouvelles technologies et création minimaliste. La ville se démarque alors en adaptant sa signalétique à sa complexité, afin qu’elle soit plus accessible à pied, mais aussi plus ludique. En opposition à la vitesse, les indicateurs urbains invitent d’ailleurs à flâner, comme par exemple le projet Walk’n Roll, fabriqué par Metalu en partenariat avec avec le groupe Keolis Lyon, qui propose une signalétique initiatrice du « slow movement » en invitant à prendre le temps.

Mais cette récente évolution trouve peut-être son origine dans la démocratisation des systèmes GPS ? En effet, l’instantanéité de l’information, rendue possible grâce à la généralisation des smartphones, ne rend-elle pas finalement pas la signalétique urbaine obsolète ? Alors que celle-ci nous aidait auparavant essentiellement à nous déplacer d’un point A à B, en revêtant une approche universelle, ses fonctions se diversifient aujourd’hui, devenant un outil plus local, voire plus individualiste. Si la signalétique a pu oublier le piéton ces dernières décennies, elle réhabilite progressivement sa présence en ville en se mettant davantage à son échelle. C’est ce que font d’ailleurs certaines villes qui cherchent à valoriser leur patrimoine local, afin de faciliter les pérégrinations des touristes et attirer plus de visiteurs.

Dans ce sens, des bureaux d’études spécialisés dans la signalétique accompagnent des villes dans l’identification de leur atouts, de leurs spécificités et des opportunités afin de les mettre en valeur par la signalétique, notamment dans une logique de redynamisation des cœurs de ville. Un travail sur la signalétique peut par exemple faciliter la découverte de monuments, créer des parcours qui suivent les traces d’une histoire ou dévoilent les différents points remarquables, comme par exemple le principe de la ligne verte à Nantes, tracée au sol, qui permet de ne rien manquer du parcours culturel et des installations artistiques du Voyage à Nantes.

Avec la même approche de valorisation de lieux, Enlarge your Paris s’est associé avec les Magasins Généraux dans le cadre du concours FAIRE PARIS pour créer une signalétique parisienne dédiée à la découverte des sites d’intérêt du “Grand Paris”. Ici, l’idée n’est pas d’accompagner le parcours, mais de susciter la curiosité en informant sur ces lieux touristiques extra-muros de la capitale, afin de pousser les limites d’une perception trop souvent réduite au territoire parisien. Pour cela, il a été choisi d’intégrer des panneaux de signalisation avec un graphisme bien distinct de ceux de Paris. Ces derniers indiquent simplement le nom du lieu touristique, le chemin en transport pour s’y rendre et un surnom ludique pour susciter l’envie de le visiter.

Il s’agit donc ici de donner une nouvelle dimension, celle de changer les perceptions de l’espace, de guider une transformation dans la vision de la capitale, en intégrant par cette signalétique une approche métropolitaine. Elle dépasse alors son rôle d’information sur un déplacement factuel et guidé pour créer une ouverture vers un ailleurs inconnu et susciter par la pédagogie l’idée d’explorer le territoire.

La signalétique peut prendre également des aspects plus ludiques comme le propose Wasaa qui a mis en place un marquage au sol artistique en 2018, à la Défense. L’objectif de cette expérimentation a été d’améliorer la circulation des navettes sur deux parcours et de proposer une offre en transports en commun. Le street-art fait ainsi preuve d’imagination pour créer des espaces publics à la signalétique créative, originale et frugale. Et si la signalétique peut perdre parfois son utilité première, c’est aussi pour mieux embellir la ville. Les espaces urbains se parent d’expositions photos, d’affichages, de collages ou encore de sculptures comme c’est le cas de la Yellow Brick Road à Lens, un cheminement parsemé d’œuvres artistiques reliant le Louvre-Lens au centre-ville et réalisées par le collectif Qubo Gas et Julien Boucq. Elle peut ainsi véhiculer un message artistique ou simplement interpeller et questionner comme ces artistes, Clet Abraham ou Jinks Kunst, qui s’attaquent à la signalisation à coup de stickers.

Affiche Neon ©Austin Chan via unsplash

Affiche Neon ©Austin Chan via unsplash

De plus en plus personnalisable, ajustée, pédagogique et participative, la signalétique revêt donc aujourd’hui différentes formes, du design, à l’art, passant par des dispositifs technologiques en tout genre. Alors qu’elle visait autrefois l’universalité, la signalétique s’ajuste toujours plus pour incarner l’esprit des lieux et espaces qu’elle investit. À l’image du travail réalisé au Samu social de Paris, qui propose aujourd’hui une signalétique bienveillante et engagée, demain la signalétique pourrait bien aller plus loin en reflétant les émotions, les intentions et les perceptions des habitants et acteurs en ayant une approche participative et collaborative.

On le voit donc, son rôle se diversifie pour prendre plus d’ampleur et initier la création d’univers urbains spécifiques et inciter à la découverte d’un territoire. Un outil qu’il serait intéressant d’explorer davantage pour permettre toujours plus d’appropriation de la ville par ses usagers. Car par la mise en valeur des espaces urbains, la signalétique semble renforcer le lien qui unie la ville et ses habitants et nouer ainsi un dialogue ou une interaction essentielle aux villes de demain. Et si à l’avenir, pour une ville plus intégrée et investie, nous repoussions grâce à elle encore plus les limites des espaces que nous maîtrisons, afin de nous projeter toujours plus sur de nouveaux espaces urbains, vers lesquels nous n’allons pas intuitivement ?

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