Que reste-t-il de l’immobilier dans un monde à + 4°C ?
Imaginez un pays où le recyclage est systématique, la végétation est florissante, l’air pur, les transports en commun sont gratuits, les pesticides ont disparu et le rapport à la nature est sanctuarisé. Ce pays, c’est celui d’Écotopia, raconté dans le roman éponyme de l’écrivain américain Ernest Callenbach, publié en 1975. Dans ce classique de la littérature, trois États de la côte ouest des États-Unis – la Californie, l’Oregon et l’État de Washington – ont décidé de faire sécession pour construire une société résolument écologique. Une société qui a pris le virage de l’adaptation pour proposer, sans concession, un nouveau modèle.
Alors que la France se prépare désormais à une hausse de 4°C en 2100, il devient plus que jamais urgent de se projeter vers cet horizon. Comment peut-on à la fois réduire notre impact climatique mais aussi s’adapter dès maintenant ? Comment passer d’une gestion réactive des risques à une posture d’anticipation et d’action ? À l’occasion de la 2ème édition du Salon de l’Immobilier Bas Carbone (SIBCA), qui s’est déroulé du 20 au 22 septembre au Grand Palais Ephémère, à Paris, nous avons pu aborder, en toute transparence, ces différentes questions en compagnie de la porte-parole de Pour un réveil écologique et autrice de l’ouvrage Faire écologie ensemble, Léa Falco, du maire de Callian François Cavallier ainsi que de Guillaume Carlier, Directeur de la stratégie climat de Bouygues Immobilier. Une citoyenne engagée, un responsable d’entreprise et un élu local, trois profils complémentaires pour une prise de conscience commune et une épineuse question à résoudre : que reste-t-il de l’immobilier dans un monde à +4°C ?
L’adaptation, la fin du déni ?
Le mot « adaptation » apparaît pour la première fois lors des négociations du protocole de Kyoto, dans les années 1990. Aussitôt apparu, il a vite été rangé au placard, considéré comme « le mouton noir de la politique climatique », selon la formule de la chercheuse Lisa Schipper, autrice du GIEC. Car pendant trois décennies, parler d’« adaptation » revenait à admettre le caractère inéluctable du réchauffement climatique, et donc comme un renoncement à vouloir l’atténuer. Aujourd’hui, les modifications durables du climat sont apparues avec des conséquences que l’on sait irréversibles et le constat est désormais mieux partagé : s’il reste prioritaire d’atténuer le réchauffement en réduisant drastiquement les émissions de CO2, il faut aussi apprendre à vivre avec. À s’y adapter, donc.
Mais en quoi cela consiste, précisément ? « Je suis maire d’une commune où le dérèglement climatique ne fait pas consensus. La première phase de l’adaptation, c’est de préparer les esprits » témoigne François Cavallier. Pour Léa Falco, « il y a trois leviers à la bifurcation écologique : la transformation par la demande, par les entreprises ou par la planification étatique. Pour être sincère et effective, la bascule des business model des entreprises doit s’intégrer au cœur même de leur réacteur ». C’est à ce prix-là seulement que les stratégies d’adaptation pourront être évaluées. Si le sujet émerge tout juste, les stratégies elles sont multiples : « nous devons appréhender la question dans son intégralité, végétaliser les villes contre les îlots de chaleur, construire des digues, réduire les bouilloires thermiques, comme le préconise d’ailleurs Alexandre Florentin dans son rapport “Paris à +50°C” ».
L’eau : un peu, beaucoup, pas assez
Au cœur de l’enjeu d’adaptation, une petite goutte fait tache d’huile : celle de l’eau. Alors que nos nappes se vident et que les sécheresses se multiplient, ce qui se passe sous nos pieds commence à faire trembler l’équilibre de nos systèmes. Car dans un monde à +4°C, le risque de sécheresse est multiplié par cinq par rapport à 1990.
C’est précisément dans ce contexte, après un été 2022 caniculaire et une sécheresse hivernale exceptionnelle, que neuf communes du Var ont décidé d’un quasi-gel des permis de construire. François Cavallier raconte : « la décision s’est prise collectivement avec huit autres élus, et ce n’était pas un caprice pris à la légère. Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il était inconcevable de faire venir de nouveaux habitants en leur disant qu’il n’y a plus d’eau au robinet ». Du côté de la promotion immobilière, l’eau creuse également son sillon : « longtemps, le combat de l’eau nous a paru lointain. Aujourd’hui il est très palpable et notre secteur doit intégrer plus directement ce volet. Je pense qu’il y a un vrai déclic des consciences avec l’eau » témoigne Guillaume Carlier.
Immobilier : adapte-toi si tu peux !
Pour s’adapter, mieux vaut bien se préparer. C’est d’ailleurs tout l’écueil de la maladaptation, à savoir des stratégies qui aggravent les problèmes qu’elles sont censées atténuer. On peut citer l’exemple de la climatisation qui crée un cercle vicieux en rejetant de l’air chaud, ou des digues qui peuvent augmenter la vulnérabilité des populations situées en dehors de leur zone de protection. « Pour nous prémunir des potentiels écueils de la maladaptation, nous utilisons des projections scientifiques très précises basées sur les rapports du GIEC » témoigne Guillaume Carlier. Pour Léa Falco, « nous devons également prendre en considération d’autres facteurs que ceux climatiques. Il ne peut y avoir d’adaptation sans prise en compte des enjeux sociaux. »
Alors, à quoi ressemblera l’immobilier dans un monde à +4°C ? « J’ai 4000 habitants et 1025 piscines privées. Nous avons donc encore un grand travail transversal à faire avec des sociologues, des scientifiques, des philosophes, pour réfléchir à l’habitat de demain » témoigne François Cavallier. De son côté, Guillaume Carlier mise sur le régénératif : « on peut très bien imaginer des bâtiments autosuffisants en matière d’énergie et d’eau, des espaces de vie qui reposent sur la mutabilité et la réversibilité ». Avant de conclure : « Dans le métier de la promotion immobilière, nous marchons désormais sur deux jambes : l’atténuation et l’adaptation ».
Vous pouvez retrouvé l’intégralité des échanges ci-dessous :