Qucit, pour de nouvelles mobilités urbaines (2/2)
Hier, nous vous présentions la start-up Qucit, qui développe des solutions d’analyse et d’optimisation en temps réel de la mobilité urbaine. Aujourd’hui, retrouvez la suite de l’interview de Raphaël Cherrier, fondateur de Qucit. Il revient en détail sur l’accompagnement mené par sa société auprès de la Mairie de Paris dans le cadre du projet de réaménagement des grandes places parisiennes. L’objectif : développer le confort des piétons.
Quelle est l’expérience que vous menez actuellement avec la Mairie de Paris ?
Il y a au départ une volonté de la Mairie de Paris de réaménager les places parisiennes. Depuis une centaine d’année, la ville évolue dans le sens de la voiture. Par exemple, la place de la Bastille ou la place de la Nation sont essentiellement des ronds-points et non des places agréables pour les piétons et les cyclistes.
Sur la place de la Nation, nous menons donc une expérimentation avec la Mairie de Paris et Cisco qui y a installé un certain nombre de capteurs. Des caméras mesurent à une soixantaine d’endroits de la place, le flux de piétons, de vélos et de voitures. D’autres capteurs mesurent la localisation des téléphones portables. Des capteurs de bruits et de pollution ont également été installés en plusieurs endroits de la place. Par ailleurs, grâce à l’open data de la Mairie de Paris, nous avons accès à la position et aux caractéristiques de chaque élément de mobilier urbain : chaque arbre, chaque banc ou chaque point d’éclairage avec sa puissance. Nous avons donc énormément de données à disposition. A toutes ces données, nous rajoutons celles disponibles sur Open Street Map. Il s’agit de toutes les données relatives aux rues : leur tracé, leur type (principale, secondaire, etc). Au final, nous avons donc une vision numérique précise de la Place de la Nation.
De notre côté, nous avons envoyé des enquêteurs sur le terrain. Nous avons sondé au total 1300 personnes à plus de 100 endroits différents de la Place. Nous leur avons posé un certain nombre de questions pour mesurer leur niveau de confort ressenti. Par exemple : « Est-ce que vous trouvez que cet endroit est beau ? », « Est-ce que vous trouvez que cet endroit est propre ? », « Est-ce que vous trouvez que cet endroit est agréable ? », « Est ce vous vous sentez stressé ? En sécurité ? Désorienté ? ». Nous leur donnions la possibilité de graduer leurs réponses.
Ce sondage est utilisé pour construire des modèles basés sur le contexte capables de prédire les résultats du sondage. Autrement dit, en fonction de la position de la personne sur la place, de toutes les caractéristiques qui lui sont propres, nous pouvons prédire ce que cette personne répondra à telle ou telle question. Par ailleurs, en analysant les paramètres de l’algorithme, nous pouvons également déterminer les éléments contextuels qui produisent ces réponses. Grâce à cela, nous arrivons par exemple à quantifier le stress généré par une route très passante, ou l’influence de la présence d’arbre ou de banc ou de la puissance de l’éclairage. Nous avons en effet réalisé différentes cartes de ressenti grâce à nos modèles.
L’objectif de toute cette expérimentation ?
Il est double. Il faut déjà savoir qu’une expérimentation de terrain devrait être mise en place avant même le projet de réaménagement. Par exemple, sur les 8 voies de circulation qui entourent de la place, il n’en restera plus que quatre. Les flux de voitures vont donc être modifiés et les piétons auront plus de place. Mais cela peut aussi créer d’autres problèmes (bruit, pollution). Et puis, l’un des sujets importants va être de savoir si les piétons vont réellement se réapproprier l’espace. Nous pouvons utiliser les données des capteurs pour quantifier la variation des flux piétons et véhicules avant et pendant la phase de réaménagement. Néanmoins, au-delà de mesurer l’évolution des flux piétons, c’est le confort que nous avons essayé de quantifier en mettant au point un indice de confort piéton. L’objectif au final est d’accompagner le projet de réaménagement en maximisant le confort des piétons.
L’étape suivante consistera en une expérimentation de terrain, qui simulera avec des aménagements temporaires (barrières, jardinières, etc.) le futur tracé de la place.
Ne pensez-vous pas qu’avec un traitement des données à son paroxysme, on perde ce qui fait aussi la beauté de la ville, autrement dit son caractère spontané et surprenant ?
Je comprends cette crainte, mais premièrement nous n’avons pas vocation à remplacer les urbanistes et ceux qui conçoivent la ville. Nous nous y intéressons, mais ce n’est pas notre métier. Nous n’avons donc pas vocation à construire des villes de manière automatique avec de l’intelligence artificielle. Nous allons plutôt offrir un outil, à l’image de ce que les urbanistes utilisent déjà avec les cartes d’ensoleillement par exemple. Grâce à nous, ils pourront utiliser des cartes de confort et de stress qu’ils pourront ajouter aux plans qu’ils auront créés. Ce qui signifie que nous ne cherchons pas à tuer la créativité des urbanistes et de toutes les personnes qui pensent et qui conçoivent la ville.
Le deuxième point important, c’est que les informations que nous collectons sont liées aux ressentis et aux émotions des usagers. Nous calibrons des modèles à partir des sondages que nous réalisons. Nous ne faisons pas de modèles a priori dont les conclusions seraient dogmatiques et qui nous diraient « en gros », qu’une rue c’est stressant et qu’un arbre c’est agréable. Nous nous doutons bien que ce n’est pas complètement absurde mais nous voulons avant tout le quantifier. Et par ailleurs, nous sommes surtout ouverts à des conclusions surprenantes car nous allons réellement interroger les usagers. Et les conclusions qui ressortent de nos modèles sont tirées uniquement de leurs réponses personnelles. Nous ne faisons qu’analyser les réponses des personnes que nous interrogeons afin de comprendre, de manière automatique, qu’effectivement la circulation ou tel autre aménagement urbain, a tel impact sur leur ressenti. Notre démarche est donc sans a priori.