Quartiers culturels créatifs – Nouveau modèle de développement urbain ?
On connaissait l’urbanisme transitoire et les théories de Richard Florida sur la ville créative, de plus en plus de villes se lancent désormais au quartier culturel créatif. De Bogota à Hong Kong en passant par Vienne, ces projets d’aménagement tablent sur l’émulation et les synergies locales pour promouvoir la culture.
Quel est ce nouvel objet urbain, le Quartier Culturel et Créatif (QCC) financé à hauteur de 2 millions d’euros en 2021 et 2022 par le plan de relance ? Sur le site du gouvernement on peut lire qu’ils sont destinés à « favoriser la relance de l’activité des acteurs économiques culturels de proximité et à valoriser l’offre culturelle des territoires, particulièrement dans des centres urbains dévitalisés où leur présence physique est désormais fortement menacée ». Culture, économie, renouvellement urbain ou un peu de chaque ?
Nouvel objet urbain
Avec cet appel à projet, l’exécutif entend développer une pratique encore jeune en France. Il retient trois critères pour définir un Quartier Culturel et Créatif : le dispositif doit accompagner une activité culturelle, il peut mettre à disposition des baux commerciaux à loyer modéré et enfin, il doit comporter un espace ouvert au public. Ceux qui lisent régulièrement Demain la Ville reconnaîtront sans difficulté la filiation du QCC avec les tiers-lieux. Portés par les nouvelles pratiques d’urbanisme transitoire, ces espaces d’activités mixtes à la fois associatives, culturelles, festives et commerciales se sont multipliés un peu partout en France et dans le monde ces dernières années.
Le tiers-lieu et le QCC se distinguent principalement par leur ampleur. Quand le premier concerne un bâtiment ou au mieux un îlot, le second agrège plusieurs îlots dans une logique de synergie. Il est pensé en effet comme un cluster (une grappe) d’activités complémentaires. La concentration d’artistes dans un même quartier n’a rien de nouveau, on se souvient de l’âge d’or du Saint-Germain-des-Prés d’après-guerre, ou des squats d’artistes berlinois des années 90. Mais rarement ces exemples historiques sont apparus spontanément. Les QCC sont souvent créés de toutes pièces, comme un objet urbain spécifique.
L’exemple de Montréal
À Montréal depuis 2003, le Quartier des Spectacles occupe pas moins d’un kilomètre carré en plein centre-ville et est devenu emblématique des QCC. Financé à hauteur de 147 millions de dollars canadiens par la ville, les gouvernements provinciaux et fédéraux, c’est un projet urbain de revitalisation en même temps qu’un projet culturel : huit grandes places publiques structurent la zone. Ce sont à la fois des lieux conviviaux et fonctionnels puisqu’ils sont conçus pour accueillir des festivals et événements d’envergure.
Le marketing territorial et le branding sont des approches structurantes à Montréal. Aujourd’hui le quartier des spectacles se compose d’environ 80 lieux de diffusion culturelle, 450 entreprises culturelles, 7000 emplois liés à la culture, huit places publiques animées et reçoit une centaine de spectacles par mois. D’une certaine manière il est devenu une machine industrielle culturelle à lui seul, capable de générer du tourisme et de créer de l’activité : 2,2 milliards de dollars selon un rapport publié en juillet de l’Institut Paris Région…
À Paris, pas besoin de quartier créatif ?
Dans son rapport, l’Institut explore une poignée de QCC tout aussi emblématiques à travers le monde : Vienne, Amsterdam, Bogota mais aussi Abou Dhabi et Dallas. Aujourd’hui le Global Cultural Districts Network (GCDN), association indépendante créée en 2013 compte 48 membres. On peut dire qu’elle s’inscrit dans le mouvement de diplomatie des villes, ainsi que celui des « classes créatives » théorisé par Richard Florida.
Concernant l’Île de France, elle réunit déjà de nombreux ingrédients de QCC, pourtant elle n’en compte aucun. Le rapport l’explique ainsi : « Du fait de leurs aménités, les arrondissements centraux parisiens s’apparentent à un immense QCC et c’est d’ailleurs ce qui explique la vitalité et l’attractivité de Paris. Néanmoins, ils ne sont pas promus en tant que tel et ne disposent pas d’une gouvernance en ce sens. » La région fait pourtant face à un défi d’irrigation important : les destinations emblématiques parisiennes jouissent d’une visibilité internationale et sont souvent saturées, quand les territoires franciliens sont eux peu fréquentés.
Mais la France n’est pas en reste, Rouen, Saint-Etienne ou Nantes développent leur propre QCC. À Nantes, deux quartiers culturels et créatifs s’observent de part et d’autre de la Loire. Leur différences soulignent les nombreuses formes que peut prendre le concept de QCC. L’un, le Quartier des Olivettes a été investi par des artistes progressivement depuis les années 1990, l’autre, le Quartier de la Création est une émanation des pouvoirs publics initiée en 2012. Le premier est géré de manière diffuse par les artistes eux-mêmes, de manière locale et plutôt effacée. Pour l’autre, la gouvernance est assurée par la société d’aménagement SAMOA qui revendique une portée métropolitaine au projet.
Ces dernières années, l’urbanisme transitoire a fortement contribué à associer le renouvellement urbain à l’action culturelle. Porté par le programme Action Cœur de Ville qui cible les villes dévitalisées, le phénomène pourrait s’accélérer.