Quand Monaco grignote sur la mer
D’ici 2026, Monaco doit bâtir un nouveau quartier de 6 hectares rognés sur la mer Méditerranée. À grands renforts de communication sur les exploits techniques du chantier, la Principauté renoue avec le mythe des grands projets aux milles vertus écologiques.
C’est le dernier grand projet de la Principauté de Monaco : une extension sur la mer de 6 hectares destiné à accueillir un port, des logements haut de gamme et des bureaux. Baptisé Anse du Portier, le terre-plein de ce nouvel écoquartier a été terminé fin 2019 et la livraison des bâtiments est attendue d’ici 2025. Dans les tuyaux depuis 2007, le projet est particulièrement ambitieux, notamment sur son impact environnemental qu’il entend limiter au maximum. Le Prince Albert II affiche d’ailleurs régulièrement son intérêt pour la mer et pour l’écologie.
Chantier d’innovation
Pour sortir des flots ce bout de terre, 18 caissons en béton hauts de 26 mètres et lourds de 10 000 tonnes chacun ont créé la ceinture délimitant le terrain. Ils sont produits localement à partir
de matériaux extraits dans les carrières de la région et en Sicile. Étant donné la proximité du chantier avec deux réserves naturelles, une vigilance particulière a été mise en œuvre concernant la turbidité. En effet, lors de travaux sous-marins, de la vase est soulevée et peut aller recouvrir les environs. Des écrans sous-marins spécifiques ont été mis au point pour limiter le phénomène. La faune et la flore locale ont également bénéficié d’attentions particulières. Deux espèces protégées emblématiques de la Méditerranée ont été déplacées : les grandes nacres qui sont des coquillages géants rouges en voie critique d’extinction ainsi que les posidonies, des plantes à fleurs qui tapissent le fond marin. Grâce à ses hautes feuilles, cette plante est connue pour constituer des « herbiers » qui rendent de nombreux services écosystémiques. Ils servent notamment de frayère (un lieu de reproduction) et de nurserie (un lieu de vie des juvéniles) pour de nombreux poissons.
La bouture et l’enfumage
La transplantation des posidonies n’avait jamais été expérimentée auparavant. C’est d’ailleurs le cas de nombreuses techniques mises en place lors du chantier pour limiter son impact environnemental. On peut malgré tout s’interroger sur la réalité écologique d’un tel projet. Interrogé par téléphone, le biologiste Alexandre Meinesz n’y va pas par quatre chemins : «
C’est de l’enfumage. On fait tout un souk sur trois boutures mais ça évite de parler de l’essentiel, c’est-à-dire la destruction définitive de 6 hectares de petits fonds marins, ceux qui sont les plus riches en biodiversité. » D’après le chercheur, les transplantations n’ont pas d’intérêt dans la mesure où elles sont effectuées dans des réserves naturelles où la plante est déjà présente. Pire, d’après ses informations, une bonne partie des transplantations réalisées n’a pas pris et les posidonies sont mortes. « Le projet ne formule aucune obligation de résultat, on ne garantit rien sur la réussite de l’opération » regrette-t-il. « Le problème c’est que les posidonies ne peuvent pousser que là où elles étaient avant. »
Sauver des milieux naturels
« La posidonie n’est plus menacée mais elle est protégée. À Nice et sur le reste de la côte, plusieurs projets de ports ont été annulés à cause de la présence de posidonie. Le problème
c’est que ce sont des plantes qui poussent très lentement, à raison de 3 cm par an. Pour obtenir 100 mètres de linéaire il faut plus de 3000 ans. Une fois que le milieu naturel est détruit, c’est
terminé. » Professeur émérite à l’université de Nice-Sophia Antipolis, Alexandre Meinesz observe l’évolution du littoral depuis des décennies et est l’initiateur du projet MEDAM, l’inventaire officiel de l’impact gagné sur le domaine marin en Méditerranée. Il explique que cette zone entre 0 à 10 mètres de profondeur et jusqu’à 20 mètres est une zone très favorable au développement des espèces car elle bénéficie de suffisamment de lumière. Or, d’après les données du MEDAM, le taux de recouvrement des petits fonds à Monaco est de 92%. « Avec ces extensions sur mer,
on détruit définitivement des biotopes. Monaco est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire en terme de développement durable ».
Conquête de la mer
Ce n’est pas la première fois que Monaco se lance dans la conquête de la mer ; en réalité près de 40% de sa superficie a été gagnée sur les eaux. Il faut dire que la cité-État est fortement contrainte par sa taille, et ses velléités de développement ne peuvent lorgner que dans une seule direction. Ainsi sur ses 202 hectares (2 km2) de superficie actuelle, 78 ont été pris sur la Méditerranée dont 51 sont devenus de la terre ferme (les autres hectares construits étant des ports). Dans le même temps, urbanisé à 100%, Monaco est l’État le plus densément peuplé au monde. C’est également là que se trouve le foncier le plus cher, atteignant en moyenne 48 000 euros par mètre carré.
On peut comprendre la tentation de la Principauté : ces extensions sur mer apparaissent comme le seul moyen d’absorber la croissance de la population, au même titre qu’un excellent moteur de développement économique. Mais faut-il vraiment parler d’écologie ? Pour Alexandre Meinesz, le principe des extensions sur mer reste problématique : « On est déjà à un stade avancé de destruction, et tout ce qui est gagné sur la mer est un désastre. » Et le chercheur d’ajouter : « Pour les ports, le mieux serait de creuser sur terre, ce sont des solutions qui existent. » Ses collègues de la terre ferme ne seront sûrement pas de cet avis.