Quand les villes deviennent des pansements urbains

Ville pansement 1
17 Fév 2020 | Lecture 4 minutes

Pollution, disparition de la biodiversité, artificialisation des sols… Les villes semblent concentrer l’ensemble des maux liés à l’activité humaine. Conséquence d’un siècle de forte urbanisation, elles en sont aujourd’hui à la fois les premières victimes et les premières fautives. Parallèlement, des projets de nouvelles villes ultra-écologiques germent aux quatre coins du monde qui tentent, à leur manière, de participer au bien-être environnemental et de corriger les effets néfastes provoqués par leurs voisines sur la sauvegarde de la planète. Mais alors, la ville peut être elle un pansement pour elle même et pour les autres ?

Qui de l’œuf ou la poule est arrivé en premier ? Une question à laquelle il est bien difficile de répondre, encore aujourd’hui ! C’est une question qui se pose également pour la ville : la sur-concentration de l’activité humaine dans les villes a engendré, au fil des siècles, la dégradation de l’état de planète. Mais pourtant aujourd’hui, les villes portent-elles les symptômes des maux notre société ou en sont-elles la cause ? Une chose est sûre, les crises que connaissent la plupart des villes aujourd’hui, que ce soit à propos du logement, de la perte d’attractivité, ou encore de la segmentation sociale et spatiale, dont les manifestations des derniers mois ont été le symbole, sont bien souvent la résultante des prises de décisions politiques d’aménagement de ces 40 dernières années. Le constat est global : il est urgent de réparer, de repenser et de guérir l’urbain pour que la ville retrouve sa sérénité. Une question se pose désormais à l’ensemble des professionnels de la fabrique de la ville : quels modes d’actions sont à mettre en place pour guérir l’urbain ?

Construire pour réparer ?

Une des logiques adoptées en France depuis les années 60 pour assainir les villes existantes est d’en construire de nouvelles. Dans une période de forte croissance économique et démographique, où les logiques de lutte de l’étalement urbain ne s’étaient pas encore mises en place, le gouvernement met alors en place une politique d’aménagement du territoire pour pallier à la sur-densification des grandes villes françaises. Cette politique vise alors à la construction de neuf villes nouvelles autour des grandes métropoles dont Paris, Lille, Lyon, Marseille et Rouen… De ces politiques sont nées Evry, Marne-la-Vallée, L’Isle d’Abeau, ou encore Saint-Quentin en Yveline, des villes qui peu à peu se sont elles aussi mises à souffrir, des maux actuels de l’urbain.

Quant à aujourd’hui la logique d’aménagement tend plutôt à préserver les espaces non bâtis, tandis que  les projets de créations de villes nouvelles sont largement contestés par l’opinion publique. Pourtant, chaque année, des projets à l’international de villes nouvelles, souvent pensés par des architectes européens par ailleurs, sont publiés et mis en avant. Au programme de ces giga-projets : innovations ultra-technologiques au service de l’écologie et bien souvent dans le but de résoudre les problèmes que les autres villes ont causés.

C’est le cas d’un projet urbain situé à côté de Liuzhou en Chine. Imaginé par l’architecte italien Stefano Boeri, ce projet, initié en 2017, a pour objectif de créer une ville-forêt ultra-écologique. Ce sont en tout 70 édifices recouverts de plantations et reliés par parcs et jardins sur les 175 hectares qui vont bientôt accueillir environ 30 000 habitants. Un système urbain qui sera en capacité d’être autonome en énergie verte via la géothermie et le solaire et qui pourra absorber, grâce à la végétation, 10 000 tonnes de CO2 par an. Dans un pays où la pollution est un fléau dans de nombreuses villes, la construction de cette dernière est en partie réalisée pour absorber la pollution des villes voisines. À l’instar des villes nouvelles françaises, mais sous un aspect différent, cette dernière vient guérir celles qui l’entourent.

Les immeubles milanais de Stefano Boeri portent les principes de végétalisation des projets de villes-forêts de cet architecte italien

Les immeubles milanais de Stefano Boeri portent les principes de végétalisation des projets de villes-forêts de cet architecte italien  ©️Gábor Molnár sur Unsplash

Le projet de la ville-fôret de Liuzhou n’est pas unique au monde. C’est même la spécialité de l’architecte italien Stefano Boeri : le Mexique et l’Egypte s’apprêtent également à construire des super-villes écologiques et tech. Un engrenage semble donc s’être mis en place : la construction de nouvelles villes vertes est censée  sauver l’état de la planète.

Les entreprises privées se sont d’ailleurs emparées de la question : Toyota prévoit la construction d’une nouvelle ville au pied du mont Fuji au Japon, la “Woven city. Elle aussi, très ambitieuse, cette nouvelle smart-city est censée développer un modèle vertueux écologique.

Cette recherche de la construction de la cité utopique qui résoudrait les maux de notre société, a rythmé l’imaginaire et les constructions humaines depuis la sédentarisation de l’homme. Pourtant, la construction de ces villes salvatrices pose question : dans une logique de maîtrise de l’étalement urbain, construire de nouvelles villes, autant écologiques qu’elles soient, est-il vraiment une solution idéale ? La destinée utopique de ces villes est-elle encore d’actualité aujourd’hui et à quelle fin ?

Inverser la logique ?

Si la construction de nouvelles villes peut fonctionner comme pansement pour d’autres villes, ne faudrait-il pas inverser la logique pour qu’elles le soient pour elles-mêmes en repensant les modes d’agir de la fabrique urbaine ? Car si c’est la ville qui porte les symptômes des maux de notre société, c’est également elle qui est en la source : et pour panser les plaies ne faut-il pas directement s’attaquer à la source ?

Dans une société qui évolue rapidement, que ce soit socialement ou environnementalement, certains professionnels de l’urbain ont fait le choix de renverser la tendance en s’attaquant à l’échelle locale. En agissant sur des espaces “malades” avec des projets portés par des acteurs locaux, à moindres coups, ayant un fort impact social et environnemental, il est possible d’imaginer la ville comme un organisme vivant sur lequel on vient faire de l’acupuncture urbaine. La tendance des réinvestissements temporaires des friches illustre bien ce phénomène : une nouvelle intelligence collective, déjouant les normes imposées dans la fabrique de la ville, parvient à impulser de nouvelles dynamique en intensifiant les usages sur dans un espace qui s’en était retrouvé privé.

Dans un autre style, les “green guerilla” portées par des associations écologiques militantes ont le même impact : à une micro-échelle urbaines, elles viennent favoriser l’implantation du végétal dans le but d’améliorer non pas seulement l’esthétique urbaine, mais également pour favoriser les conditions thermiques et de biodiversité d’un espace et d’une rue.

À Bruxelles, la “green guerilla” prend place au pied des platanes où des tournesols sont plantés

À Bruxelles, la “green guerilla” prend place au pied des platanes où des tournesols sont plantés ©️brusselsfarmer sur flickr

Ce principe d’acupuncture urbaine ne se limite pas seulement à l’aménagement urbain, mais peut également stimuler bien d’autres initiatives qu’elles soient citoyennes, solidaires et culturelles. Il a principalement pour but de composer avec le déjà là pour rendre la ville plus flexible et capable d’absorber les mutations, à la fois sociales et environnementales. Pour autant, ces logiques ponctuelles, aussi nombreuses soient-elles, ne parviennent pas toujours à faire bouger les principes actuellement à l’œuvre dans la fabrique de la ville. Ces mêmes principes, qui sont d’ailleurs bien souvent des freins dans le développement de villes plus durables. Pour opérer une réelle transition et permettre aux villes de se réparer par elles-mêmes, ne serait-il pas essentiel que les modes d’actions soient impulsés par une seule logique politique commune qui permettrait d’agir de manière globale à des échelles très locales ?

LDV Studio Urbain
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