Quand l’énergie devient citoyenne !
La transition écologique est un processus long, et donc parfois frustrant. En réaction et depuis quelques années, les projets d’autoconsommation et de développement d’énergie citoyenne se déploient de plus en plus pour le développement d’une énergie verte locale. De l’énergie produite par les citoyens et pour les citoyens : solaire, biomasse, éolien, différentes solutions sont envisageables, selon les ressources du territoire.
L’idée est de reprendre en main les enjeux liés à l’énergie, à la fois en développant les énergies renouvelables, et en créant une certaine cohésion collective autour de ces enjeux. Avec un ancrage local et un système de gouvernance ouverte, cette démarche participe à relever les exigences écologiques en matière énergétique. Avec des retombées économiques sur le territoire, l’énergie citoyenne est doublement bénéfique pour la communauté locale !
Si la majorité des projets se déroule encore à la campagne, certaines villes commencent désormais à s’y mettre, a fortiori quand on sait que la participation des citoyens devient véritablement nécessaire à la révolution énergétique. Quel bilan aujourd’hui ? Quels retours d’expériences et en quoi cette démarche pourrait-elle changer la manière de fabriquer nos villes ?
Le déploiement d’initiatives à énergie citoyenne
En Europe aujourd’hui, les initiatives à énergie citoyenne se multiplient. Certains pays comme le Danemark, la Belgique, ou encore les Pays-Bas comptent déjà plusieurs centaines de coopératives d’énergie citoyenne. En Allemagne, ce sont près de 42% des énergies renouvelables qui sont gérées par les citoyens ! Environ 30% de la production d’électricité allemande serait ainsi produite par plus d’un millier de coopératives locales. L’origine de ce mouvement ? Un terreau local coopératif et une conscience environnementale déjà très présente dans la société allemande, ainsi qu’une logique décentralisée bien ancrée.
En France, le mouvement, bien que plus tardif, prend aujourd’hui de l’ampleur. Si en 2016 l’ADEME recensait 150 coopératives locales, on en compte aujourd’hui plus de 258. Le souci environnemental, l’exemple d’autres pays européens, mais aussi le développement des activités de financement participatif ont encouragé le développement de cette nouvelle voie. L’importance de l’échelon local, renforcée par le grand nombre de communes françaises, offre un cadre administratif adéquat pour mieux accompagner ces initiatives.
Le pays dispose enfin d’un grand potentiel énergétique, avec un important volume d’espaces disponibles, sur les toits comme dans les zones venteuses. L’Occitanie est actuellement la première région à énergie positive de France. Territoire à la fois venteux et très ensoleillé, ces aménités sont fortement valorisées dans les initiatives énergétiques actuelles. On y compte aujourd’hui pas moins de 18 projets en exploitation et une trentaine en développement, avec des acteurs variés : collectivités, sociétés, associations, particuliers…
Pour autant, ces initiatives gagnent doucement l’ensemble du territoire français, notamment dans les petites et moyennes villes. Ainsi, la ville de Béganne, dans le Morbihan, a mis en service le premier parc éolien citoyen de France en 2014. 4 éoliennes, financées par plus de 1000 habitants, produisent assez d’énergie pour subvenir aux besoins annuels de 6500 foyers (hors chauffage) ! À l’automne 2018, des travaux de rénovation avec des dispositifs plus aérodynamiques permettent d’améliorer la production énergétique.
Dans les Yvelines également, la Biocoop du Mantois d’Epône accueille sur son toit des panneaux photovoltaïques. C’est un tiers de la toiture de 420m2 qui permet de produire l’équivalent de la consommation annuelle d’une quinzaine de ménages. Ce bâtiment qui est à la fois un magasin, une librairie, un restaurant et des bureaux participe donc désormais au long processus de transition énergétique. Des exemples qui montrent les multiples possibilités pour passer aux énergies renouvelables, en fonction des ressources locales.
Et à l’échelle d’une métropole, ça donne quoi ?
Les métropoles aussi se mettent aujourd’hui à l’énergie citoyenne. Décryptons l’exemple parisien pour observer concrètement comment l’énergie citoyenne peut se développer. Dans le cadre de l’objectif Plan Climat de la Ville de Paris, qui vise à une production locale d’énergie correspondant à 10% de la consommation à l’horizon de 2030, et de 20% à l’horizon de 2050.
C’est dans cette optique qu’a été lancé le projet « Des quartiers populaires à énergie positive », lors de l’édition du budget participatif de 2016. Le projet, retenu par 7000 habitants, a ainsi reçu une subvention de près de 2 millions d’euros pour l’implantation de coopératives d’énergie citoyennes au sein de la métropole, d’abord dans les établissements publics, puis les logements sociaux. L’association EnerCit’IF a été sélectionnée par la Ville de Paris pour aider à la mise en place du projet, avec pour action principale d’impliquer le citoyen dans une démarche verte, afin qu’il devienne lui même « co-producteur ».
EnerCit-IF a donc participé à l’installation de 9 centrales solaires citoyennes sur les toits d’établissements scolaires parisiens. L’opération est ouverte à tous les parisiens qui souhaiteraient investir. Le choix de dispositifs photovoltaïques dans une ville dense au foncier onéreux est apparu comme le plus pertinent. L’électricité produite est ainsi soit revendue à EDF, soit consommée sur place, ou bien réinjectée dans le réseau pour servir à des utilisateurs proches.
L’approche consiste à mettre à disposition des toits publics pour le développement d’une énergie locale. Ainsi, le 4 juillet 2019 a été inaugurée la centrale solaire du collège Georges Brassens dans le 19e arrondissement. Une période de concertation avec l’équipe pédagogique et les parents d’élèves a permis de renforcer l’information et la sensibilisation auprès des élèves, autour de ces thématiques énergétiques. Aujourd’hui, ce sont 120 panneaux solaires sur près de 200m2 de toitures, dont la production énergétique atteint l’équivalent de la consommation de 10 foyers. Des projets similaires sont en cours, notamment au collège Elsa-Triolet dans le 13e arrondissement, et André-Citroën dans le 15e.
Pour mener à bien ces projets, la Direction des Constructions Publiques et de l’Architecture, la Direction du Logement et de l’Habitat ont été mobilisées. On le voit, cette initiative suppose réellement la coopération de plusieurs acteurs pour s’implanter et se développer en ville. Le chantier se déroule en plusieurs étapes : études, documents techniques, validation des services de sécurité, démarches administratives, commande des panneaux et assemblage de la centrale… Ainsi, plusieurs acteurs travaillent ensemble pour faire en sorte que les toits de nos villes contribuent à la transition énergétique. Même si il existe des contraintes inhérentes à l’espace urbain, ce phénomène peut malgré tout bien s’y développer. Certes, l’énergie citoyenne reste encore majoritairement dans les espaces ruraux, mais de tels exemples montrent bien le réel potentiel des villes en la matière.
Un lien plus fort entre acteurs de l’énergie et citoyens ?
Aujourd’hui, les évolutions du secteur énergétique permettent à plusieurs structures de profiter de subventions et financements afin d’encourager de telles initiatives, de part et d’autre du territoire. Ainsi, les prêts “Transition énergétique et croissance verte”, les “fonds de chaleur” de l’Ademe montrent la volonté d’inclure les citoyens dans cette transition.
Entreprises et start-up y participent d’ailleurs aussi : alors que le bâtiment reste le principal poste de consommation en énergie, des sociétés telles que Dalkia et Dynacité mettent au point un plan de sensibilisation pour les locataires. Des documents d’informations sont distribués et, deux fois par an, des comités de réunion « éco-participation » ont pour objectif de dresser le bilan des derniers mois, et de partager des solutions pour réduire la consommation énergétique de chacun. L’importance de l’information et du dialogue autour de cette thématique participe aussi d’une stratégie d’évolution du secteur énergétique, qui inclut l’évolution des modes de consommation.
Développer une culture de l’énergie auprès des citoyens apparaît donc comme incontournable pour concrétiser la transition énergétique, et passe aussi par le développement de projets d’énergie citoyenne. Ces derniers sont utiles parce qu’ils permettent également une prise de conscience quant à l’énergie, en rendant plus accessible et intuitive la compréhension du sujet, la connaissance de sa propre consommation, et les possibilités de production collective. D’un même mouvement, ces projets deviennent des éléments de cohésion citoyenne, autour d’une problématique à laquelle de plus en plus de gens s’intéressent. L’implantation locale et le principe participatif donnent aux gens les moyens et les outils pour mieux s’impliquer. Cet aspect coopératif fait partie des évolutions profondes et structurelles du secteur de l’énergie, qui vont s’intensifier dans les années à venir.
Le développement des énergies renouvelables permet de valoriser des ressources locales jusqu’à lors inexploitées, et de créer des filières de production et d’emploi avec un ancrage local assez fort. En effet, il n’est pas possible de développer les mêmes dispositifs, en fonction du climat ou du territoire, ce qui impose une logique très contextuelle pour chaque projet. Le développement de l’énergie citoyenne permet de lutter contre la précarité énergétique par l’éco-citoyenneté. L’évolution du comportement des usagers devient ainsi un levier essentiel de l’efficacité et de la transition énergétiques, ce qui passe d’ailleurs aussi par un meilleur accompagnement des établissements et des équipements publics face à cela. Outre l’information et les moyens de subvention, les services et infrastructures comme les transports publics font aussi partie des réponses que les villes doivent apporter pour envisager une transition énergétique réussie.
À la vue de ces évolutions, une question reste en suspens : peut-on imaginer des villes autonomes énergétiquement ?