Quand le design d’espace s’allie avec l’économie circulaire

Depuis maintenant plusieurs années, le sujet de l’économie circulaire investit de plus en plus le secteur de la fabrique urbaine. Il reste encore difficile de l’appliquer à des projets urbains, notamment à cause d’une réglementation inadaptée.

Pourtant, le studio de design d’espace Obier tente d’agir au quotidien pour rendre plus vertueux les projets immobiliers dans lesquels il intervient. Entre le renforcement du secteur du design durable local et la mise en œuvre de meubles issus du réemploi, il est la preuve que l’économie circulaire ne rime pas avec cheap.

Rencontre avec Théo Synakowski, fondateur d’Obier, pour parler de l’enjeu du réemploi dans le futur.

Dans un premier temps, peux-tu nous définir l’activité d’Obier et ses particularités ?

Théo Synakowski : Obier est un studio d’architecture d’intérieur spécialisé dans l’économie circulaire né il y a deux ans et demi. Notre activité consiste à concevoir et réaliser des espaces et du mobilier, avec des ressources matérielles et humaines du territoire, dans un souci d’économie circulaire. Notre travail va du space planning à la livraison de l’espace fini et meublé, en passant par la conception des éclairages et le choix des matériaux de seconde-main. Pour l’ameublement, nous pouvons soit concevoir du mobilier sur mesure et le faire fabriquer localement avec des matériaux de réemploi, soit prescrire du mobilier upcyclé de notre catalogue, soit sourcer des meubles reconditionnés.

Diagramme de l’économie circulaire
Source : G.Mannaerts / CC BY-SA 4.0

Pourquoi faire de l’économie circulaire dans les projets d’aménagement ?

Le système d’économie linéaire actuel (extraire, fabriquer, consommer, jeter) génère de nombreuses problématiques sociales et environnementales. Fabriquer à partir de matières premières nécessite l’extraction de ressources naturelles, dans des conditions parfois dégradantes pour l’environnement ou les personnes.  Il faut ajouter l’impact du transport car les matières premières sont souvent extraites assez loin de l’endroit où elles sont utilisées. Les modes de fabrication et de consommation génèrent ensuite d’énormes quantités de déchets (250 000 tonnes de mobilier jetées chaque année), alors qu’ils ont très souvent une valeur résiduelle et pourraient être réutilisés.

A l’inverse, l’économie circulaire produit de la valeur sociale (via des emplois non délocalisables et de l’insertion) et environnementale (en évitant l’extraction de ressources et la production de déchets) pour le territoire. Selon des études, pour la même masse de déchets le reconditionnement crée 50 fois plus d’emplois, et la réparation 200 fois plus, que l’incinération ou l’enfouissement. Le réemploi et l’upcycling permettent de créer des lieux qui ont une histoire, un sens. Je pense que cela joue sur le côté affectif. Chez nos clients on retrouve souvent une certaine fierté, un attachement vis à vis de leur mobilier réemployé.

La cuisine centrale du coworking La Ciergerie à Lyon
Crédit photo : Obier

Vos réalisations incluent la transformation d’un réfectoire en espace hybride, la conception d’un parc sportif expérimental, l’aménagement de lieux de travail et de restaurants expérientiels. Parmi tous ces projets, La Ciergerie est un exemple particulièrement représentatif d’aménagement intérieur circulaire. Peux-tu m’en dire plus sur ce projet ?

[ La Ciergerie, à Lyon, c’est une ancienne fabrique de cierges de 500m2 sur 3 niveaux réhabilitée en coworking, et dont Obier a réalisé l’aménagement entièrement en économie circulaire et locale. ]

Pour ce projet, nous avons réalisé une étude des besoins, modélisé l’implantation du mobilier, et conçu sur mesure certains éléments structurants comme les gradins et l’espace repas. Le tout est complété par des meubles upcyclés de designers comme cette banquette dont l’ossature est une barrière de chantier ou cette étagère constituée de “déchets” du bâtiment. Dans les espaces de travail, les bureaux sont issus du réemploi, ce qui a permis de limiter les coûts. Nous avons inventorié un gisement de mobiliers de bureau à la Cité Internationale et organisé la logistique pour leur offrir une seconde vie à la Ciergerie. Même les plantes ont été sauvées de la benne via la Societé Protectrice des Végétaux. Le résultat montre que l’on peut aménager un lieu quasi-entièrement avec des ressources de seconde-main (moins de 5% de neuf au total) et des savoirs-faire locaux, avec un impact social et environnemental exemplaire, sans négliger le confort et l’esthétique.

 Quelles évolutions du secteur avez-vous constatées ces dernières années ?

Comparé à nos débuts en 2021, l’économie circulaire est vraiment rentrée dans le vocabulaire des gens. Le concept s’est démocratisé grâce à des acteurs comme Backmarket, Vinted. Cela a fait sauter des freins psychologiques, des idées préconçues sur l’occasion. Et côté réglementaire, la loi AGEC [ loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire de 2021, sur le réemploi dans les achats publics ] oblige les acteurs à se pencher sur les sujet.

Quelles difficultés persistent pour développer l’aménagement circulaire ?

Actuellement, la difficulté réside principalement dans l’approvisionnement. Contrairement à la filière du neuf, le gisement est volatile. On est plus limités en choix, en quantité, et les gisements sont disponibles sur un temps court. Ce qui fait qu’on ne trouve pas toujours ce dont on a besoin. Il y a aussi un sujet de qualité : on reçoit parfois des produits de seconde main qui ne sont pas en aussi bon état que prévu. Enfin, il y a le prix de l’upcycling qui peut être bloquant. C’est produit localement, en petite quantité, et demande des machines et des savoir-faire spécifiques, mais comme les matériaux sont des “déchets”, les gens ont du mal à comprendre pourquoi c’est si cher. Les référentiels de prix dont on a l’habitude avec la production de masse sont très décorrélés de la vraie valeur des choses.

Le mobilier upcyclé du coworking La Ciergerie à Lyon
Crédit photo : Obier

Justement, comment convaincre de l’upcycling malgré certains surcoûts ?

Le design original, la durabilité et la valeur sociale et environnementale sont des arguments qui font la différence face au mobilier conventionnel. Ensuite, pour réduire les coûts, comme pour l’aménagement de La Ciergerie, nous faisons le choix de contrebalancer le prix du mobilier upcyclé avec des meubles reconditionnés, moins coûteux, pour les espaces où l’ergonomie prime sur l’esthétique.

Des pistes d’amélioration pour développer le réemploi dans les projets urbains ?

Pour fiabiliser l’approvisionnement en matériaux de réemploi, il faudrait des référentiels qualité plus standardisés, des filières plus structurées. Celà nous permettrait de mieux connaître la disponibilité des produits, et de mieux les distribuer et les vendre. Un autre levier serait de faire baisser les coûts des produits upcyclés (en optimisant les procédés de fabrication par exemple), pour se rapprocher des prix standards. Il faudrait que lors de l’achat, on considère l’impact en plus de l’objet lui-même. On peut imaginer un système de bonus-malus pour encourager les collectivités à faire des achats plus vertueux.

Enfin, à quoi ressemblerait la ville idéale en 2030 selon toi ?

Aujourd’hui, tout est trop siloté et cloisonné pour qu’on ait connaissance des gisements disponibles et des besoins. J’imagine une ville qui fonctionnerait comme un écosystème. Un métabolisme urbain où les matériaux et les produits seraient beaucoup plus en flux, circuleraient d’un espace à un autre. Les matériaux disponibles à un temps t seraient identifiés précisément pour faciliter les échanges … On trouve de très bonnes ressources sur cette approche métabolique sur la plateforme Metabolism of Cities (en anglais) et leur série de podcast.