Qatar : un terrain propice aux folies archi
Depuis plusieurs décennies, les grands noms de l’architecture investissent le Qatar pour proposer des projets d’envergure. Moyens financiers plus élevés, restrictions et normes moins présentes, le Qatar s’est inscrit comme un territoire d’expérimentation architecturale. Que cela raconte-t-il de l’évolution de l’architecture ? Quelles sont les limites ?
Le Qatar, l’eldorado de l’architecture moderne
Au cœur du Moyen-Orient, entre la mer d’Arabie et les déserts étendus, le Qatar s’est transformé en un véritable terrain de jeu pour les stars de l’architecture du monde entier. Ce pays offre un paysage urbain en constante évolution, propice à l’audace architecturale et à l’innovation. Dans les années 1980, la richesse du pays a augmenté, et de nombreux gratte-ciel ont vu le jour. Au début du développement de la ville, le défi des architectes, locaux et internationaux, était de montrer l’identité et le patrimoine du pays. Aujourd’hui cet accent sur la préservation de l’identité est de plus en plus fort. Donc, à la recherche d’une identité marquée, les architectes de renom sont invités à réaliser leurs idées, créant ainsi des monuments architecturaux spectaculaires et uniques. Des musées futuristes aux stades pour le moins originaux, chaque projet est conçu pour être sans égal. Le Qatar est donc devenu, au fil des années, le nouvel eldorado de l’architecture, attirant les talents du monde entier et donnant naissance à des réalisations qui redessinent les codes de l’architecture moderne et montre l’identité du pays. Cette façon de faire est pour le pays l’opportunité de faire rayonner sa culture mondialement et d’inviter les touristes à la découvrir dans la ville de Doha “chaque bâtiment a une histoire différente à raconter avec son design complexe et unique.” Ces architectures représentent finalement pour les autorités Qataris une stratégie unique pour faire rayonner l’identité et la culture du pays à travers le monde.
Quand les stars de l’architecture investissent le Qatar
Les différentes collaborations mondiales donnent lieu à des réalisations marquantes qui font écho à la grandeur et à l’originalité du Qatar. Des grands noms tels que Jean Nouvel, Ieoh Ming Pei, Zaha Hadid, et bien d’autres encore, ont laissé leur empreinte sur le paysage urbain qatari. Que ce soit le Musée d’Art islamique de Doha, dont l’architecture reflète la fusion entre tradition et modernité, ou le stade Al Wakrah, chaque réalisation témoigne de l’engagement du Qatar envers une grandeur architecturale. C’est l’objectif que s’est donné Jean Nouvel avec la réalisation du Musée National : “Le Qatar a des liens profonds avec le désert, sa flore et sa faune, ses populations nomades et ses longues traditions. Pour refléter toutes ces dimensions, j’avais besoin d’un élément symbolique. C’est ainsi que j’ai pensé à la rose des sables, une sorte d’architecture miniature émergeant du sable constituée de cristaux formés par l’évaporation de l’eau sous l’action du vent.”
Une métamorphose urbaine pour le Qatar
Ces projets architecturaux s’élèvent et reflètent l’ambition du pays de se hisser parmi les nations les plus avant-gardistes du monde. Cependant, cette transformation n’a pas seulement modifié le visage des villes qataries, mais a également profondément influencé l’identité nationale. Les réalisations architecturales emblématiques sont devenues des symboles de fierté pour les qataris. Le paysage urbain est devenu un miroir de l’ambition et de la vision du pays, et il continue d’évoluer, devenant le témoin silencieux d’une nation en perpétuelle métamorphose. “Le fait de contribuer ainsi à la réussite de notre nation, c’est quelque chose qui nous accompagnera tout au long de notre vie”, nous dit Ibrahim Al Jaidah, architecte qatari de renom, créateur du stade Al Thumama.
L’architecture au Qatar joue également un rôle essentiel dans le rayonnement international du pays. Les réalisations marquantes attirent les regards du monde entier, plaçant le Qatar comme une référence pour l’architecture et le design. Les musées, les stades, les tours emblématiques deviennent des icônes reconnaissables. Le Qatar s’impose ainsi comme un véritable paradis pour les stars de l’architecture, où la grandeur, l’originalité et la collaboration s’unissent.
Quand l’utopie s’avère être une dystopie…
Mais, derrière ces réalisations architecturales, derrière cette fierté, derrière cette identité mondialement connue, tout n’est pas si rose… Une réalité se cache, une réalité qui nous montre des problématiques complexes, des questions cruciales sur l’architecture qatari. C’est dans le documentaire” Qatar: Terrain de jeu des stars de l’architecture” de la chaîne Arte, que Susanne Von Falkenhausen, historienne de l’art, nous explique sa vision des choses concernant l’évolution du Qatar. Pour elle, ce qui a l’air de ressembler à une utopie architecturale n’est ni plus ni moins qu’une dystopie. “On a des îles artificielles ou l’on construit des villas pour les riches, des tours tellement entassées les unes sur les autres qu’on a du mal à les distinguer, et il y aussi ces constructions qui ressemblent à des tartes qu’un critique a qualifié de réalisations d’un pâtissier mégalo”. Il y a aujourd’hui une remise en question de ces projets titanesques, qui n’ont que très peu de sens quant aux réalités sociales et environnementales actuelles. Ces réalisations sont certes impressionnantes, mais les conditions dans lesquelles ces travailleurs exercent leur métier sont désastreuses. Rappelons-le, lors de la préparation de la coupe du monde 2022, “des estimations font état de 6 750 morts parmi les ouvriers” selon un article du journal L’OBS. Ce paradoxe, où la grandeur architecturale coexiste avec de gros problèmes sociaux, fait ressortir l’aspect dystopique de cette réalité. Suzanne Von Falkenhausen assume que “certains seraient rouges de honte si on les confrontait à leur hypocrisie”.
Au-delà de la volonté architecturale, il y a aussi un problème d’égo. “Je pense que ces stars de l’architecture sont surtout bien contentes d’avoir trouvé un pays ou elles peuvent faire ce qu’elles veulent sans qu’on les critique et ou la contrainte exercée par les pouvoirs publics ou les institutions locales est bien moindre.
Dans la quête de reconnaissance et de renommée, certains concepteurs de projets architecturaux au Qatar laissent leur ego prendre le dessus. En laissant une signature, une marque indélébile dans le paysage urbain, certains architectes se lancent dans des réalisations qui cherchent à surpasser toutes les limites et à repousser les frontières de l’imaginaire. Cette volonté de vouloir faire preuve de grandeur peut conduire à des projets axés uniquement sur la démonstration de prouesses techniques et de concepts novateurs. L’architecture, qui devrait avant tout servir le bien-être des individus et s’intégrer harmonieusement dans son environnement, peut se perdre dans des folies narcissiques. Alors, certains projets semblent être déconnectés de la réalité, sans aucune considération pratique, donnant parfois l’impression que la forme prime sur la fonction. Les concepteurs, voulant attirer l’attention et les éloges, peuvent être tentés de toujours aller plus loin, de créer des structures qui suscitent l’étonnement et l’admiration, mais qui seront peu pratiques ou peu adaptées à leur contexte.
Où en est l’architecture moderne ?
En fin de compte, cette vision de l’architecture au Qatar et ailleurs témoigne de la recherche constante d’innovation et de distinction. Il est malgré tout important de rester conscient des défis et des responsabilités qui accompagnent cette vision. Les architectes devraient peut-être continuer à s’interroger sur leur rôle dans la fabrique de la ville, à trouver des moyens d’intégrer harmonieusement l’art et la fonctionnalité, et à rechercher un équilibre entre les volontés individuelles et les besoins collectifs. Une architecture véritablement visionnaire est celle qui intègre les besoins, enjeux humains et environnementaux, tout en étant ancrée dans son contexte culturel et historique.