Pulsations urbaines : rythmes urbains et rythmes biologiques
Vitesse, performance, productivité. Voilà quelques termes qui peuvent permettre de qualifier notre société. Une société de l’immédiateté, du tout, tout de suite. Notre conception de la ville est fortement impactée par ce culte de la vitesse : flux, organisation, espace, tout doit contribuer à ce que notre rythme de ville concorde avec cette vision de vie. Seulement, à force de trop accélérer, on en vient à aller contre nous-même et à nous désynchroniser de notre rythme biologique, qui, lui, ne peut pas aller indéfiniment plus vite, au risque d’aller dans le mur. Alors quel est l’impact de cette dictature du fast and furious sur notre corps ? Comment parer aux problèmes que cela génère ?
Une pression temporelle toujours plus importante et des rythmes qui s’entrechoquent
« Le déjeuner, c’est pour les mauviettes ». C’est ce que déclarait Michaël Douglas dans le film Wall Street en 1987. Si à l’époque cela pouvait sembler une provocation, aujourd’hui ce n’est pas loin d’être une réalité. Car nos temps de pause diminuent chaque jour un peu plus et le rythme urbain tend à suivre cette tendance. Finie la différenciation jour/ nuit : l’activité est partout, tout le temps. Avec un mot d’ordre : optimisation. Car nos temps libres doivent désormais être remplis, plus de place pour l’ennui. Et cette pression temporelle génère l’apparition de pathologies urbaines : anxiété, troubles du sommeil, jusqu’au burn out. Notre bonne vieille horloge interne réclame qu’on la respecte un peu plus. D’autre part, nos rythmes urbains sont différents, et pourtant nous partageons tous le même espace. Cela génère de l’incompréhension, de la rupture à cause de ces flux et de ces rythmes qui s’entrechoquent.
Le rythme : un potentiel pour la conception des espaces urbains
Alors comment mieux utiliser le rythme afin d’en faire un outil urbain permettant d’améliorer l’expérience utilisateur de l’espace ? Comment permettre à l’usager de s’accorder avec son propre rythme et ses propres ressentis ? Bien utilisé, le rythme remplit différentes fonctions et assure des rôles distincts dans la conception des espaces. Tout d’abord, il permet d’organiser l’espace urbain. Il est également un agent régulateur, que ce soit au niveau des flux ou plus généralement du rythme de la ville. Il est également un vecteur de durabilité et de qualité de vie, notamment en s’accordant davantage avec les cycles naturels (temps, saisons…). Enfin, le rythme régule nos émotions, nos humeurs et notre perception urbaine afin de mieux se sentir dans cet espace. Le rythme est donc un potentiel à exploiter pour la conception des espaces : que ce soit en matière de santé publique, de santé urbaine, d’encouragement au vivre ensemble, les avantages d’une meilleure prise en compte du rythme sont multiples.
Pour une meilleure harmonie entre rythmes urbains et rythmes biologiques
Comment concilier les rythmes du cadre urbain avec les rythmes du corps humain ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre Charline Havart, étudiante en deuxième année de cycle Master Ville durable à L’École de design Nantes Atlantique pour son Projet de Fin d’Études. « Ma spécificité en tant que designer c’est d’inverser l’échelle de travail habituelle : je cherche à aller du corps vers la ville, et non l’inverse. En partant d’une observation sur terrain et en cherchant à comprendre la perception urbaine que peuvent avoir les usagers j’ai pu déterminer un axe de travail : reconnecter nos esprits et nos corps dans le cadre urbain, sortir de cette bulle négative et trouver son équilibre ». Pour Charline, l’objectif n’est donc pas ralentir mais de permettre à chacun de trouver son propre équilibre, son temps juste. Elle a donc développé trois possibilités de concepts, chacun étant une façon d’utiliser la ville pour trouver notre propre équilibre. « La première possibilité consiste en une artère munie de capteurs disposée à certains endroits du centre-ville. Les flux vont ainsi être captés à un instant T et générer une musique avec un battement de rythme par minute différent permettant de rééquilibrer les flux : les calmer, générer du mieux-être… ». Il s’agit donc de mieux s’accorder avec les ressentis et s’adapter en temps réel pour apaiser les tensions générées par les flux. Charline a également imaginé un espace privé situé dans des quartiers d’affaires permettant aux salariés de pouvoir déconnecter et de prendre un temps de pause : il s’agit là de permettre aux usagers de vivre une expérience les aidant à se rééquilibrer en se basant davantage sur le corps. Enfin, elle a imaginé un dispositif interactif sous la forme d’une application connectée avec l’espace public : « l’utilisateur entrerait sa destination sur l’application et indiquerait son état d’esprit du jour. L’application générerait ensuite un parcours spécifique relié à différentes installations urbaines qui s’activeraient selon nos émotions et nos ressentis ».
Au-delà de proposer des parcours adaptés pour rééquilibrer le rythme de chacun, les installations urbaines auraient d’autres usages comme reprendre certains exercices basés sur le souffle pour décompresser, utiliser la matière pour permettre de déstresser ou encore proposer des assises qui bougeraient en fonction de la respiration de la structure. Au centre de ces différentes installations, elle a imaginé une structure « bilan » qui permettrait de visualiser la pulsation générale de la ville. En somme, Charline propose une expérience sensorielle basée sur le corps pour permettre de rééquilibrer rythme urbain et rythme biologique.
Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique