Publicités sportives : le marketing territorial sensationnel
Alors que la Coupe du Monde de football 2018 bat son plein, les équipementiers sportifs rivalisent d’originalité pour mettre en scène les athlètes avec qui ils ont signé de juteux contrats de sponsoring. Si cette année Nike, Adidas et consorts se sont manifestement montrés plus sobres que lors des compétitions précédentes, il n’en reste pas moins que certaines vidéos se démarquent, notamment en soulignant l’attachement d’une ville au football, et plus largement, au sport en général. Penchons-nous sur deux vidéos récentes de Nike, où sport rime avec ville, identité urbaine et marketing territorial.
The Ball Makes us More : 11 joueurs et une ville derrière eux
Cette vidéo, réalisée conjointement par le célèbre FC Barcelone et son sponsor Nike, est un petit cours sur l’identité barcelonaise. Et elle se distingue d’autres projets du genre par sa qualité. Narrée par les joueurs de l’équipe, elle explore les facettes de la ville dans un audacieux montage en grille qui rappelle la plan orthogonal du quartier de l’Eixample, symbole des volontés de rationalité urbanistique et architecturale de la fin du XIXe siècle.
Après un plan initial fusionnant Eixample et le célèbre Camp Nou (le stade du FC Barcelone), le narrateur déclare qu’en tant que joueur de l’équipe phare de la ville, il la représente littéralement, sur le terrain. Il rappelle ce qui fait une ville : un espace géographique et urbain constitué de quartiers, de rues, de places. Puis il évoque l’Histoire, par les pratiques culturelles catalanes et barcelonaises, et par les grands noms qui ont joué dans le club.
S’en suit un rappel de sociologie du sport, sur l’universalité du football où les règles sont les mêmes pour tout le monde, et sur le rôle essentiel du 12e homme : le public. Quand l’équipe échoue, ce ne sont pas que les joueurs qui sont sur le terrain qui perdent, mais bien toute la ville ; d’où l’importance cruciale de bien la représenter. On retrouve cette idée dans le célèbre morceau “You’ll Never Walk Alone”, de Gerry and the Pacemakers, devenu hymne officiel du club de football Liverpool FC : dans la victoire comme dans l’adversité, les joueurs ne seront jamais seuls sur le terrain, portés par leurs supporters, dans les tribunes comme devant leur télévision.
La vidéo se conclut sur un rappel de la multiplicité de la ville, qu’il s’agisse de couleurs de peau, de genre, de classes sociales, d’âges… Toutes et tous vibrent pour la même équipe, en dépit de leurs différences. Le FC Barcelone devient vecteur d’unité citadine, comme ont été les devises de ville par le passé.
Il est intéressant de constater que dans cette vidéo, le seul monument barcelonais notable représenté est le Camp Nou. Bien que le quartier de l’Eixample soit au coeur de la mise en scène, aucun des plus grands moments barcelonais (comme la Sagrada Familia ou la Casa Mila) n’apparaît dans la publicité. Peut-être est-ce là une façon de dire que les stades sont devenus les cathédrales de ce XXIe siècle, et donc que le sport rassemble davantage que les religions ? Ou peut-être est-ce là un moyen de remettre l’humain au centre (puisque c’est le thème de la vidéo) : on voit des sportifs, des supporters, une cantatrice, des citadins ; la ville n’est montrée que du dessus, ou alors ce sont des plans tournés à même la rue. De fait, les seules constructions mises en valeur sont le stade, évidemment, et les castells, ces tours humaines, centrales de la culture catalane ! En somme, ça n’est pas la ville qui fait ses habitants, mais bien les habitants qui font la ville… L’équipe locale se doit donc de les représenter comme il se doit.
Nothing beats a Londoner : l’esprit olympique toujours vivant
On change de pays et d’ambiance pour cette seconde publicité Nike, mettant en scène Londres et ses habitants. Vidéo à vertu d’abord humoristique, elle montre différentes londoniennes et londoniens dans leurs pratiques quotidiennes du sport. On a droit à quelques stéréotypes, de l’écolier en uniforme au street footballer rêvant de gloire, en passant par l’héritier de grande famille ou la tenniswoman jouant qu’il vente ou qu’il pleuve… Mais ce spot publicitaire rappelle également que Londres ne tient pas son surnom de “Ville-Monde” de nulle part ! Des jeunes Londoniennes et Londoniens de toutes origines et extractions y sont alors représentés. Surtout, elle joue sur le côté “grande gueule” de ses habitants, entre humour et persévérance individuelle. Quelques stars locales font leur apparition, des sportifs comme l’athlète Mohamed Farah ou le footballeur Harry Kane, et des artistes comme le rappeur Skepta.
A l’instar d’autres publicités récentes de la marque très urbano-centrées, Nike s’est davantage attaqué à l’identité culturelle de la ville : le sport est une facette, certes, mais la musique y a une place au moins aussi importante. On découvre un quartier de Peckham peuplé de squelettes, un East End équestre et une Tamise gelée. On y voyage en métro, évidemment, mais aussi en cab, à pieds, en skate, en aviron, à la nage ou en vélo diminué. On observe également les installations sportives londoniennes, notamment les terrains multifonctionnels où basketteurs, footballeurs, tennismen, joueurs de Jenga et rugbymen doivent jouer des coudes pour pouvoir pratiquer leurs passions respectives.
Comme la vidéo du FC Barcelone, celle tournée à Londres montre avec une exubérance amusante qu’à travers le sport et leur appartenance urbaine, les citadins sont unis dans leurs différences. Certes, ils et elles ont tous et toutes des problèmes spécifiques leur empêchant de d’accomplir leurs rêves. Mais tous se passionnent pour une activité sportive pratiquée dans une ville accueillante et déchaînée. En outre, en mélangeant ainsi sport, musique et aspects socio-urbanistiques, Nike se pose davantage comme un acteur culturel à part entière que comme une simple marque de vêtements de sport.
Ces vidéos peuvent paraître anecdotiques et, dans une certaine mesure, elles le sont. Après tout, il s’agit d’abord de vendre des baskets ou des maillots de foot. Cependant, dans la façon qu’elles ont de mettre en scène le sport urbain, la ville et ses habitants, une partie du message est magnifié. De la souveraineté citoyenne à l’appartenance à un territoire, certaines grosses marques sportives orientent de plus en plus leur discours vers des horizons marketing plus larges. Et le résultat est aussi convainquant qu’étourdissant !
Pour aller plus loin :
- Més que una publicitat : la ville-stade, caricature catalo-qatarie – pop-up urbain 2013
- Urbanités footballistiques : vers des stades AOC ? – pop-up urbain 2012