Pour en finir avec la gabegie des sportivités démesurées
Le coût des grands événements sportifs atteint aujourd’hui des sommes surréalistes, entraînant les territoires dans un jeu dangereux pour les finances publiques… Cet anachronisme moderne, incarné dans les Jeux Olympiques et autres Coupes du Monde, est une invitation à réinventer le modèle des grands rassemblements sportifs… et à retrouver le chemin de la raison face à celui de la démesure absurde.
Début septembre, l’UEFA a dévoilé la liste des villes sélectionnées pour accueillir le Championnat d’Europe de football en 2020 ; une liste qui associe Glasgow, Bucarest et Saint-Pétersbourg en passant par Bilbao… et même Bakou, en Azerbaïdjan. Difficile de faire plus éclectique que cette sélection bigarrée ! Cela n’a d’ailleurs rien d’anodin. En effet, les nations et métropoles du globe entretiennent un rapport de plus en plus paradoxal à l’égard des grands événements sportifs, en particulier les grands raouts footballistiques et les jeux olympiques d’hiver ou d’été. Le choix d’organiser cet Euro dans différents pays n’est finalement que le reflet de la “crise de confiance” que traversent ces gigantesques foires au sport-roi, si prisées il y a encore quelques années.
L’injonction de la démesure
Le cas brésilien, sous les feux des projecteurs cet été avec l’organisation de la Coupe du Monde 2014 (précédée par la Coupe des Confédérations en 2013, et suivie par les Jeux Olympiques à Rio de Janeiro en 2016), a montré les limites d’un modèle événementiel de plus en plus coûteux – en termes financiers bien sûr, mais aussi sur les plans politiques et sociaux.
La gourmandise des institutions responsables de ces événements (FIFA et UEFA, CIO), dont les cahiers des charges toujours plus exigeants amènent les pays à dépenser plus que de raison, trouve aujourd’hui ses limites dans la pénurie des finances locales… mais aussi et surtout dans le caractère par définition éphémère de tels événements. S’il est possible de “rentabiliser” une partie des investissements, par exemple en accueillant d’autres événements avant et après, comme le fait le Brésil, la majorité reste malgré tout “à perte” – au grand dam des citoyens, qui préféreraient que cet argent serve à des infrastructures plus prioritaires.
La fabrique des villes-fantôme
La première conséquence de telles contradictions (dépenses pharaoniques pour des événements éphémères) est la fabrique de véritables “villes-fantôme”, territoires abandonnés après la cérémonie de clôture. Le dernier exemple en date est d’ailleurs tout frais, remontant aux Jeux Olympiques d’Hiver 2014. Moins d’un an après le départ des derniers médaillés, Sotchi ressemble en effet à une gigantesque friche sans âme, peuplée d’hôtels et de centres sportifs qui ne connaîtront plus jamais l’affluence de février dernier.
En remontant un peu, on peut aussi reprendre le cas des Jeux Olympiques d’Athènes, organisés il y a tout juste dix ans, que certains accusent d’être partiellement responsables de l’interminable crise que traverse la République hellénique depuis la fin des années 2000. La majorité des infrastructures construites à l’époque est aujourd’hui désaffectée, sans que rien ne justifie une telle gabegie – les retombées économiques de l’événément étant largement en-deçà des espérances. Comme le résumaient nos confrères d’Urbanews :
“Devant les effets destructeurs des Jeux Olympiques sur les villes, ne serait-il pas opportun de repenser l’organisation de cet événement sportif, afin de diminuer l’importance des constructions et leurs effets néfastes, ou encore de mieux penser sa gestion post-événement, afin de retrouver une utilité à ces infrastructures ?”
Une équation pour retrouver la raison
Le compromis proposé par l’UEFA pour l’Euro 2020, s’il répond à d’autres objectifs que la seule limitation des dépenses locales, peut être vu comme une réponse aux refus des nations de se laisser entraîner dans un jeu dangereux pour les finances publiques. En confiant l’organisation à plusieurs pays et surtout une seule ville par pays, cette solution doit permettre d’alléger les comptes tout en préservant le gain d’attractivité que représente l’accueil de tels événements. Car tout réside bien sûr dans ce difficile équilibre entre bénéfices et investissements…
Mais il est possible d’aller plus loin que ces quelques bricolages administratifs ! C’est en tout cas le message porté par les architectes français responsables du projet “Casa Futbol”, à haute teneur ironique, qui proposent de réhabiliter les stades brésiliens inutilisés… en les remplissant littéralement de logements modulaires. Une manière de rendre plus “durable” ces investissements éphémères !
“Le projet “Casa Futebol” propose une réappropriation des stades rénovés ou construits pour la Coupe du Monde à l’aide de modules de logements d’une surface approximative de 105 m². Les stades continueront à fonctionner, recevant des matchs dont une partie des recettes pourra financer la construction et l’entretien des maisons. Nous remplaçons une partie des gradins par des logements préfabriqués et nous colonisons la façade extérieure. Casa Futebol apporte une échelle humaine dans ces constructions démesurées.”
Voilà peut-être la solution pour sortir de l’équation pernicieuse qui fait oublier que le sport doit rester une fête urbaine, et non une épée de Damoclès flottant au-dessus de villes aux finances exsangues. Rappelons qu’en 1976, les électeurs de Denver s’étaient prononcés contre l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver, qui avaient été attribués à la ville quelques années plus tôt, en raison du surcoût que cela aurait généré. Si les grandes instances du sport mondial ne veulent pas connaître à nouveau pareille mésaventure, elles feraient mieux de se méfier : la gabégie des sportvités démesurées est une impasse anachronique, dont il est impératif de sortir au plus tôt.
Diaporamas :
- Les sites abandonnés des Jeux olympiques d’Athènes 2004 en photos – sur Slate
- Six mois après, Sotchi est devenue une ville-fantôme – sur Kombini
Pour aller plus loin :
- Denver, la seule ville qui a dit non ses jeux – sur Slate
- 2020 : l’Euro de l’Atlantique à l’Oural – sur Les Cahiers du football