Plastique everywhere : Décryptage d’une société sous emballages
« Le plastique c’est fantastique. Le caoutchouc, super doux. » Le groupe de rock nantais des années 90 Elmer Food Beat (auteur de ce refrain entêtant) aurait pu être conseiller en communication pour le compte des frères Hyatt. En effet, le duo américain s’est inscrit à l’aube des années 1870 à un concours ayant pour objectif de trouver une matière susceptible de remplacer l’ivoire dans la fabrication de boules de billards. Ils inventaient alors le celluloïd, une matière composée de nitrate de cellulose et de camphre, qui sera considérée comme la première matière plastique.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et notre société s’est retrouvée plastifiée de toutes parts… Le billet qui suit souhaite rappeler l’étendue du désastre écologique provoqué par l’utilisation massive de cette matière du quotidien. Nous reviendrons alors sur l’ampleur du phénomène et sur l’hypocrisie des démarches prises pour réduire ce dernier.
La dynastie régnant sur nos déchetteries
Issu du grec plastikos, signifiant « malléable, qui peut être modelé », le terme « plastique » désigne aujourd’hui, une grande famille de plus de 700 types de composés fabriqués à partir de pétrole raffiné, permettant l’obtention de polymères (chaînes de molécules). Afin de répondre aux besoins de nos sociétés, le plastique s’est avéré une innovation majeure de part sa simplicité de fabrication, son faible coût économique, sa solidité, sa légèreté, sa résistance et surtout sa malléabilité. Cependant, pour obtenir ses propriétés, nombre d’éléments tels que le chlore, l’azote ou le brome y sont ajoutés durant l’étape de fabrication, sous forme d’additifs ou d’adjuvants.
Révolutionnaire avant d’être délétère, le plastique s’est rapidement immiscé dans les moindres recoins de nos vies. Il a ainsi « redéfini notre culture matérielle et les objets que nous laissons derrière nous » jusqu’à le retrouver « en couches stratifiées dans nos déchetteries », comme le résumait l’archéologue John Marston dans un article sur Sltate.
Après l’âge de pierre et l’âge de fer, on vivrait actuellement dans l’âge du plastique d’un point de vue géologique…
Le plastique, pour quoi faire ?
Dix tonnes de plastique seraient produites chaque seconde dans le monde. Depuis sa généralisation à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale – passant d’un usage principalement militaire à un usage prépondérant par des grandes firmes agroalimentaires -, le plastique utilisé pour les activités de packaging (d’emballage) représente plus de 44% du total de plastique fabriqué.
Les avancées technologiques corrélées avec l’amélioration des conditions de vie ont participé à l’avènement d’une consommation de masse qui touche désormais tous les secteurs de nos sociétés. Des industries automobiles, aux entreprises d’ameublement et du bâtiment, la production de plastiques n’a cessé d’augmenter ces dernières années malgré les crises financières et les chocs pétroliers.
Le secteur de la construction représente la deuxième part la plus importante de consommation après les emballages et la production d’objets. On le retrouve en effet, dans les tuyaux d’évacuation des eaux usées sous la forme de PEHD (Polyéthylène haute densité), dans l’encadrement de nos fenêtres à des fins d’isolation thermique et sonore, dans le revêtement des sols, dans la mousse isolante, dans les parois des murs, et même dans la peinture…
A l’heure des injonctions à la ville durable, il est paradoxal de constater que les objets du quotidien vivent plus longtemps que leurs propriétaires humains…
Il faut sauver les océans…et l’humanité !
Non recyclé[1], un plastique jeté dans les poubelles d’ordures ménagères (ou pire : laissé à l’abandon sur une plage, un parc, ou sur le bas-côté de la chaussée) finira sa course dans les océans. Environ 80% des déchets ramassés sur le littoral sont faits à partir de matière plastique. Emportés aux larges, ils contribuent à la destruction de la faune et la flore marine. N’importe qui sait aujourd’hui que les tortues de mer ingèrent des débris de sacs plastiques en les confondant avec des méduses…
Les impacts environnementaux du plastique sont considérables sur le long terme. Car, pour ne rien gâcher aux dégâts déjà mentionnés, le plastique multiplie ses méfaits. Lorsqu’il se dégrade en microparticules, celles-ci participent au transport de polluants organométalliques tels que les pesticides ou les hydrocarbures.
La forte concentration de ces microparticules dans nos océans forment alors, par les courants, des gyres frénétiques qui représentent une menace presque invisible. Cette dernière est pourtant bel et bien nuisible pour l’environnement, mais également pour notre santé. Indirectement, les plastiques perturbent ainsi la chaîne alimentaire en se retrouvant dans l’estomac de poissons que nous consommons sans nous soucier des conditions de pêche… Pour ne donner qu’une petite idée de ce désastre, on sait qu’aujourd’hui plus de 1,6 million de kilomètres carrés de détritus flottants asphyxie le Pacifique.
Sonnant le tocsin, plusieurs citoyens sont montés au créneau pour faire reconnaître la dangerosité de certains plastiques. Pointé du doigt, le facteur cancérogène aggravant dû à la présence de Bisphénol A dans la composition de la plupart des objets plastiques. Interdit dans les biberons par la législation française depuis 2010 au nom du principe de précaution, le Bisphénol A est classé parmi les « substances les plus préoccupantes », en tant que perturbateur endocrinien, par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
Bisphénol A, Phtalates, et autres noms barbares, sont au premier rang des accusés dans la baisse de fertilité, du diabète ou encore des maladies cardio-vasculaires qui touchent énormément de personnes dans le monde.
Plastique, ton univers impitoyable
Dans une enquête effarante intitulée « Plastique, la grande intox », les journalistes de Cash Investigation ont décapé en septembre dernier l’image vernis des lobbies industriels ayant déployé des stratégies peu reluisantes pour faire peser le poids de la culpabilité sur les consommateurs. Les liens étroits tissés entre groupes de défense de l’environnement et producteurs d’emballages démontrent que les chaînes de recyclage ne seraient en réalité que pure mirage. L’association Gestes propres, qui organise des campagnes de sensibilisation pour lutter contre les déchets sauvages et marins, est ainsi financée par les vendeurs de plastique tels que Coca-Cola, Danone et consorts.
Chaque année, 120 milliards de bouteilles en plastique – soit 4000 chaque seconde – sont vendues par Coca-Cola Company dans le monde. En théorie, chaque bouteille de Coca doit être composée de 50 % de plastique recyclé. Pure démagogie… Alors qu’en 2008 la firme s’était engagée à mettre 25 % de plastique recyclé dans ses bouteilles dès 2015 ! En réalité, les célèbres bouteilles parées de rouge et de blanc n’en contiennent actuellement que 7%.
Face aux connivences lucratives entre politiciens et industriels, nulle remise en cause législative n’est assumée pour rompre avec des modes de production qui nous mènent assurément vers une disparition programmée de l’Humanité.
« Quand il y aura le choix entre deux bouteilles, l’une fabriquée en plastique recyclé et l’autre non, la première sera moins chère »
Espérons que la proposition de Brune Poirson – secrétaire d’Etat à la Transition écologique et solidaire pour qu’à partir de 2019 – ci-dessus ne sera pas qu’une bouteille de plus jetée à la mer…
Si le recyclage s’avère être un mirage, la solution ne serait-elle pas de repartir de la base ?
Déplastifier demain, est-ce encore possible ?
Surfant sur la vague de l’économie circulaire, de nombreuses entreprises semblent vouloir teinter leur image d’un peu plus de vert. Lego ou encore Adidas sont les pionniers d’une économie disruptive en misant sur le plastique recyclé ou des produits naturels (comme la canne à sucre) comme matière première dans leur chaîne de production. Nouveau souffle ou paroles en l’air ?
S’il s’avère de plus en plus nécessaire de s’appuyer sur des innovations technologiques pour accompagner le changement de nos modes de production et de consommation, il reste néanmoins à s’outiller de pédagogie pour transformer l’ADN de nos sociétés plastico-urbanisées. A l’heure où de plus en plus de citoyens font preuve d’intelligence individuelle et collective en inventant de nouvelles manières de sensibiliser, de communiquer, de créer et d’agir pour assainir notre ère, qu’attendent les politiques pour s’engager à décrasser, au sens propre comme au figuré, notre démocratie ?
Tour d’horizon de quelques solutions :
- Un filament en plastique recyclé pour imprimante 3D
- La maison du zéro déchet
- Plastic Attack
- Sauvage, la marque qui dépollue la Méditerranée
[1] Petit rappel du temps de dégradation des objets plastiques :
Briquet en plastique : 100 ans
Sac plastique : 450 ans
Emballage plastique d’un pack de 6 bouteilles : 400 ans
Bouteilles en plastique : 400 ans
Diane Devau