Planification urbaine à São Paulo, quel avenir pour la ville ?
La ville de São Paulo traverse depuis quelques années une crise du logement. Elle était devenue un cas d’étude d’étalement urbain anarchique et d’inégalités urbaines avec plus d’un million d’habitants vivant encore dans les favelas ou les immeubles abandonnés en centre-ville. En 2014, la ville a lancé un grand plan d’ensemble pour qu’en 2030 soient construits plus de 700 000 unités résidentielles. À cela s’ajoute une transformation urbaine d’ampleur avec la création d’espaces publics, de pistes cyclables et d’équipements. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quelles transformations à venir pour la ville ?
Aménager une ville géante
Dans les villes à la croissance exponentielle comme celles du Brésil, d’immenses zones d’habitations non planifiées ont regroupé les populations les plus défavorisées : on les appelle bidonvilles ou favelas dans la version sud-américaine. Ces zones sont le plus souvent ignorées des politiques urbaines, qui les considèrent comme des habitats provisoires et ne prennent pas en compte l’existence de ce bâti informel, mais aussi des populations qui y vivent. La plupart du temps lorsque la ville s’étend, les favelas sont rasées et de nouvelles se construisent plus loin, dans les zones périphériques ou au relief trop complexe pour être aménagées, comme sur les flancs de montagne, typique des favelas de Rio de Janeiro. La ville de São Paulo fait partie de ces villes à la croissance folle. Centre économique du Brésil, c’est une des plus grandes mégalopole au Monde mais elle est aussi réputée pour ses inégalités extrêmes dont les frontières visibles entre quartiers riches et favelas sont devenues des images célèbres et emblématiques.
À São Paulo la situation est particulièrement urgente car sa croissance démographique est exponentielle, puisque depuis 1940 la population de la ville a été multipliée par 10 ! Ainsi, elle a atteint 11 millions d’habitants en 2010, tandis que l’aire urbaine compte elle, près de 20 millions d’habitants, ce qui en fait la 12e aire urbaine la plus peuplée du monde. Pourtant, même si São Paulo représente le centre démographique et économique du Brésil, de nombreux problèmes de logement et de pauvreté existent, puisque 1,2 million de Paulistes (gentilés de São Paulo) vivent dans des favelas.
L’autre défi de l’aménagement de São Paulo est celui du transport, l’extension de la ville augmente la durée des trajets et les transports en commun ne desservent pas tous les quartiers. Dans une aire urbaine de 20 millions d’habitants, soit près de deux fois celle de Paris, les transports publics sont beaucoup moins développés. Le métro compte seulement 6 lignes pour 79 stations, il est donc régulièrement saturé. De nouvelles lignes de métro sont prévues pour pallier ce manque en plus d’une augmentation du réseau de bus.
Réglementer les favelas
Dans les années 2000, la ville a commencé à considérer les favelas comme une partie intégrante de la ville et des aménagements d’accès à l’eau et l’électricité ont été réalisés pour un grand nombre d’entre-elles. Les plans de la ville ont cartographié les favelas ce qui a permis de les inclure dans la planification urbaine de São Paulo. Une approche très différente d’autres villes du monde qui considèrent encore les bidonvilles comme des espaces informels, gardant ainsi leur statut illégal qui justifie souvent le fait de ne pas compter ces populations, de ne pas aménager ces espaces et même de les raser.
Au Brésil, il existe une reconnaissance des quartiers pauvres, y compris les favelas informelles. Cela grâce au zonage des ZEIS (Zonas Especiais de Interesse Social / Zones Spéciales d’Intérêt Social), des zones urbaines dont l’usage est destiné exclusivement au logement social. Dans cette classification on retrouve les favelas, mais aussi les immeubles à l’abandon, les friches urbaines ou les terrains sous-utilisés. Grâce à ce statut de nombreuses favelas classées en tant que ZEIS sont prises en compte par les pouvoirs publics. Cela permet aux habitants d’être reconnus et de pouvoir conserver leur droit d’habitation sur ces terrains occupés de manière informelle. Cette protection aboutit même à des situations où les favelas ne sont pas démolies malgré la pression immobilière, car protégées de la destruction, et se retrouvent alors entourées par les tours. Ainsi, il existe aujourd’hui au Brésil des quartiers pauvres en centre-ville qui se défendent contre les expulsions, comme dans la ville de Recife dans le quartier Brasilia Teimosa (“Brasília la têtue”) où la population s’est battue pour préserver son quartier face à la pression immobilière, ce qui crée un contraste fort en plein cœur de la ville. Cet écart est resté car ces quartiers qui devaient bénéficier d’aides pour se rénover ont finalement eu peu de moyens et cela parce que les investissements se sont concentrés sur un autre modèle de logements sociaux : Minha Casa Minha Vida.
Le pays a donc un déficit de 6 à 9 millions de logements essentiellement pour des familles en situation de pauvreté. De plus, l’accroissement de la population prévoit qu’il sera nécessaire de construire 1 million de logements supplémentaires par an jusqu’en 2030 ! C’est pour endiguer ce problème, qu’en 2009, le Brésil a lancé le programme MCMV (Minha Casa Minha Vida / Ma Maison Ma Vie). Un programme de logements qui consiste à créer de nombreux logements en dehors des villes à base de maisons à la conception ultra-simpliste. Un parallèle pourrait être fait avec la construction des grands ensembles en 1950 en France mais le programme MCMV est beaucoup plus sommaire.
Cette solution a permis de vider certaines favelas tout en assurant le relogement des habitants mais a aussi déplacé des populations pauvres dans les zones excentrées des villes, voire même en pleine campagne. Un déménagement dans des logements de meilleure qualité et dans des zones moins dangereuses que les favelas, certes, mais générant néanmoins de nouveaux problèmes d’exclusion du fait de leur distance avec la ville. Car dans les favelas, les logements restent centraux, ce qui permet aux populations d’avoir un accès facilité à l’emploi grâce à une proximité avec les commerces et les quartiers plus aisés.
Une politique d’acceptation de l’extrême pauvreté qui est à double tranchant. D’un côté l’état reconnaît leur existence, les protège de l’expropriation et engage des aménagements de voiries, d’accès à l’eau et l’électricité, de connexion aux égouts. De l’autre, cette tolérance peut être vu comme une volonté de ne pas améliorer la condition de ces habitants, et donc comme un outil pour légitimer la situation des favelas pour éviter de fournir des logements avec un meilleur niveau de vie.
Un plan de logement pour les populations les plus démunies
La priorité du plan est donc le logement des personnes les moins aisées vivant dans les favelas. En 2002, un rapport de la mairie avait montré une inégalité extrême dans la ville. Selon un index des Nations Unies, les quartiers les plus riches de São Paulo avaient un niveau supérieur à celui du Portugal tandis que certaines favelas étaient plus pauvres que le Sierra Leone, l’un des pays les plus précaires au Monde.
En été 2014, un nouveau plan directeur pour le développement urbain de São Paulo a été approuvé. Le plan a été travaillé dans sa conception avec les citoyens au travers de nombreuses concertations publiques, d’ateliers et de rencontres. Au total 114 concertations publiques ont eu lieu, réunissant 25.000 personnes pour 10.147 recommandations pour améliorer la ville ! Le projet est de réduire l’inégalité qui règne dans la ville par l’accès au logement.
Car dans la ville brésilienne, les différences se creusent. São Paulo connaît un développement anarchique conduit par des investissements privés qui détruisent des quartiers entiers et construisent des tours de logements qui ne sont pas accessibles à la population pauvre. Cela crée un paysage où des tours de standing côtoient des bidonvilles et des squats tandis que dans d’autres parties de la ville, les immeubles anciens mal entretenus peuvent s’apparenter à des favelas verticales. L’edificio São Vito, un immeuble des années 50 qui a accueilli jusqu’à 3.000 habitants, est très représentatif de ces tours à l’abandon. Il était devenu avec sa détérioration un immense squat jusqu’à sa démolition en 2011. Ces bâtiments sont reconnaissables par leurs façades recouvertes de graffitis en forme de runes : les pichação. Une forme de tag spécifique au Brésil et notamment à São Paulo, dérivé des écritures d’albums de heavy metal et souvent inscrits dans des lieux difficiles d’accès comme les hautes façades d’immeubles.
Le slogan du plan de développement est “Humaniser et rééquilibrer São Paulo pour le 21ème siècle”. L’ambition est de créer 717.000 nouvelles habitations d’ici à 2030. Un projet qui selon le maire Fernando Haddad va changer d’une “façon révolutionnaire” l’urbanisme de la ville. Le plan s’intéresse avant tout à la construction de logements pour la population la plus pauvre de la ville. Pour attirer les promoteurs, la ville autorise ceux-ci à construire plus haut et plus grand que les limites habituelles mais uniquement si 60% des logements sont accessibles pour cette population. Si le plan est relativement bien accueilli du fait de sa volonté de fournir des logements en priorité au plus démunis, certaines critiques se font entendre, notamment sur l’aspect purement résidentiel du projet. Des propositions ont été émises pour créer plus de zones mixtes mélangeant habitat et commerces.
Ce nouveau plan s’attaque à la densification des logements en centre-ville, soit par la construction de bâtiments sur les espaces peu utilisés ou en friche (des zones dans lesquels il est possible de construire des bâtiments aux fonctions différentes dans la ville), soit par la rénovation des immeubles abandonnés pour fournir rapidement des appartements aux familles les moins aisées.
Mais le futur du projet est incertain, à cause de sa durée, car il devra passer dans les mains de nouveaux gouvernements qui pourraient ne pas continuer le plan engagé par le maire Haddad. Les partis politiques brésiliens sont englués dans des affaires de corruption qui rendent incertain l’avenir politique du pays et des villes. De plus, il y a une difficulté de continuité en général, dans l’exécution des projets au Brésil lors de la transition de pouvoir. Si la croissance de São Paulo continue à ce rythme, amplifiant la pénurie de logements, les inégalités en ville risquent de s’accroître. La solution du programme MCMV pourrait permettre d’endiguer cette pénurie, mais certainement au prix d’une ségrégation spatiale des populations les plus pauvres qui se retrouveront dans la périphérie lointaine des villes.
Demain, la ville brésilienne va se densifier et gagner en hauteur. Une ville titanesque est en train d’émerger et pourrait devenir l’une des villes les plus importantes du 21ème siècle. La planification dans les mégapoles est un défi complexe à relever pour de nombreuses villes émergentes à la démographie en forte croissance comme Lagos, Mexico, Buenos Aires, Delhi ou Bombay qui connaissent toutes des écarts grandissants entre des populations connaissant une précarité extrêmes et de nouveaux “riches”.
Le plan de São Paulo pourrait permettre de les réduire à l’aide de nouveaux logements dans le centre de la ville qui permettraient de maintenir une mixité au sein de la ville et de ne pas créer une “gated communities” géante au cœur de São Paulo, ces quartiers résidentiels de personnes aisées privatisés et sécurisés. La plus grande ville brésilienne affiche avec ce plan d’aménagement la volonté de concerter avec les habitants, de fournir des logements à tous, de préserver la richesse de la diversité de sa population et d’éviter une marginalisation toujours plus grande des plus fragilisés. Elle a l’ambition de ne pas laisser à l’arrière, en périphérie, une partie de sa population. Reste à voir si les troubles politiques ne compromettront pas cette belle initiative, et si un tel plan suffira, tant le défi est colossal.