Quelle place pour l’ornement dans nos villes ?
« L’ornement est un crime ». C’est par cette phrase restée célèbre que l’architecte Adolf Loos a signé la mort de l’ornement dans un texte publié en 1908. Devenu le paria du modernisme, l’ornement se fait discret et, victime d’une véritable chasse aux sorcières, ce dernier a peu à peu disparu de nos villes.
Car dans un monde où la forme suit la fonction, où « less is more » l’ornement est jugé futile et inutile. Mais chaque médaille a son revers, et, si les modernistes ont gagné la bataille de la fonctionnalité, aujourd’hui nous vivons dans des villes aseptisées et uniformes. Alors ne pourrait-on pas laisser une seconde chance à l’ornement ? Comment lui permettre de trouver une juste place dans nos villes ?
Ornement et ville lente
Si l’ornement s’est estompé dans l’espace urbain, c’est aussi en raison de nos modes de vi(ll)es. Car dans une ville à 50 km/h, pas le temps de s’intéresser aux détails : on va à l’essentiel. Mais aujourd’hui la tendance est à l’inverse, on ralentit le rythme de la ville et on privilégie la qualité à l’efficacité. Ainsi, c’est dans les villes dites lentes que l’ornement fait son retour en grâce. Ce n’est pas pour rien, par exemple, que des mouvements artistiques prônant un retour à l’ornement naissent dans ce genre de villes. C’est le cas par exemple du style psychédélique qui prend racine à San Francisco, l’une des villes les plus marchables des États-Unis. Prendre le temps d’admirer les détails, de comprendre l’espace qui nous entoure, de se questionner et de s’émerveiller sont donc des préalables à la réhabilitation de l’ornement.
Ornement et réappropriation de l’espace
Permettre à l’ornement de retrouver sa place dans nos villes, c’est aussi une manière pour ses usagers de pouvoir se réapproprier l’espace urbain. Des murales mexicains au street art de plus en plus présent dans l’espace public, l’ornement est une façon d’apposer sa signature, de montrer sa présence et de se rendre maître de sa vi(ll)e. Mais pas besoin d’aller jusqu’à écrire sur les murs pour se persuader que l’ornement est un facteur de réappropriation de l’espace : fleurir un balcon, décorer une façade sont autant de moyens de s’affirmer et de montrer sa personnalité, sa singularité en tant que membre d’une communauté urbaine plus large. Ainsi, l’ornement n’est pas uniquement décoratif mais permet aux usagers d’être pleinement parties prenantes de la conception de leur espace urbain.
Ornement et identité
Si l’ornement permet la réappropriation de l’espace, il relève donc de l’aspect identitaire d’un lieu. De plus, l’ornement est intimement lié à notre culture. Ainsi, selon les endroits du globe il sera plus ou moins privilégié. C’est justement à cet aspect identitaire de l’ornement qu’Adnane Benmaajouz, étudiant en deuxième année de cycle master Ville durable à L’École de design Nantes Atlantique, a choisi de s’intéresser pour son projet de fin d’études. « Je suis originaire de Casablanca, au Maroc, une ville tiraillée entre des motifs culturels forts et une volonté moderniste. Ainsi, je me suis demandé comment permettre aux habitants de s’approprier les façades d’immeubles récents grâce aux ornements ». C’est par le biais du balcon qu’Adnane a choisi de donner la possibilité aux habitants de s’exprimer grâce à des modules pouvant s’adapter aux goûts et aux besoins des habitants. Ainsi, l’ornement n’est plus uniquement décoratif mais revêt une véritable fonction : tantôt espace de rangement, tantôt barrière de protection, tantôt moyen de réguler l’éclairage, ce module réalisé en matériaux issus de l’artisanat marocain redonne ses lettres de noblesses à l’ornement. L’occasion de réaliser le doux rêve formulé par William Morris et partagé par tout designer : réunir les beaux-arts et les arts utiles.
Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique