Piloter la santé des parisiens depuis les égouts

Et si on pouvait connaître l’état de santé des parisiens à distance ? Un projet de recherche francilien étudie la composition chimique des eaux usées pour tenter de renseigner les usages et pratiques des habitants.
Comme chaque mois, plongez dans le futur de la ville avec notre série “Habiter 2035”, où l’on vous dresse des scénarios possibles pour la prochaine décennie. Retenez votre souffle, immersion dans 3, 2, 1 …
La notification sonne chaque lundi matin à la même heure, c’est le mail de l’Observatoire des eaux usées. Comme à chaque fois, Rémi s’interrompt pour aller consulter son bilan hebdomadaire. Depuis qu’il a accepté de participer à une expérimentation pour mesurer la composition biochimique de ses eaux usées, il est fasciné de voir ce que la science peut lire dans ses rejets et en déduire de son train de vie. Les premières fois, il en était même effrayé. Ce n’est pas un hasard si l’attestation de consentement qu’il a dû signer ressemblait à un formulaire RGPD. L’analyse biochimique voit toute son intimité : lorsqu’il a fait une semaine sans alcool, qu’il a hébergé sa cousine ou qu’il s’est abonné à une AMAP bio. Mais cette fois, un second mail de l’observatoire l’interpelle. C’est un message d’alerte : du matériel génétique d’une nouvelle souche de Covid aurait été détecté, il est invité à prendre toutes les mesures d’isolement et à contacter un médecin. “Le Covid !? C’est une maladie des années 2020 ça !”
Scénario possible ou récit de science-fiction ? Analyse.
La mine d’information
Depuis quelque temps déjà, les scientifiques étudient la composition des eaux usées, notamment pour prévenir les atteintes à l’environnement en aval. De plus en plus, ils le font vers l’amont, pour connaître les usages et l’état de santé des habitants des villes. En effet, la composition chimique de l’eau est une mine d’information qui peut révéler assez efficacement la consommation de drogues des habitants, mais aussi reconnaître des types d’alimentation, ou la présence de maladies. À ce titre, la pandémie de Covid a suscité un certain engouement des chercheurs : l’analyse rétroactive d’eaux usées a permis de détecter la présence de Covid dans les eaux usées à Barcelone ou Milan fin 2019, et donc virtuellement avant les recensement des premiers malades par les hôpitaux.

Musée des Égouts de Paris – ignis/Wikipédia
Nouveau terrain de jeu
Au-delà des épidémies, toutes sortes d’analyses sont possibles. Dans le cadre du projet EGOUT mené par le CNRS en Île-De-France, des équipes de chercheurs ont demandé aux habitants du 20ème arrondissement de manger plus de légumes pendant une semaine de mars 2024. En comparant les prélèvements au mois précédent et à la semaine suivante, l’expérimentation a permis d’observer une hausse des molécules végétales dans les eaux usées du quartier. Les scientifiques y voient un nouveau levier pour mettre en place des actions de santé publique et travailler sur les disparités socio-environnementales.

Station d’épuration – FlickR/Jean-Louis Zimmermann
Surveillance de masse
De manière inattendue, ces travaux soulèvent des questions de respect de la vie privée. En effet, si l’analyse des données se fait à une échelle trop fine (celle d’un foyer ou d’un immeuble), elle peut permettre la stigmatisation des usages de certaines populations étudiées. La communauté scientifique s’efforce donc de s’imposer un cadre éthique rigoureux pour assurer l’anonymat statistique… de nos eaux usées donc.