Petite typologie des devises de villes 2/2
Dans un premier article, nous introduisions l’usage historique des devises urbaines, ces emblèmes écrits qui identifient les villes occidentales au moins depuis la fin du Moyen Âge. Comme nous l’évoquions alors en conclusion, la devise sert d’abord à se distinguer des autres cités, soulignant une identité propre.
Or, comment se faire remarquer par les autres autrement qu’en insistant bien sur le fait que la ville d’où l’on vient est la meilleure ? Dans de nombreux cas, la devise soulignera un prestige – plus ou moins mérité – municipal, hérité d’un passé (et parfois d’un présent) glorieux. Ci-après, on vous a concocté une typologie (non exhaustive, bien sûr) des devises urbaines les plus remarquables…
Città Umilissima : chauvinisme citadin
Comme dit en introduction, la devise fait d’abord appel au passé. Fréjus a ainsi opté pour le très sobre “Julius Cæsar Nominavit, Napoleo Magnus Ilustravit” (Jules César la nomma, Napoléon Ier la rendit illustre), façon simple et discrète de rappeler au visiteur que la ville est née de la volonté de César de faire de la concurrence à Marseille, et que Napoléon y a séjourné à plusieurs reprises (après la campagne d’Egypte, et avant le départ pour l’Île d’Elbe). Il en va de même pour Angers, “Antique clef de France”, qui veut ainsi signifier sa position d’ancienne place forte royale. En outre, cette devise est la première phrase d’un acrostiche reprenant le nom de la ville, soit une sorte de proto-marketing territorial ultime :
Antique clef de France,
Necteté de souffrance,
Garant contre ennemys,
Estappe d’asseurance,
Recours de secourance,
Seccurité d’amys.
Quand elle ne fait pas dans la poésie historique, la devise orgueilleuse est un peu plus laconique, voire passive agressive. Le “Tibur superbum” (Tivoli la superbe) de Tivoli, le “Eximia civitas” (Ville remarquable) de Marseille ou le “Città Umilissima” (la cité la plus humble) de La Valette jouent tous dans cette catégorie. Après tout, l’orgueil citadin n’a pas à s’embarrasser de mots superflus.
Enfin, dans ce cas-là, la devise est un moyen de rappeler à qui en douterait que la ville n’est gouvernée que par elle-même et ses habitants et que, jamais au grand jamais, elle ne sera la captive d’une puissance tierce. Ainsi, avec son radical “Pontius mori” (Plutôt mourir), Beaucaire déclare au monde que ses habitants finiront les pieds devant avant qu’un envahisseur ne s’empare de la cité. São Paulo va même plus loin avec son “Non ducor, duco” (Personne ne me mène, je mène), soulignant ainsi son statut de capitale économique du Brésil et de métropole internationale.
A l’opposé du spectre, on notera que certaines villes, beaucoup plus humbles que La Valette, ont opté pour des devises à la limite du masochisme. Craon et son “Non sum timendus” (Je ne suis pas à craindre) ressemble à un appel à l’invasion. Surgères et son “Post tenebras, spero Lucem” (Après les ténèbres, j’espère la lumière) sous-entend que la ville a connu des heures plus glorieuses depuis que Louis XI l’a fait raser. Cette dernière devise rappelle en outre celle de Détroit : “Speramus meliora; resurget cineribus” (Nous espérons des temps meilleurs ; elle renaîtra de ses cendres) qui, si elle semble être d’actualité (la métropole du Michigan étant en faillite depuis 2013, après une lente et inexorable descente depuis les années 1950), date en réalité du début du XIXe siècle, et fait suite à un incendie qui a ravagé la ville en 1805.
Concordia salus : unité et progrès
Si la devise permet de bomber le torse à l’extérieur, il ne faut pas oublier qu’elle sert d’abord à réunir. Le sentiment d’appartenance à une communauté soudée est une des valeurs essentielles de la devise, comme le rappelle par exemple la devise de Brooklyn, “Eendraght Maeckt Maght” (L’union fait la force)[1]. Quimper a également joué sur ce thème très similaire avec son “Unanet e vimp kreñv” (Unis nous serons forts) et qui joue sur l’intertextualité toponymique d’une ville dont l’étymologie bretonne signifie “confluent”.
Mais plus que la force du groupe, c’est l’harmonie intérieure qui est recherchée, avec une destinée commune. Montréal et son “Concordia salus” (Le salut par la concorde), Toulon et son “Concordia parva crescunt” (Dans la concorde, tout prend son essor) ou Brisbane et son “Meliora sequimur” (Nous visons le meilleur) vont dans ce sens.
Evidemment, les vieilles villes universitaires ne pouvaient pas passer à côté d’un symbole fort comme la devise pour faire, elles aussi, passer un message de progrès dans l’harmonie. Bologne, dite la Dotta en Italie, souligne sa farouche indépendance intellectuelle et politique d’un lapidaire “Libertas” (Liberté). Et Oxford rappelle avec son “Fortis est veritas” (La vérité est forte) que la rigueur scientifique peut l’emporter sur tout.
On notera que ces notions de progrès et de destinée communes sont davantage l’apanage des villes anglo-saxonnes, en particulier celles des “nouveaux” mondes : Canada, Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande. En tant que jeunes pays qui se sont développés à partir de la deuxième révolution industrielle, on comprend en filigrane une philosophie positiviste où science et industrie peuvent rendre le monde meilleur, là où les vieilles villes européennes font toujours appel à Dieu ou au roi.
Moult me tarde : l’originalité pour sortir du lot
Enfin, la devise de ville est un moyen de se distinguer, par un message original et impactant. La devise devient jeu et marque l’esprit du visiteur. Cela peut être dû au passage du temps qui a fait évoluer l’acception commune d’un mot. L’étrange “Publicité, sauvegarde du peuple” de la commune belge de Verviers se comprend mieux lorsque l’on sait que ces mots ont été inscrits sur la façade de l’hôtel de ville au lendemain de l’indépendance de la Belgique. La municipalité indiquait ainsi que l’information générale sur la vie communale devait être et rester publique.
D’autres devises sont beaucoup moins cryptiques mais surprennent par leur nature. Ainsi, Castillon-la-Bataille a pour devise “17 juillet 1453”, soit la date de la bataille de Castillon qui marque la fin de la Guerre de Cent Ans. De même, le “Pontarlier ! Pontarlier !” de… Pontarlier sert à la fois de devise et de cri de ralliement.
Surtout, la devise est parfois l’occasion de faire un jeu de mots – et éventuellement de réécrire l’histoire. La devise de Dijon, “Moult me tarde” évoque évidemment une célèbre spécialité locale, un condiment sans lequel grillades et vinaigrettes seraient plus fades. Alors que le duc de Bourgogne Philippe II le Hardi s’en va en guerre contre la Flandre à la fin du XIVe siècle, la bonne ville de Dijon lui envoie spontanément un régiment de 1000 hommes. En remerciement, le duc offre une part de ses armoiries à la ville, dont sa devise : “Moult me tarde” (j’ai très hâte). La petite histoire raconte que le document officialisant ce cadeau étant plié, le “me” resta un temps caché, réduisant la devise à “Moult tarde”.[2]
Enfin, la devise de Séville associe élégamment jeu de mots, histoire et poésie. L’énigmatique “NO8DO” doit se lire “No madeja do”, ou, en bon espagnol “No me ha dejado”, soit “Elle [Séville] ne m’a pas abandonné”. La forme du 8 désigne en fait un écheveau de laine, qui se dit “madeja” en espagnol. Si la présence de la laine peut évoquer l’industrie textile qui fleurit dans la ville à l’époque moderne, la petite histoire – toujours elle – raconte que cette devise est une phrase prononcée par le roi de Castille et Léon Alphonse X, quand il apprit que Séville lui restait fidèle (alors que de nombreuses autres villes de son royaume avaient prêtées allégeance à son fils rebelle, le futur roi Sanche IV). Aujourd’hui, cette devise stylisée figure en lettres d’or sur fond rouge – rappelant le SPQR romain antique – sur le drapeau de la ville.
Aujourd’hui, sauf situations exceptionnelles (cf. Fluctuat nec Mergitur), les devises sont pour la plupart oubliées des occupants des villes. D’une part parce qu’on est rarement attaché à une seule ville au cours d’une vie. D’autre part parce que nous avons trouvé d’autres cris de ralliement (slogans publicitaires, chants sportifs) et qu’elles renvoient souvent à un passé ou des valeurs oubliées. Cependant, certaines métropoles veulent remettre cette notion de devise au goût du jour. On pense à Austin et son “Keep Austin weird” qui lui sert de slogan depuis le début des années 2000, ou le “München mag Dich” (Munich vous aime) de Munich qui a remplacé en 2006 “Weltstadt mit Herz” (Ville cosmopolite avec un coeur). Plus proche de nous, l’opération de marketing territorial “Only Lyon” souligne une volonté de dépoussiérer la devise municipale, en remplaçant le latin et le vieux français par l’anglais. La question est de savoir si ces opérations vont trouver écho auprès des populations locales, où s’il s’agit simplement d’un slogan destiné à l’extérieur. Cela changerait complètement la nature originelle de la devise…
Thomas Hajdukowicz
Pour aller plus loin :
- La Liste des devises de villes sur Wikipédia
[1] Devise dérobée aux Provinces-Unies d’où étaient originaires un nombre important de colons qui ont peuplé originellement ce borough new-yorkais.
[2] De fait, l’étymologie de “moutarde” est moins poétique que cette histoire très certainement apocryphe. Le mot “moutarde” vient tout simplement de “moût”, ingrédient essentiel à la préparation du condiment, et de “arde”, qui signifie “chaud”, de par la sensation de chaleur épicée que provoque l’ingestion de moutarde.