Où sont passés les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics ?
Alors qu’aujourd’hui c’est la fête de l’amour, nous nous sommes demandés où sont passés les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics. D’une part parce qu’il y en a de moins en moins (du mobilier dédié à la pause, et non des gens qui s’aiment !). D’autre part parce que certains dispositifs anti-SDF les ont rendu fort impraticables pour les rapprochements entre êtres aimés… Dans ces circonstances – qui attristeraient beaucoup Georges Brassens -, les interstices urbaines incarnent-elles encore des espaces d’expressions affectueuses ?
La ville de la tentation
D’abord, il faut bien comprendre que la sociologie de la séduction s’exprime davantage et de façon plus variée en milieu urbain. Parce que les villes sont des concentrations humaines, économiques, sociales, culturelles, politiques… elles sont plus propices aux rencontres qu’en zones rurales, de fait plus isolées. Une étude de l’Université Libre d’Amsterdam confirme ce que l’on soupçonnait, en y ajoutant une dimension cynique. L’étude énonce ainsi que la ville attirera d’abord les “bons partis”, à savoir des personnes ayant un capital scolaire, économique et/ou familial privilégié. Aussi, les non-urbains bénéficiant des “meilleures dispositions” iront vivre plus volontiers en ville pour y trouver l’âme-sœur (qui partagera idéalement des conditions socio-culturelles similaires).
Cela explique paradoxalement l’essor des applications de rencontre en milieu urbain depuis plusieurs années. Paradoxalement, car si l’on vient en ville pour trouver l’amour, il est de plus en plus difficile de le trouver spontanément. Les apps ont donc pour objet “d’activer” la rencontre et les pratiques de séduction urbaine, notamment par le biais de la géolocalisation et d’algorithmes variés. Votre moitié se trouve peut-être à portée de smartphone, effectue peut-être le même trajet que vous, et fréquente certainement les mêmes lieux que vous… Le matchmaking se faisant bien souvent en fonction d’affinités et d’usages socio-spatiaux !
Les lieux de l’amour
Dans ce contexte, les applications de rencontre participent d’une certaine manière à la revitalisation de certains quartiers et commerces. Si l’amour se trouve dans un rayon d’un kilomètre autour de votre lieu de vie, c’est l’occasion idéale pour stimuler la fréquentation des bars et restaurants du coin ! Un potentiel de revitalisation sur lequel les commerçants n’ont, à notre humble avis, qu’à se pencher…
Dans une autre typologie socio-urbaine, le centre commercial est depuis longtemps associé aux rencontres, notamment pour la population adolescente. Divers articles récents soulignent ainsi la globalisation du phénomène, d’abord né aux Etats-Unis. De nos jours, on drague sur la dalle de la Défense aux Quatre Temps, mais aussi dans les zones commerciales de province, et même à Alger, ou à Durban ! De fait, le centre commercial incarne bien souvent un espace de liberté (et, dans une certaine mesure, de mixité sociale), de loisirs et de détente pour la jeunesse. Bref, un lieu propice pour échanger des regards, se promener main dans la main, ou déguster une glace à l’abri des regards familiaux !
Mobilier urbain : les objets de vos affections
Enfin, les marques d’amour essaiment fort heureusement un peu partout en ville. Certaines pratiques[1] semblent immuables et relèvent désormais de la tradition. D’autres expressions affectueuses manifestées dans l’espace urbain sont révélatrices des évolutions de notre rapport à la ville et d’une homogénéisation de certaines pratiques culturelles.
Parmi les pratiques des nouveaux romantiques urbains, on ne peut pas passer à côté des cadenas. Dans le courant des années 2000, l’objet est devenu un symbole international que l’on accroche aux ponts et équipements publics afin de sceller un amour partagé pour toujours. Mais cet acte en apparence innocent[2] en irrite certains, au point que des pétitions visant le retrait de ces cadenas pullulent en Europe. Ainsi, le Pont des Arts de Paris est désormais équipé de plaques de plexigass empêchant les tourtereaux de symboliser leur union dans la ville de l’amour…
Reste donc l’affichage public. Si des précédents peu heureux existent[3] bel et bien, les municipalités françaises mettent à disposition de leurs administrés amoureux leurs panneaux d’information. Pour (re)déclarer sa flamme, il vous suffit de vous saisir de votre smartphone, de vous rendre sur la page ou l’app de votre ville et de vérifier si ce service de messaging public est activé pour la fête des amoureux. Attention cependant, la plupart des panneaux ne prennent en compte que les caractères latins et les signes de ponctuation standards. Il faudra donc attendre un peu avant d’envoyer des messages incluant des emoji langoureux !
Thomas Hajdukowicz
[1] Graffer ou graver les initiales du prénom de l’être aimé dans le tronc d’un arbre sur la voie publique, ou dans la paroi plastifiée d’une rame de métro…
[2] Parmi les arguments mis en avant par les anti-cadenas, on compte la dégradation des lieux – souvent patrimoniaux -, le fait que les cadenas jurent avec l’esthétique des monuments, les ventes de cadenas à la sauvette… A Paris, la chute d’une barrière dans la Seine sous le poids des cadenas qui y étaient attachés aura scellé le sort du Pont des Arts.
[3] On pense notamment à un homme contraint de déménager suite à une demande en mariage (effectuée sur un 4×3) refusée par sa douce, mais on ne retrouve plus l’article sur ce fait divers !