“La passerelle” : quel renouveau pour le Grand Port Maritime de Marseille ?
Emblématique, la Halle J1 du Grand Port Maritime de Marseille a accueilli de 2017 à 2018 une animation culturelle riche, coordonnée par l’association MJ1 qui a également constitué un réseau d’acteurs économiques dans cet espace en transition. Aujourd’hui, un nouveau projet nommé “La Passerelle” transformera le lieu d’ici 2023. Porté par Vinci Construction et dessiné par Reichen & Robert, il propose de créer une nouvelle centralité pour la ville.
Depuis une dizaine d’années, la façade maritime de la ville de Marseille a évolué de façon spectaculaire. En effet, au cours du dernier siècle, l’activité portuaire s’est peu à peu décalée dans la ville voisine de Fos-sur-Mer, laissant place à un ensemble de friches industrielles au fort potentiel en bordure de mer. Sous l’impulsion de la dynamique lancée par “Marseille Capitale Européenne de la Culture” en 2013, de nouveaux bâtiments, notamment culturels, y voient alors le jour comme le célèbre Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), qui fait aujourd’hui partie intégrante de l’identité de la ville.
Au milieu de ce front de mer en mutation, la halle J1 attend depuis une dizaine d’années sa reconversion. Dernier vestige architectural de l’activité portuaire du site, après un long processus de réflexion et l’accueil pendant 2 ans d’une programmation artistique portée par l’association MJ1, le devenir de la halle est fixée : en 2023, la halle accueillera un vaste complexe de loisirs aquatiques et numériques.
Au cœur des enjeux liés à la construction du nouveau Waterfront de Marseille, qu’est-ce que la reconversion de la Halle J1, et plus largement celle du quai de la Joliette, raconte de l’évolution de la ville dans son ensemble ? Quelles sont les ambitions pour ce nouveau lieu de la cité phocéenne ? Par ailleurs, avec l’éloignement des activités portuaires des centres-villes, de plus en plus de villes pensent à la reconversion de leurs friches dans l’objectif de proposer de nouveaux lieux attractifs vecteurs d’une nouvelle identité. Alors que pouvons-nous tirer comme enseignements de ces grands projets de requalification portuaire ?
La halle J1, un lieu emblématique de l’histoire portuaire de Marseille
Nichée au cœur des quais de Joliette, situés au nord du vieux-port, la halle J1 est aujourd’hui le dernier vestige des 5 halles du complexe de la grande gare maritime construite dans l’entre-deux-guerres par la chambre de Commerce de Marseille. Érigée à la fin des années 20 par la société Eiffel, l’architecture de la halle J1 est remarquable : en béton armé, le hangar est composé de deux étages et recouvert d’une charpente métallique, il présente un style unique. Construits sur l’eau, ce sont donc en tout 3 plateaux de 8 500 m2 qui créent une interaction unique entre mer et terre. Initialement dédié au stockage de fruits et légumes, le hangar J1 a majoritairement servi de hall de départ et d’arrivée pour les paquebots à destination du Maghreb et notamment de l’Algérie.
La reconversion de la halle J1 fait partie du grand projet de requalification du front de mer phocéen “Euromediterrannée”. Initié en 1995, ce projet d’ampleur consistant à la rénovation urbaine vise à asseoir la renommée de la ville comme une des plus grandes métropoles attractives de méditerranée. Pour cela, entre autres, l’ensemble de la façade littorale de Marseille s’est vue, en une vingtaine d’années, métamorphosée. Avec la construction du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), la réhabilitation du fort Saint-Jean, ou encore la construction de la villa Méditerranée en 2013, la mairie de Marseille et le Grand Port maritime de Marseille (GPMM) cherchent à transformer le quartier de la Joliette afin d’y bâtir par une succession de projets un véritable pôle dynamique autour des questions économiques, culturelles et touristiques.
En 2013, le site connaît une rénovation partielle : à l’occasion de “Marseille capitale européenne de la culture”, le 3ème étage du hangar est investi par une programmation artistique et culturelle, alors que les rez-de-chaussée et le premier étage restent dédiés à l’activité portuaire. L’ouverture de ce lieu emblématique au public pendant une année est un véritable succès : 200 000 visiteurs sont venus admirer l’exposition “Méditerranées” qui proposait un aperçu des villes emblématiques de méditerranée, ainsi que l’Atelier du Large qui présentait des travaux de plasticiens, mais aussi des expositions photographiques. Après une année de programmation culturelle, le troisième étage de la halle J1 est par la suite investi par l’institut de formation aux métiers portuaires.
La culture comme première graine pour une reconversion
Le devenir de la halle J1 est longtemps resté incertain. En 2017, la ville de Marseille, en collaboration avec le Grand Port Maritime de Marseille, souhaite donner un nouveau souffle à ce lieu emblématique. L’association MJ1 est alors missionnée pour occuper pendant deux ans le 2ème étage de la halle afin d’investir à nouveau cet espace par une action au quotidien. Ainsi, cette association a réussi à réunir une vingtaine d’entreprises mécènes pour réanimer le lieu par le prisme de la culture, avec l’ambition de recréer un lien entre la halle et les marseillais.
Forte de l’expérience vécue pour Marseille Capitale de la culture 2013 dans le lieu, l’association a réussi à réactiver, grâce à une collaboration étroite entre acteurs privés et publics, mais aussi l’organisation d’événements interdisciplinaires riches et variés. C’est en tout, sur deux années d’activités, 15 expositions qui ont été organisées et qui ont attiré sur site environ 100 000 visiteurs. Plus qu’un lieu à vocation culturelle, l’association MJ1 a réussi à connecter les habitants de la cité phocéenne avec ce lieu : la programmation tout public à prix réduits ou gratuits a permis d’ouvrir ce bâtiment à un public large.
Durant ces 2 ans d’occupation, la halle J1 a vécu quelques temps forts qui ont permis de mettre en avant le savoir-faire local. Entre des festivals aux thèmes variés, avec “Anti-fashion” qui a regroupé sur 3 jours plus de 2 500 professionnels du secteur de la mode, ou alors le “Babel Med Music” qui a réuni 750 structures internationales autour de l’industrie de la musique et du secteur culturel, le MJ1 a réussi le pari de promouvoir Marseille à un niveau international.
Pendant l’été 2017, le GPMM lance cependant un appel à projet international “Osez le J1” pour réfléchir au devenir de la halle et recueillir des projets d’ampleur variés. Avec l’annonce des lauréats en janvier 2019, l’activité culturelle portée par le MJ1 de la halle prend donc fin et clôture ainsi ce chapitre.
“La Passerelle”, miser sur un renouveau axé sur le loisir et le numérique
Le 11 janvier 2019, après une procédure de 18 mois, le groupement d’Adim Immobilier Provence, Vinci construction, la Caisse des dépôts et l’agence d’architecture Reichen & Robert a été désigné lauréat pour la reconversion du J1 avec le projet “La Passerelle”. Avec une ouverture prévue en 2023, et 100 millions d’euros investis, les 25 500 m2 de la halle vont accueillir une pluralité de programmes gravitant autour des loisirs, du numérique et des activités portuaires. Ces espaces s’articuleront autour de différentes expériences inédites. D’abord, la moitié de la surface des plateaux sera dédiée aux activités tertiaires avec 10 000 m2 de bureaux mis à disposition des entreprises et incubateurs du secteur maritime. Cette activité qui fait lien avec le passé du site sera complétée par une “Game Life Agora”, un pôle consacré aux expériences numériques et jeux vidéo, qui viendront créer une nouvelle vocation au site, ainsi qu’une grande salle d’événementiels qui permettra d’organiser des spectacles numériques et compétitions de gaming, tournée vers le nouveau divertissement autour des jeux en ligne. A ce programme s’ajoute un hôtel qui pourra accueillir les visiteurs dans ses 130 chambres avec un grand restaurant intégrant une terrasse panoramique.
Ce lieu se veut être aussi un lieu de vie avec sa halle gourmande qui permettra de déguster des produits du terroir et manger sur le pouce, mais aussi des restaurants et des bars qui accueilleront les visiteurs pour manger ou boire un verre pour un afterwork. Intégrant les nouvelles attentes quant au bien-être, il proposera aussi un espace détente avec un spa et un parcours santé, et pour finir, les visiteurs pourront retrouver dans la halle un mur d’escalade, un parcours ninja, et un aquaplayground avec un bassin de piscine extérieur.
Dynamiser Marseille avec la reconversion de ses espaces portuaires
Avec l’ambition d’en faire un haut lieu de loisir de la cité phocéenne, Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, lors de la conférence de presse pour la désignation des lauréats, affirme vouloir transformer la halle J1 en “ un haut lieu pour le rayonnement de notre cité et du territoire, une vitrine des atouts de l’aire de Marseille dans une dimension culturelle, économique et maritime.”
Au-delà des offres programmatiques apportées par le réaménagement du front de mer marseillais, la reconversion de l’ensemble des quais de la Joliette a permis de recréer un lien entre terre et mer. Resté longtemps inaccessible pour les promeneurs, il est désormais possible d’y déambuler et d’admirer les vues dégagées sur la mer pour l’ensemble de la population.
Cette attention a également été au centre du projet “La passerelle” : le parti-pris architectural simple choisi en effet de préserver l’esthétique singulière de la halle, en créant des transparences visuelles sur la mer et des perspectives paysagères sur l’ensemble du front de mer. L’aménagement d’un parvis et d’une canopée permettra une meilleure connectivité entre le reste du quartier et les quais, comme le souligne Jean-Marc Forneri lors de la présentation du projet lauréat, président du GPMM “On a souvent reproché au port de Marseille d’être fermé aux Marseillais, et là on a enfin une continuité entre la place de la Joliette et le boulevard du Littoral”.
Au fil des années, la ville de Marseille affirme ainsi sa volonté de redynamiser, voire de modifier, l’image portée par la cité phocéenne. Le recul des activités portuaires aux franges de la ville a permis peu à peu d’effacer dans l’imaginaire collectif la fonction industrielle de ces espaces au profit d’une fonction culturelle fortement poussée par la municipalité.
Les friches portuaires, des mutations diverses mais un destin commun
La ville de Marseille est loin d’être un cas unique, de nombreuses villes-ports d’Europe semblent prendre le même virage que la cité phocéenne. L’éloignement des activités industrielles des cœurs de ville laisse place à de nombreuses friches qui peuvent être de véritables opportunités pour réinventer les imaginaires qu’évoquent ces villes.
Par l’histoire
Située sur la côte de la mer Baltique, la ville de Gdansk est le plus grand port de Pologne. De renommée internationale, la ville est tristement célèbre pour les événements liés à l’activité de ses chantiers navals fondés en 1945. En effet, en décembre 1970, une révolte ouvrière dénonçant les conditions de travail sur les chantiers fut lourdement réprimandée par le régime communiste alors en place, tuant 42 travailleurs durant la période de lutte. Fortement marqué par ses événements et affaibli par la diminution de commandes liées à l’exportation des activités portuaires, seul un petit périmètre des chantiers est aujourd’hui encore en activité. Berceau du syndicat Solidarnosc, né pendant cette période de trouble, le site est porteur d’une histoire riche, celle des débuts des révoltes qui ont conduit à la chute du Mur de Berlin et de l’empire Communiste de l’Europe de l’Est.
La reconversion partielle de ce site, situé à proximité du centre historique de la ville, a largement été inspirée de cette histoire mouvementée. Les chantiers navals accueillent aujourd’hui le Centre Européen de Solidarité. Lieu hybride ouvert en 2014, il se veut le témoin du passé de la lutte anti-communiste avec un musée retraçant l’histoire des chantiers navals et du syndicat Solidarnosc. Le lieu porte également une vocation européenne : celle de partager les acquis de la lutte pacifique pour la liberté, la justice, la démocratie et les droits de l’homme, dans le but de participer activement à la construction de l’identité européenne.
Par la culture et les loisirs
Depuis le début des années 1990, la ville du Havre a peu à peu réinvesti les vastes friches industrielles de son centre-ville, apparues après le lent décalage de ses activités portuaires au sud-est du territoire. Inoccupé depuis le milieu des années 1960, c’est un large périmètre du centre-ville qui a complètement muté pour accueillir de nouvelles activités, engendrant alors une profonde transformation de la ville du Havre.
L’activité portuaire du quartier de l’Eure, dont la requalification a été initiée en premier, n’est aujourd’hui visible qu’à travers ses vestiges architecturaux : les docks Océanes et Vauban ont été transformés en halls d’exposition, salles de spectacles et pôle commercial. Le carré des docks accueille désormais un centre des Congrès inauguré fin 2016. L’agence Jean Nouvel a également collaboré dans la reconversion de ces friches avec l’installation d’un complexe aquatique. En plus de ces éléments clés, 800 logements neufs ont été construits et livrés entre 2008 et 2015.
Une deuxième phase de requalification du front de mer a été initié en 2016 pour la transformation du Quai Southampton, lieu emblématique du Havre, à quelques mètres du MuMa (Musée d’art moderne André Malraux). Au total, c’est une surface de 12 hectares qui est peu à peu transformée. En 2022, les habitants et touristes pourront profiter de vastes étendues dédiées à la détente et aux loisirs de plein air. L’ensemble de ces deux grosses opérations de réaménagement permet d’effacer la fracture urbaine entre le centre-ville et l’espace maritime, établie depuis 50 ans avec l’arrêt des activités portuaires.
Pour l’environnement
A Stockholm, la requalification des 236 hectares d’un ancien site industrialo-portuaire a été l’occasion de repenser sous le biais d’un nouveau prisme ces espaces en friches. Depuis 2009, la ville y développe un écoquartier de grande ampleur qui a pour objectif d’être intégralement indépendant des énergies fossiles en 2030. Accueillant à terme 12 000 logements, ce gigantesque projet urbain, à la croisée du centre-ville et du front de mer, sauvegardera certains vestiges architecturaux témoin de son activité passée. Le Stockholm Royal Seaport apparaît comme un modèle inspirant et innovant de requalification portuaire, sortant du schéma classique de l’impulsion exclusivement culturelle de ces sites.
La reconquête écologique de ces espaces portuaires est d’ailleurs un véritable enjeu pour les villes, car ce sont souvent des espaces pollués depuis des décennies par leurs activités passées. Leurs situations privilégiées à proximité des cœurs de ville font d’eux des lieux à fort potentiels, offrant bien souvent des espaces qualitatifs (vues dégagées vers l’horizon maritime, larges surfaces de déambulation et architectures à l’esthétique industrielle). Comme le montrent les divers exemples cités, leur reconversion peut amener à une profonde mutation de l’image de ces villes et la redynamisation de leurs activités. Espérons que le projet La Passerelle réussira le pari d’une ville tournée vers l’avenir et ses habitants, qui saura se réinventer tout en gardant la richesse de son identité portuaire.