Le passage piéton, épicentre de la ville apaisée ?
Il nous est si familier, qu’on en vient parfois à oublier qu’il est aussi crucial dans nos villes : c’est le passage piéton, bien sûr, dont les fameuses bandes blanches nous semblent presque intemporelles. Pourtant, celui-ci est aujourd’hui à l’épicentre d’une transformation majeure des territoires : avec l’essor de la « ville marchable », ces banals traits peints sur le bitume prennent une vocation bien particulière… et quasi révolutionnaire.
Le passage piéton, territoire d’innovation
Cela n’aura en effet échappé à personne : nos villes traversent depuis quelques années à d’intenses turbulences dans le domaine des mobilités, liées au retour en force de la marche comme mode de déplacement à part entière (cf. notre triptyque sur le sujet à relire ici, là et là). Logiquement, cet essor vient redéfinir le partage des voies, longtemps cédées à la toute puissante automobile. Cela n’est pas sans générer de nouvelles frictions entre les différents usagers de la rue (piétons, cyclistes, conducteurs et autres modes « bizarroïdes »), auxquelles les collectivités peinent à trouver des réponses optimales. Pour l’heure, les modèles se cherchent encore, allant de l’innovation « low tech » aux technologies les plus pointues.
En 2013, par exemple, la Mairie de Paris avait expérimenté des passages piétons d’un nouveau genre, afin d’accompagner la création de nouvelles « zones de rencontre » ; certains de ces passages sont d’ailleurs encore en place aujourd’hui. Alain Boulanger, responsable « Partage de l’espace public » à la direction de la voirie et des déplacements, nous avait ainsi expliqué l’intérêt de travailler plus particulièrement sur ces objets urbains, trop longtemps laissés en marge de l’innovation :
« Nous avons ainsi décidé de nous focaliser sur les marquages au sol, les études montrant qu’ils étaient beaucoup plus efficaces que les panneaux (seulement 10% sont perçus par les usagers). Les passages piétons paraissaient donc bien mieux appropriés aux zones 30 et de rencontre. D’une part, leur valeur réglementaire est assez forte, notamment pour les automobilistes. De l’autre, ils représentent un symbole sécuritaire indispensable aux yeux des piétons vulnérables. »
Quand la voiture rentre dans les clous
On décèle, en filigrane de ces propos, la nécessité « d’inverser » le rapport de force qui a trop longtemps présidé au code de la route, en faisant du piéton le nouveau mètre-étalon de la mobilité. Cela se traduit aussi dans l’émergence de nouveaux outils ayant vocation à apaiser les circulations au profit du piéton, par nature plus fragile. En décembre dernier était par exemple testé le premier « radar piéton » de France, « un système de caméras mobiles disposé près d’un passage piéton, qui s’activeront dès qu’un marcheur s’engage alors qu’une voiture est à l’approche » … afin de verbaliser les automobilistes refusant de céder le passage (et ils sont particulièrement nombreux, selon les promoteurs du système). Une technologie pionnière, la premier exemplaire ayant été installé en octobre seulement, au Canada. Trop peut-être ? L’exemplaire qui devait être installé définitivement à Calais aura finalement été annulé, suite au scepticisme de la préfecture.
En quelques années, le passage piéton est ainsi devenu le référentiel d’une véritable lutte pour le contrôle de la rue. De l’eau a coulé sous les ponts depuis le génial « passage piéton à emporter », imaginé par le hackeur urbain Florian Rivière en 2012, mais le sujet agite toujours autant les débats publics. A l’instar de la « portière hollandaise », le passage piéton cristallise ainsi le renversement des hiérarchies urbaines, provoquant les séismes que l’on imagine. Le radar piéton, on s’en doute, avait suscité quelques polémiques chez les automobilistes, ceux-ci y voyant un énième engin de contrôle liberticide. Pourtant, il semble grand temps de s’interroger sur les modalités d’apaisement des voies, tant certaines semblent aujourd’hui obsolètes. Il est en effet prouvé que les automobilistes conduisent mieux lorsqu’ils doivent se concentrer davantage sur les piétons – c’est par exemple le résultats d’études portant sur l’abandon des feux tricolores menées par le MIT, et sur lesquelles s’appuyaient récemment des élus parisiens pour proposer la suppression desdits feux.
Longtemps invisible dans nos villes car trop fondu dans le décor, le passage piéton se retrouve ainsi sous les feux de la rampe. Nul doute que les années à venir augureront d’intéressantes initiatives en termes de réinvention de ces banales bandes blanches, qui témoignent au passage que l’innovation la plus intéressante n’est pas toujours la plus voyante !
Pour aller plus loin :
- « Chroniques des villes agiles #6 – Droit de passage piéton » – Chronos (billet écrit par l’auteur)
- « Des passages piétons qui font danser » – Arte Futuremag
- « A Bogota, les habitants transforment les passages piétons en oeuvres d’art » – Lumières de la ville
Vos réactions
Rien d’apaisé sur les passages piétons parisiens, où les piétons doivent éviter de nombreux cyclistes ne respectant ni le Code de la Route ni les piétons engagés.