Parents en cohabitation : quand l’habitat partagé renouvelle la parentalité
En Europe, l’habitat partagé devient une alternative solidaire à l’habitat individuel et pour certaines communautés résidentielles, ce recours à la cohabitation s’oriente vers une parentalité engagée et épanouissante.
Un phénomène qui s’inscrit dans un contexte où la “famille conjugale” (un père qui travaille pour assurer la sécurité économique familiale et une mère au foyer qui a la charge des soins aux enfants au quotidien) n’est plus le modèle absolu de la parentalité, ses modes se diversifient et se renouvellent. L’accroissement du nombre de familles divorcées, recomposées, monoparentales et homoparentales implique une progressive redéfinition de la cellule familiale. Or, la baisse contemporaine des solidarités familiales et de la protection sociale s’accompagne d’une augmentation des difficultés pour les parents seuls et précaires, et, bien souvent, d’un renforcement de l’inégale répartition – car genrée – des charges liées à l’arrivée d’un enfant dans le couple.
La vie de parent peut alors vite devenir étouffante, c’est un défi pour chacun de trouver le bon équilibre entre parentalité et individualité. Dans ces conditions, puisqu’il condense en son sein les activités de soin aux enfants, les activités salariales monétisables (de plus en plus avec le développement du télétravail) et les activités de cohésion sociale, familiales et amicales, le logement familial peut vite devenir un espace inadapté et anxiogène.
L’arrivée d’un nouvel enfant étant une étape importante du parcours résidentiel des citadins, certains parents ont fait le choix de vivre leur parentalité en communauté et d’investir des résidences partagées, pensées pour une parentalité alternative. C’est le cas, par exemple, des habitants des résidences Bo I Gemenskap (BIG) en Suède, Casa Nova et L’échappée à Bruxelles en Belgique, La Borda à Barcelone en Espagne, ou encore La maison des monoparents à Bobigny en Île-de-France. Dans chacune de ses résidences, la cohabitation émerge comme une solution innovante pour soulager les tâches inhérentes à la parentalité et un moyen de redéfinir le rôle de parent par l’habitat.
Différentes par leurs formes architecturales, par leurs idéaux communautaires et par les types de familles auxquelles elles s’adressent, ces résidences partagées sont une source d’inspiration pour concevoir des logements adaptés aux nouveaux enjeux de la parentalité. Dans quelle mesure l’habitat partagé répond-il aux problématiques de la parentalité ? Et quelles sont les pistes et grands enjeux à penser pour intégrer la parentalité dans la conception de nos logements ?
Une architecture de la parentalité quotidienne
Pour certains citadins, l’arrivée d’un enfant et l’entrée dans la parentalité s’accompagnent d’un dur constat : les logements traditionnels manquent de place, sont peu pratiques et difficilement modulables. Et ces mêmes parents, habitant les zones tendues, sont bien vite confrontés à une réalité contraignante : déménager dans un appartement plus grand et optimisé, c’est très cher, souvent loin, devenant pour beaucoup un rêve inaccessible.
Afin de contourner ces problématiques, certains d’entre eux ont donc fait le choix de s’engager dans un projet de vie qui promeut une parentalité alternative en collaborant avec d’autres parents et futurs parents, dans la construction d’une grande résidence partagée et pratique. Dans un cadre participatif, les moindres recoins des résidences font l’objet de discussions entre les habitants, généralement épaulés par un architecte, pour être optimisés. Sur la surface totale des projets, environ deux tiers des espaces sont conçus spécifiquement pour chaque cellule familiale. Le tiers restant sont des espaces mutualisés. À terme, les familles acquièrent des installations sur mesure, et entre 20 et 40% plus d’espace, pour le même prix qu’une maison individuelle traditionnelle. Le partage des coûts par l’ensemble de la communauté donne ainsi à chacun accès à de grands espaces pour un prix réduit. Il faut juste être prêt à concilier les différents usages des espaces communs.
En outre, pour les acquéreurs comme pour les nouveaux arrivants, l’architecture est pensée pour faciliter la parentalité et offrir un cadre de vie épanouissant aux enfants comme aux parents. À ce titre, les résidences, allant de 18 à 44 unités, bénéficient d’espaces extérieurs communs qualitatifs (terrasses, jardins, aires de jeux). Dans le cas de L’Échappée et de La Borda, les unités donnent toutes sur un jardin et un grand patio. Les parents peuvent ainsi veiller depuis leur logement sur les enfants qui jouent ensemble dans la cour.
En ce qui concerne les exemples de BIG et de La Borda, les espaces alloués aux tâches domestiques (cuisine, buanderie et certaines salles de bains) sont également mutualisés. Cette mise en commun des espaces domestiques repose sur un principe de valorisation des soins aux enfants et des tâches ménagères. Ce travail domestique est rendu visible et réalisé en collectivité, ainsi il s’avère plus également réparti et devient un moment plus agréable.
On notera également que les réflexions menées sur les formes architecturales de la parentalité s’accompagnent souvent de réflexions engagées qui donnent lieu à des logements plus résilients, écologiques, esthétiques, économes en énergies, sains et lumineux. La possibilité pour les citadins de co-construire leur nouvel espace de vie tend ainsi à mettre en lumière un certain nombre de caractéristiques esthétiques et fonctionnelles chères au cœur des jeunes parents : présence d’espaces extérieurs, grandes ouvertures, rangements, efficience énergétique, emploi de matériaux durables… Ces choix architecturaux peuvent être une source d’inspiration pour les aménageurs de logements neufs.
La recherche d’une parentalité plus épanouie
Cette organisation spatiale des résidences partagées tend, à terme, à favoriser une parentalité plus épanouie pour ses habitants. En effet, l’aménagement des logements joue sur l’équilibre entre parentalité, individualité et communauté à plusieurs niveaux.
D’abord, l’aménagement d’espaces mutualisés encourage la mutualisation des tâches, entre les membres du couple, au sein de la communauté et en dehors. Ainsi, la cuisine, les trajets vers l’école, les lessives ou encore les ménages quand ils ne sont pas faits à plusieurs, sont répartis entres les membres de la communauté. Sur le temps long, les habitants font des économies de temps et d’argent, qui leur permettent plus aisément de s’accorder du temps pour eux et pour leurs loisirs individuels ou collectifs.
Au-delà de la mutualisation des espaces, la vie en communauté s’assortit bien vite d’un fort réseau d’entraide. Ce réseau se matérialise par exemple par des canaux de discussions alloués à la cogestion des enfants. Beaucoup de petits problèmes du quotidien peuvent être réglés en un simple message. En outre, par interconnaissance, les co-habitants se rendent des services réguliers, s’écoutent, se soutiennent mentalement. Pour des parents avant isolés, comme les parents solos de la maison des monoparents, ces formes de solidarités tendent à gommer les aspects difficiles de la parentalité. Il s’agit en quelque sorte de réintroduire en milieu urbain des formes de solidarités perdues, similaires à celles qu’on peut encore trouver en milieu rural ou dans certains quartiers.
Enfin, l’organisation communautaire tend, dans l’ensemble des résidences étudiées, à une répartition plus égalitaire, et particulièrement moins genrée, des soins aux enfants et tâches domestiques. La mise en visibilité, la coopération, et par extension l’injonction sociale à une meilleure répartition des tâches, a donc des effets sur le couple et l’éducation des enfants. Chez BIG ou à la Casa Nova, les rapports dans la sphère privée tendent, de l’avis des mères, à être régis par des valeurs d’égalité et une conscience précoce des enfants aux enjeux féministes. Cependant, si la mutualisation des tâches favorise des rapports parentaux plus égalitaires, la question du logement à elle seule ne peut raisonnablement pas tout régler, les politiques publiques devant également agir à une échelle globale notamment en termes d’égalité salariale et d’éducation.
Les parents admettent par exemple trouver plus facilement un équilibre entre carrière professionnelle et parentalité. Certains ont d’ailleurs adopté le télétravail ainsi que des horaires légèrement décalés. A l’Échappée par exemple, un parent fait garder ses enfants par les voisins tandis qu’il travaille le matin, et l’après-midi, la garderie est inversée. Ainsi, beaucoup de mères se réjouissent de pouvoir continuer à s’investir dans leurs carrière tout en gardant une proximité forte avec leurs enfants.
Une parentalité élargie
Finalement, la cohabitation participe à renouveler la conception de la parentalité des parents et des enfants vers ce qu’on pourrait appeler une parentalité élargie. Pour les parents d’abord, les voisins deviennent en quelque sorte des seconds parents et parents protéiformes. Il n’est pas rare qu’un parent s’occupe de manière journalière d’un ou deux enfants voisins en même temps que des siens. À condition de savoir faire confiance, les parents peuvent ainsi vivre une parentalité plus apaisée, vivre plus intensément leur individualité et déconstruire certaines injonctions sociales relatives aux rôles de mères et de pères.
Les enfants quant à eux apprennent à vivre en fratrie très tôt, cela s’en ressent sur leur précoce autonomie et les liens de solidarité forts qu’ils entretiennent au sein des résidences et avec leurs camarades. Dans un cadre qui tend aussi souvent à la démocratie participative, ils apprennent tôt à confronter les points de vue. La parentalité élargie implique ainsi une autre façon de vivre, tournée vers la vie en communauté et laissant place à l’autre d’être co-parent.
À noter cependant, que la cohabitation ne convient pas à tout le monde. Il s’agit dans les cas étudiés, d’un choix volontaire de certains parents issus de classes moyennes, de maîtriser différemment un équilibre entre vie privée et vie en communauté. En effet, des formes diverses de cohabitation (familles, voisinages, associations) tournées vers un idéal de solidarité parentale préexistent dans certains milieux ruraux et périurbains (fermes, périurbains isolés, HLM…) mais ne résultent pas à l’origine d’un choix délibéré. Il s’agit plutôt dans ces cas-là d’une construction culturelle.
Par l’investissement de logements collectifs, les co-habitants cherchent ainsi à rétablir des liens de solidarité en ville et limiter une culture urbaine de l’entre soi. Cependant, ils tendent parfois à recréer un entre-soi, choisi, dans lequel ils maîtrisent mieux leurs rapports de voisinages et la marge laissée à l’intimité. Ces rapports de voisinage et d’amitié tendent à terme à être plus forts et plus durables. La preuve en est que lorsque les enfants ont quitté le foyer, les modes d’habitat partagés demeurent. Les rapports entre les habitants se recomposent simplement autour de nouveaux objectifs de solidarité. Dans le cas de L’échappée par exemple, on peut observer la transition d’un lieu axé autour de la parentalité vers une résidence intergénérationnelle.
Une source d’inspiration pour l’habitat individuel
L’habitat partagé apparaît ainsi comme un moyen original d’accéder à des logements optimisés et aérés, tournés vers la parentalité. Si on est près à y vivre en communauté, ces résidences offrent aux familles un cadre de vie qualitatif, où la mutualisation, l’égalité et la solidarité font partie intégrante de l’architecture comme des modes d’habiter.
Dans une portée prospective, le mode de vie particulier des parents et enfants en cohabitation peut être vu comme une source d’inspiration pour la conception de logements classiques. En effet, la création réfléchie d’espaces conçus pour faciliter la parentalité et l’épanouissement familial peut servir de référence vers la création de logements individuels adaptés aux enjeux de la parentalité.
Les exemples d’habitat partagé étudiés, s’ils sont peu nombreux en Europe, peuvent être des sources d’inspiration dans la conception de nos logements. Ils tendent à valoriser la création d’espaces collectifs ludiques, d’espaces extérieurs et d’infrastructures partagées dans les résidences collectives, mais également à promouvoir la construction d’espaces évolutifs et modulables, adaptés au développement des familles et à l’épanouissement des enfants. L’habitat partagé remet en question la construction de logements neutres, qui finalement intègrent souvent peu ou partiellement les problématiques liées à la parentalité.
Au-delà de la conception architecturale enfin, les modes de la parentalité en habitat partagé nous invite à redéfinir les contours de ce qu’est être parent. En tentant de spatialiser la parentalité, les co-habitants mettent en lumière les difficultés, enjeux et engagements qui lui sont propres et nous invitent à déconstruire une série d’idées préconçues, parfois inégalement établies. Construire nos logements de demain et, par extension, faire la ville inclusive, c’est aussi inclure tous les modèles de la parentalité dans l’habitat.