Où en est-on de la gamification urbaine ?
L’entité urbaine, en effet, n’a pas échappé pas à la vague “gamification” : on a ainsi voulu ludifier la ville de bien des manières, parfois de manière sérieuse et parfois… moins. Système complexe aux mille et un visages, l’univers urbain représente un laboratoire fabuleux de l’agent ludificateur. Il est donc temps de faire un premier bilan, après quelques années d’expérimentation. Où en est donc aujourd’hui la gamification dans sa conquête des espaces urbains ?
La gamification s’en est-elle allée ?
Que l’on cherche à divertir les voyageurs le temps d’un trajet en bus, ou que l’on permette aux citadins d’exprimer leur créativité urbanistique à travers un jeu vidéo, la ville offre une multitude de scénarios de renouvellement par le biais du médium ludique.
Pourtant, d’autres tendances semblent avoir pris le dessus sur les contours de nos villes du futur proche. Notre veille urbaine quotidienne se retrouvera ainsi bien plus sur les rives de l’urbanisme collaboratif et des mobilités durables qu’au bord du précipice de la ville jouable. En effet, le concept de gamification semble s’être petit à petit épuisé, ou du moins avoir été remis en question par ses adeptes de la première heure.
De cette manière, nous pensons que les promoteurs de services et autres acteurs de la consommation sont parvenus à admettre que le phénomène ludificateur n’était pas une fin en soi mais bel et bien un moyen qui se devait encore d’être travaillé, façonné et mieux assimilé avant qu’il devienne un véritable enjeu. Il faut poser la question autrement, ou plutôt revenir à l’essence de la gamification : que pourrait-on dérober au “jeu” pour qu’il serve plus intelligemment la fabrique de nos villes ?
La ville jouable est une ville partagée
Le marketing s’était certes approprié depuis belle lurette le principe du gain de points pour conserver et acquérir une plus large clientèle. Aujourd’hui, la ludification des services se voit approfondie, renouvelée, multipliée.
C’est notamment le caractère collectif de certaines pratiques ludiques qui figure en tête de liste. Ainsi, que l’on pense au jeu de plateau déballé en famille ou aux jeux vidéo en ligne (expérimentés par des communautés de personnes toujours plus nombreuses), on ne peut qu’envier l’esprit de partage inhérent aux usages ludiques.
Les acteurs urbains assimilent ainsi depuis peu cette réalité. Récemment, nous prenions par exemple connaissance d’une admirable initiative pluridisciplinaire nommée The Playable City (littéralement “La Ville Jouable”). Ce projet a pour objectif de “repenser collectivement les espaces publics” via des méthodes innovantes et créatives. Ainsi, comme l’explique le média britannique The Watershed :
“The Playable City est une initiative internationale réunissant artistes, producteurs et ingénieurs dans le but de développer des idées nouvelles à l’intersection entre art, technologies, société et culture répondant au thème générique de la ‘ville jouable’. Mené main dans la main avec le parc technologique brésilien Porto Digital et le British Council, le programme invite les praticiens à travailler collectivement dans des équipes restreintes, afin de développer des interventions ludiques destinées à repenser l’espace urbain partagé. A travers un processus de fabrication et d’expérimentation, les participants pourront explorer et partager les idées de chacun. L’objectif est ainsi de répondre aux défis auxquels nos villes devront faire face à l’avenir.”
Ainsi, la ville jouable de demain ne se résume sans doute pas à un jeu de piste dans les jardins du Louvre, mais à l’émergence de véritable méthodologies fondées sur le plaisir, l’échange et pourquoi pas l’immersion… De quoi aller plus loin dans la co-création ludique de nos villes ?
Construire la ville par le jeu
Si la projection d’une partie du jeu culte PacMan sur un bâtiment pour un spectacle son et lumière symbolise sans doute l’inverse de ce qu’on attend aujourd’hui du phénomène de gamification urbaine, l’intrusion du médium vidéoludique dans la communication urbanistique nous paraît beaucoup plus pertinent.
C’est notamment ce que propose une entreprise comme Enodo. Fondée au départ par deux architectes, Enodo est un spécialiste de la réalisation d’environnements 3D interactifs à des fins de business. Leur spécificité figure notamment dans le fait d’utiliser un software de jeu vidéo pour leurs élaborations.
Leur idée de départ fut formulée pour répondre à un constat concret auquel sont confrontés la plupart des architectes et urbanistes. En faisant des perspectives de communication pour la ligne n°1 du tramway de Nice, les porteurs du projet se virent “frustrés de voir les élus prendre des décisions sur des perspectives de communication pas ‘justes’ techniquement. Le but était alors de rendre accessible à tous des informations techniques en immergeant le public dans des projets pas encore construits” (1).
On voit dès lors de quelle manière une ludification plus profonde du secteur urbain pourrait être enclenchée. Ainsi, une réelle mise en perspective interdisciplinaire des différents secteurs serait souhaitable à de multiples niveaux. Nous aurons le plaisir d’y revenir ultérieurement.
(1) Extrait d’un entretien réalisé par nos soins dans le cadre d’une étude sur l’interdisciplinarité possible entre le secteur urbain et le secteur vidéoludique.