NUMTOT : les mobilités détournées par les jeunes
On ne va pas se voiler la face : l’urbanisme est une spécialité encore méconnue, qui ne fait pas spécialement rêver le grand public. Sur l’échelle des activités mal comprises et plutôt dénigrées, le métier d’urbaniste se place à peu près au même niveau qu’expert-comptable ou ingénieur en BTP… Ce n’est pourtant pas faute d’essayer de vulgariser le sujet, ou d’en parler en croisant la discipline avec d’autres domaines jugés plus fun ! Aussi, pour dépoussiérer un peu plus l’urbanisme, une poignée de jeunes gens a pris les choses en mains. Cela donne NUMTOT.
NUMTOT (pour New Urbanist Memes for Transit-Oriented Teens) est une page Facebook anglophone, créée en février 2017. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le groupe réunit plus de 100 000 membres, venant de partout dans le monde. Comme son nom peut le laisser entendre, il s’agit d’un groupe réunissant adolescents et jeunes adultes autour de leur amour commun pour l’urbanisme – et en particulier les problématiques liées aux transports. Piochées dans les actualités médiatiques ou dans le quotidien des membres de la page, une de multiples questions et anecdotes urbanistiques y sont alors mises en lumières… et transformées en memes. Pour les rares personnes qui l’ignorent encore, un meme est un concept ou un élément culturel repris en masse et détourné (souvent à des fins humoristiques) sur Internet. Il peut prendre la forme d’une image, d’une vidéo, d’une expression etc.
A l’origine de ce groupe, il y a Emily Orenstein et Juliet Eldred, étudiantes en géographie à l’Université de Chicago. Tout part d’un innocent message de la première, appelant à qui veut l’entendre “Suivez-moi si vous souhaitez recevoir davantage de memes de qualité sur Robert Moses”, invoquant le célèbre urbaniste new-yorkais, aujourd’hui plutôt controversé. Il n’en fallait pas moins pour que le groupe naisse, d’abord sous le nom de “New Urbanist Shitposting[1]”. Voyant que les contenus postés par les membres du groupe tournaient de plus en plus autour des mobilités, il a été renommé NUMTOT, tout en traitant globalement de tout ce qui a trait à l’urbanisme.
Mais finalement, à quoi ça sert ? D’abord, à rire et faire rire, entre membres d’une même communauté d’intérêt : l’urbanisme, ses aberrations et ses solutions. Ensuite, grâce aux NUMTOT, on découvre les problématiques urbanistiques propres à différentes villes et pays de part le monde. Car on n’envisage pas les mobilités ou le mobilier urbain de la même façon à Cologne, Milan, San Francisco ou Sao Paulo. Surtout, NUMTOT montre l’investissement des futurs urbanistes dans leur discipline. Ils veulent des villes inclusives et fonctionnelles pour toutes et tous, laissant plus de place à la multimodalité, où l’automobile est l’exception plutôt que la norme. Ils parviennent donc à intéresser le grand public aux questions soulevées, tout en vulgarisant des enjeux complexes.
Et la recette fonctionne. NUMTOT intrigue – qu’est-ce que c’est que cet humour de niche ? – et nous fait nous questionner sur notre pratique de la ville. Le nombre croissant de membres du groupe en est le signe le plus fort. Au départ blague potache entre étudiants en urbanisme et en géographie, le groupe réunit également aujourd’hui des quidam pas forcément investis professionnellement dans la gestion de la ville, mais tout de même intéressés.
Si l’on peut d’abord voir de l’ironie dans la plupart des publications postées par les membres de la page (les memes, dans leur ensemble, utilisent beaucoup l’ironie) c’est pour mieux souligner l’absurdité de politiques urbaines à la limite de l’inhumanité, où les usagers doivent se battre pour s’approprier l’espace public. Ainsi, les NUMTOT ont plusieurs chevaux de bataille : le mobilier urbain anti-SDF, l’hyperloop ou l’occupation des espaces dédiés aux mobilités douces par des véhicules motorisés. Tout en n’oubliant pas, au passage, de vouer un culte aux gens qui remercient le chauffeur de bus. Parce qu’on est là pour rigoler, quand même.
De fait, ce que nous rappelle le groupe NUMTOT, c’est que l’urbanisme n’est pas que l’apanage de cadres vieillissants en costume cloîtrés dans des bureau et réfléchissant à la fluidification du trafic sur l’A4. Ce sont aussi de jeunes gens, pétris de culture pop, qui veulent changer nos pratiques de la ville et des transports. Certes, tout cela se passe sur Internet, et les réalités de l’urbanisme ne peuvent – hélas – pas se réaliser uniquement à partir de belles idées. Il reste que l’on vous conseille vivement de jeter un œil à cette page Facebook, que ce soit pour sortir la tête de l’eau à la pause déjeuner ou pour vous cultiver sur les fonctionnements urbains à l’international tout en vous fendant la poire !
Pour aller plus loin :
- The ‘Transit-Oriented Teens’ Are Coming to Save Your City, The Guardian, 2018
[1] Le shitposting consiste, littéralement, à publier sur Internet des contenus à la valeur intellectuelle plus que discutable. Cependant, certains verront dans la démarche une attitude proche du dadaïsme.