Normes, certifications, labels, bilans : Est-ce vraiment souhaitable de codifier la durabilité ?

14 Avr 2025 | Lecture 4 min

Avec l’émergence du concept du développement durable, les années 1990 marquent un véritable tournant dans l’intégration des enjeux écologiques aux pratiques de construction et d’aménagement urbain.
Les enjeux de durabilité sont multiples : allant de l’énergie à l’eau, en passant par les émissions carbone, la biodiversité, ou encore la qualité de vie et le développement économique local, ils englobent largement la thématique environnementale. Face à cette complexité de critères, des instruments techniques de standardisation ont émergé pour harmoniser et garantir la qualité et la performance des projets urbains. Cependant, nous le savons tous, le contexte local est déterminant et les processus naturels interdépendants. Comment donc concilier standardisation et diversité des territoires ? Quelles sont les opportunités et les limites d’une approche normative dans la quête d’un urbanisme réellement durable ?

De quoi parle t-on ?

Chaque projet d’immobilier ou urbain est soumis à des critères environnementaux visant à accélérer la trajectoire zéro carbone, promouvoir la sobriété foncière, soutenir des stratégies d’économie circulaire et garantir des conditions de vie saines. Ces critères s’expriment à travers différents outils : les normes, les certifications, les labels et les bilans.

D’un côté, les réglementations imposent des normes toujours plus exigeantes. Prenons l’exemple de la construction neuve : après la RT2012, c’est la RE2020 qui fixe désormais des seuils d’émissions carbone sur l’ensemble du cycle de vie d’un bâtiment, tout en imposant des objectifs d’amélioration de sa performance énergétique. Ces normes constituent un cadre national qui encadre les pratiques de construction et d’aménagement.

D’un autre côté, pour attester du respect des normes et aller au-delà des réglementations, les acteurs peuvent recourir à une certification ou un label. Les certifications, comme la Haute Qualité Environnementale (HQE) vont prendre en compte l’ensemble des objectifs du développement durable : caractéristiques géographiques, morphologiques et historiques du territoire, sa dimension socio-économique ainsi que la disponibilité des ressources naturelles, les enjeux climatique et la biodiversité.

Les labels sont plus variés dans leur nature et parfois plus spécifiques. Certains se concentrent sur une thématique précise, comme le label E+C-, qui évalue l’efficacité énergétique et les émissions de gaz à effet de serre d’un projet. D’autres, comme le label Ecoquartier, attestent d’une approche écologique globale intégrée à l’ensemble d’un quartier. Pour aider les acteurs à faire un choix éclairé, des guides comparatifs ont été réalisés par France Villes Durables et l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID).

L’écoquartier Vauben en Allemagne. © ADEUPa Brest sur Flickr

L’écoquartier Vauben en Allemagne. © ADEUPa Brest sur Flickr

Enfin, pour déterminer si un ouvrage respecte une norme ou peut prétendre à une certification ou un label, il est nécessaire de s’appuyer sur des indicateurs comparables qualifiant les différents critères de durabilité. C’est pourquoi des outils de quantification, les bilans, ont été développés. Le bilan carbone (Méthode Bilan Carbone) est désormais très répandu est presque indispensable au vu des normes à respecter. La quantification du CO2 offre la possibilité de choisir des options de constructions à plus faible impact, comme déclare Philippe Gratadour, président de l’Autorité environnementale des Hauts-de-France :

« [La quantification des émissions] est un outil d’aide à la décision, mais beaucoup le voient avant tout comme une douloureuse obligation réglementaire » (Philippe Gratadour dans « Intégrer le climat dans les PLU, une obligation très peu respectée », Reporterre, 08 janvier 2025)

Par ailleurs, la prise de conscience des impacts de l’étalement urbain – reflétée notamment par la réforme du “zéro artificialisation nette” – favorise l’élaboration de bilans qui calculent le potentiel écosystémique des sols. Le plus connu, le coefficient de biotope par surface (CBS), catégorise les types de sols, de “imperméable” à “pleine terre”, et leur attribue un coefficient pour déterminer la valeur écologique par m² de surface.

On constate donc que ce vaste système de standardisation est à la fois interdépendant et souvent complémentaire, incitant à multiplier les outils mobilisés dans les projets immobiliers ou urbains.

Quelles implications pour le paysage urbain ?

Cette tendance à concevoir et aménager les espaces urbains selon des critères de certifications, de labels et de bilans entraînent les choix architecturaux vers des solutions high-tech et standardisées définies au début de chaque projet. Concevoir des tours remplies de panneaux solaires et de verdure devient systématique, avant même une rencontre avec les acteurs locaux et l’analyse des dynamiques sociales. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des projets écologiquement révolutionnaires comme “The Line” de Neom mais socialement inadapté. Cette ville utopique respecte une densification extrême, l’utilisation exclusive d’énergies renouvelables et l’élimination des voitures et ainsi place, au-delà de la préservation de l’environnement, la santé et le bien-être des habitants au cœur de ses priorités. Cependant, “The Line” serait implanté en plein désert, totalement déconnecté de son environnement naturel et social.

Bien que « The Line » reste un projet utopique, les modèles de villes intelligentes (« smart cities ») incarnent également cette vision technocratique de la durabilité. La transformation des villes vers ces « smart cities » repose souvent sur une mise en œuvre normative d’une liste d’éléments durables, sans forcément intégrer les spécificités du territoire et de ses usages.

Pour contrer la codification de faire ville, certains labels valorisent davantage le génie local. L’association Bois des Alpes propose une certification qui valorise les savoir-faire artisanaux et les circuits courts dans le secteur de la construction. Le label Villages et Villes Citoyennes promeut des démarches participatives qui intègrent les usages locaux dans les projets urbains.

Bosco Verticale à Milan. © David Salamanca pour Unsplash

Bosco Verticale à Milan. © David Salamanca pour Unsplash

Enfin, ces outils vont au-delà de leur fonction opérationnelle. Les certificats, labels et bilans peuvent jouer un rôle prospectif en encourageant des pratiques novatrices qui redéfinissent progressivement le paysage urbain. Un exemple frappant est le label BiodiverCity. Lancé en 2013, le label a ouvert la voie à des aménagements intégrant des continuités écologiques et des espaces favorables à la biodiversité, avant l’intégration de ces objectifs dans la législation (Articles L. 122-1-2 et L. 123-1-4 du Code de l’urbanisme).

Ainsi, ces instruments de standardisation contribuent, dans une certaine mesure, à une gestion plus responsable de nos territoires et à la transformation des paysages urbains de demain. Cependant, l’enjeu majeur, propre à chaque projet, reste de savoir comment associer judicieusement ces outils tout en préservant la spontanéité et la richesse des usages locaux.

LDV Studio Urbain
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