Non à l’idéologie urbaine !
Dans son essai L’urbanisme de la vie privée (L’Aube, 2014), Olivier Piron dénonce « l’idéologie urbaine » qui tend à imposer une conception figée de la ville sans tenir compte des désirs et des pratiques réelles des citadins.
Densité, mixité, rapidité, proximité… Qu’il s’agisse de l’aménagement d’un écoquartier, de la transformation d’un centre-ville ou de la construction d’un parc résidentiel, chaque nouveau projet urbanistique ou presque semble aujourd’hui devoir respecter un certain nombre de principes gravés dans le marbre. C’est contre cette « idéologie urbaine » trop bien ancrée dans les esprits de l’immense majorité des urbanistes, des architectes et des élus qu’Olivier Piron a choisi de partir en croisade.
Oracles urbains
Pour cet ancien secrétaire général du Plan Urbanisme Construction Architecture, les « oracles urbains » n’ont qu’une définition partielle de la notion d’espace, se focalisant sur sa dimension urbaine et sociale, « sans jamais évoquer la vie privée, les modes d’habiter et les différents modes de vie en général ». Or, rappelle Piron, « ce sont les habitants qui décident, in fine, des évolutions résidentielles urbaines et rurales. » Sans eux, les villes ne seraient en effet que des squelettes désincarnés. Il est donc grand temps de rompre avec la conception verticale, rigide et figée de l’urbanisme toujours en cours aujourd’hui, nous dit Olivier Piron, qui voit dans ce désir de tout piloter, de tout contrôler, une forme de négation de la complexité de la ville.
Partir du choix des Français
Convoquant Bossuet, Platon ou Rousseau pour soutenir son propos, Olivier Piron s’appuie surtout sur un minutieux travail de décryptage des statistiques urbanistiques en France depuis le milieu du XXe siècle. Une base de travail qui lui permet de définir les contours d’un « urbanisme de la vie privée » qui doit permettre de mieux tenir compte des volontés particulières des citadins, quitte à moins se focaliser sur leur « volonté générale » au sens rousseauiste du terme, à savoir ce que le citoyen est censé vouloir pour le bien de la collectivité. Pour Piron, il apparaît ainsi nécessaire de « refonder l’urbanisme en partant, cette fois, non des vertus urbaines des cœurs des villes, mais des choix des Français en matière de logement comme de localisation. » Une méthodologie qui permet notamment de se rendre compte que la ville dense et compacte, présentée aujourd’hui comme notre horizon urbain inéluctable, n’a jamais été un fantasme populaire.
Dépasser la ville tertiaire
Autre constat pertinent d’Olivier Piron : l’obsession des urbanistes pour une offre de transports permettant de réduire à tout prix le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail. C’est ce qu’il appelle une « approche erronée de l’analyse environnementale des déplacements », puisque les trajets domicile-travail ne représentent que 20% de l’ensemble des déplacements urbains. Or, en se focalisant sur cette catégorie de déplacements, on ne fait que « privilégier la situation des cadres et diplômés habitant la ville dense et renforcer les discours contre le reste du territoire. » Une manière de dire que la ville peut s’inventer autrement que pour répondre aux désirs des seuls actifs du secteur tertiaire, et intégrer également les desiderata des enfants, des jeunes et des personnes âgées qui sont, encore aujourd’hui, les grands oubliés de l’aménagement urbain.
Quelques phrases clés :
« Toute une école de pensée considère en quelque sorte que c’est l’urbanisme qui pilote la société, via les urbanistes, et les élus qui entérinent leurs propositions en décidant de la forme des villes, en assignant à chacun une place qui optimise le fonctionnement urbain, et donc territorial, global. »
« Tous ces discours sont tenus au nom d’un sacro-saint intérêt général, détenu et géré par les pouvoirs publics aux différents niveaux, et qui doit savoir s’imposer aux intérêts particuliers des simples citoyens. »
« L’idéologie urbaine prône la densité, mais sans se demander en quoi elle correspond, ou non, aux attentes et aux besoins des diverses catégories d’habitants, et sans réfléchir aux conditions de son acceptation. Et elle manifeste une hostilité claire à la maison individuelle, en dépit de la demande constante des Français pour ce type d’habitat. »
« La thématique du développement durable interpelle naturellement tous les secteurs de l’activité nationale. On aurait pu espérer qu’à cette occasion l’idéologie urbaine s’interroge sur elle-même, et par exemple réfléchisse au volet social de toute politique de développement durable. Bien au contraire, elle s’est concentrée sur le seul aspect environnemental, en insistant d’abord sur la nécessité de réduire au minimum les déplacements quotidiens. »
« Les incantations à la mixité urbaine, la foi en l’existence d’une société urbaine correspondant à l’unanimisme de bon aloi ne servent en rien pour comprendre les phénomènes de concentration des immigrés pauvres dans certaines portions d’une agglomération, et encore moins pour dégager des principes de gestion ad hoc. »