Nairobi, un New York bien africain

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6 Juin 2016

Située juste au-dessous de l’équateur, Nairobi est la capitale du Kenya, le leader économique d’Afrique de l’Est. Elle constituera la troisième étape de l’étude Epicurban. Les premières impressions donnent à voir un territoire tout aussi bouillonnant que nos précédentes villes. Les tensions y sont cependant plus perceptibles qu’à Mumbai et Hanoi.  Serait-ce une difficulté supplémentaire pour appréhender cette ville ?

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Marabout perché sur un réverbère. Crédits : Clément Pairot

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La skyline de Nairobi. Crédits : Clément Pairot

A tout moment de la journée, le nez vers le ciel, un vol de marabouts nous rappellera que nous sommes à quelques kilomètres de la savane. Et pourtant, loin de cet emblème exotique, Nairobi aime à se présenter comme le New York africain. Son Quartier Central d’Affaires doté d’immeubles de grande hauteur, qui développent une skyline plutôt rythmée, la présence du siège des Nations-Unies pour l’Afrique de l’Est et ses nombreux fonctionnaires internationaux justifient ce jumelage assez improbable. Le nombre important d’expatriés, et l’émergence d’une classe aisée en lien avec un essor économique puissant alimentent une occidentalisation déjà fort avancée dans les modes d’habitat et de consommation. Les centres commerciaux sont des points nodaux dans la ville et ne présentent aucune différence marquante avec ceux que l’on pourrait trouver dans les métropoles occidentales.

Une ville bariolée marquée par des langues de boue

Malgré l’influence normative de cette population aisée sur l’évolution de la ville, Nairobi reste marquée par une identité forte et unique qui happe le visiteur dès les premiers instants. Arrivé à Nairobi de nuit par une autoroute en parfait état mais encombrée d’embouteillages monstres, je déboule en plein coeur de la ville. Je suis accueilli par une cohorte de bus de toutes les couleurs qui chargent et déchargent les passagers dans une cohue impressionnante. Trouver le bon bus pour aller dans la direction souhaitée est un vrai défi. L’organisation semble tellement inexistante, c’est à se demander si on peut vraiment parler de « réseau » de bus.

Les graffitis thématiques qui recouvrent les bus sont absolument impressionnants, la musique souvent tonitruante qui s’en échappe également. C’est à se demander si on arrive un jour de Carnaval. La ville surprend aussi avec ses immeubles aux publicités peintes en couleurs vives à même le mur pour toute sorte de produits, échos low-cost aux écrans gigantesques de Times Square ? Face à cette ville formelle haute en couleur, l’uniformité marron de boue et de rouille des bidonvilles qui se déversent à flanc de colline est d’autant plus frappant.

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Les murs recouverts de publicités colorés. Crédits : Clément Pairot

Un territoire clivé et anxieux

J’ai la chance de pouvoir expérimenter dans les premiers jours la vie dans différents foyers, et d’explorer les extrêmes en terme d’habitat. La ville est clivée et les inégalités de richesse sont frappantes, ce n’est en soit pas plus surprenant qu’à Mumbai. Mais, contrairement à Mumbai où des poches d’habitat informel perdurait un peu partout même dans certains quartiers aisés, le territoire est bien plus clivé. A l’Ouest et au Nord, les résidences d’expatriés occidentaux et les Nations-Unies, au centre le quartier des affaires, au Sud le géant Kibera, à l’Est le quartier somalien et le grand slum de Mathare, et plus au Nord Est les résidences d’expatriés chinois.

Les zones de contact entre ces différents mondes sont d’autant plus frappants qu’ils sont moins nombreux que dans la précédente ville-étape. Pour exemple la résidence de l’ambassadeur de France, par nature luxueuse, donne directement sur Kibera qui dévale la colline. A part ces rares points de contact, les deux mondes se confrontent peu. Si on le veut, on peut traverser la ville de part en part sans apercevoir un seul bidonville.

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Kibera, le plus grand bidonville d’Afrique. Crédits : Clément Pairot

Plus que les contrastes de richesse, c’est le niveau de sécurité des résidences privées de haut standing qui est déconcertant. Non seulement, atteindre la porte d’entrée de l’appartement d’une de ces gated-communities nécessite de passer plusieurs enceintes gardées par un agent de sécurité; mais en plus de ça, à l’intérieur de l’appartement, on trouve des grilles en fer qui séparent les pièces de vie commune des chambres à coucher. Fermées à clé au moment de se coucher, elles sont faites pour protéger les habitants d’une éventuelle agression par un voleur de nuit. Sacrée ambiance.

Par ailleurs, l’angoisse vis-à-vis de la sécurité ne concerne pas que les zones aisées. Là où, en tant qu’occidental, se balader de jour seul dans Dharavi (à Mumbai) était perçu seulement comme incongru par les riverains, traverser seul Kibera ou Mathare (les deux grands bidonvilles de Nairobi) m’a attiré, jusqu’au dernier jour de très nombreuses mis en garde. Certains quartiers de la ville, notamment le quartier qui accueille la minorité somalienne, sont même décrits comme de véritables no-go-zones par les habitants eux-mêmes. Que ce sentiment soit basé sur des violences avérées ou biaisé par une angoisse irrationnelle teintée de racisme post-attentat* il envahit les esprits et influe nécessairement sur la manière d’appréhender la ville.

Une ville éprouvante pour le néophyte

Enfin, bien que la fièvre de Mumbai était souvent un défi à affronter, Nairobi se présente comme une ville encore plus éprouvante. Eprouvante pour le corps, les routes défoncées par la pluie dès qu’elles ne sont pas bitumées (ce qui est très fréquent) transforment n’importe quel trajet de bus en une expérience aussi chahutante qu’une attraction de fête foraine. Eprouvante pour les sens : entre les bruits de moteurs des embouteillages, les bus discos où la musique est tonitruante et les prêcheurs baptistes qui s’égosillent sans que personne ne s’en émeuve à travers la ville, la migraine n’est jamais loin.

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Prêcheur baptise s’égosillant dans un marché. Crédits : Clément Pairot

Eprouvante pour ses rapports humains aussi : avec les forces de l’ordre – notamment après les attentats de Garissa – qui pratiquent sans problème le contrôle au faciès de manière pesante; avec les chauffeurs de taxi et de mobylettes où, pour ce qui est de mon expérience, le rapport aux clients occidentaux est plus conflictuel, la négociation n’est plus un jeu et cherche souvent à faire payer au client un prix démesurément élevé du fait de son apparence. Elle est éprouvante enfin dans ses stigmates de pauvreté comme ces nombreux enfants et adolescents drogués, la bouteille de colle visée à la bouche, errants en guenilles dans la rue tels des zombies.

C’est donc une ville complexe et travaillée par de nombreuses tensions qui nous accueille. Nairobi présente assurément un nouveau défi pour urbaniste en herbe en réunissant les maux typiques des villes africaines et de l’urbanisation accélérée décrits par Jérôme Chenal** : détérioration de l’environnement, informalité généralisée, forte ségrégation, inadaptation des infrastructures…sans oublier leurs pendants positifs liés à la densité : augmentation des opportunités économiques et développement d’initiatives locales communautaires ou de démocratie participative pour pallier aux manques. Il ne s’agit donc pas de nier le choc provoqué par la réalité souvent dure de cette ville mais nous chercherons à mettre en lumière les initiatives prometteuses qui émergent sur ce territoire, souvent du fait même de ses contraintes. Prêts à payer par SMS, rendre la cartographie collaborative et développer l’agriculture urbaine en trois dimensions ? C’est parti.

 

*les terroristes ayant perpétré les attentats à Nairobi ces dernières années sont principalement originaires de Somalie

** MOOC « Villes africaines: Introduction à la planification urbaine », disponible sur Coursera

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