Mon proprio le robot
Aux États-Unis, des sociétés confient l’achat et la gestion de bien locatifs à des algorithmes. Faire l’état des lieux seul, échanger avec un standard téléphonique, envoyer ses loyers sur un RIB anonyme… c’est peut-être ça l’avenir de la location immobilière.
Comme chaque mois, plongez dans le futur de la ville avec notre série “Habiter 2035”, où l’on vous dresse des scénarios possibles pour la prochaine décennie. Retenez votre souffle, immersion dans 3, 2, 1 …
« Tiens, tu peux me tenir ça pendant que je prends une photo ? » Arc-boutés au-dessus de la machine à laver, deux trentenaires pataugent dans l’eau et les serpillères. « Tu ne préfères pas appeler quelqu’un ? – Je t’ai dit, le proprio ne voudra pas me le prendre en charge, la dernière fois il m’a envoyé un guide pdf pour réparer ça moi-même ». Silence gêné. Ce n’est pas la première fois qu’ils ont cette discussion. Visiblement le propriétaire est très, très capricieux. Les deux premiers mois, tout était normal. Puis il a voulu que le loyer soit déposé à la main à une adresse anonyme à l’autre bout de la ville. Puis le contrat de bail a changé, gagnant 30 pages d’un coup. C’est là qu’il a commencé à envoyer des pdf pour entretenir l’appartement. Puis l’envoi du loyer a encore changé, il a fallu finalement qu’un coursier le récupère. En fait c’est simple, après deux ans sur place, personne n’a jamais vu le propriétaire. « Mais tu es sûr qu’il existe ce gars ? »
Scénario possible ou récit de science-fiction ? Analyse.
Wall Street Monopoly
C’est un phénomène qui inquiète de plus en plus aux États-Unis. Des fonds d’investissements multi-milliardaires – dont Blackstone – rachètent en quantité des maisons individuelles pour les louer. La tendance est dénoncée par un rapport publié en 2018 par l’ACCE Institute, une ONG californienne de droit au logement. Baptisé “les propriétaires de Wall Street transforment le rêve américain en cauchemar”, le rapport détaille les effets négatifs sur le paysage de la propriété du pays : les petits propriétaires sont évincés du marché, ce qui met en difficultés les locataires et les communautés locales.
La logique de rentabilité au profit des investisseurs à de réelles conséquences, comme en témoigne le New York Times. Les bureaux changent régulièrement d’adresse, les équipes de gestion sont réduites au minimum, les loyers grimpent et des pénalités sévères apparaissent. Pire encore, le taux d’expulsion de ces maisons est plus élevé que la moyenne.
Access Denied
Effet particulièrement dystopique de ces manœuvres, certains fonds d’investissements s’appuient de plus en plus sur les algorithmes et la dématérialisation pour leur gestion courante, comme en témoigne Vice. Plus besoin de personnel pour organiser les visites ! Une appli scanne votre visage, le compare à votre pièce d’identité et vous donne un code d’accès pour entrer seul dans le bien.
Cette tendance s’est développée à la suite de la crise des subprimes en 2008, alors que de nombreuses maisons en hypothèque étaient saisies. Les fonds en ont racheté à moindre coût pour se constituer des portefeuilles, atteignant aujourd’hui les centaines de milliers de maisons. Plutôt que de freiner le mouvement, le gouvernement l’a constamment accompagné et facilité, d’après l’ACCE Institute. D’ailleurs, l’Europe n’est pas forcément à l’abri, d’après une étude commandée par le groupe écologiste du parlement européen.