Mobilité et travail, vers quoi se dirige-t-on ?
La mobilité ne cesse de se réinventer mais son idée même pose problème. Nul besoin de forcément citer Paul Virilio, de parler « d’injonction à se déplacer », pour saisir que l’on ne se déplace plus aujourd’hui comme il y a dix ou quinze ans. Il faut aussi reconnaître qu’une bonne part de nos déplacements sont, pour ceux qui ont la chance d’en disposer d’un, liés au travail et que le travail, autre lieu commun, traverse lui aussi une profonde transformation qui prend les noms barbares de co-working, de fab-lab ou tout simplement de syndrome Starbucks (une stratégie parfaitement assumée par la marque par ailleurs), autrement dit la propension et la capacité qu’ont les salariés (plutôt des cadres certes) à travailler n’importe où et pas seulement dans leur tour de bureaux. Il existe du coup un discours assez majoritaire selon lequel nous serions tous destinés à travailler différemment, depuis chez nous ou depuis des espaces de co-working. Tout cela est bien connu, un peu trop rabattu même (cela peut néanmoins faire l’objet d’astucieux travaux, tels que celui de Julien Damon dans sa note sur la démobilité).
L’intérêt de la question est que nul ne sait comment la transformation du travail et ses conséquences en termes de déplacement et de mobilité vont tourner. En témoignent deux actualités, fort différentes de prime abord mais qui traduisent clairement l’état d’hésitation dans laquelle on se trouve.
Deux nouvelles tours de la Défense sont en cours de finalisation et de livraison, deux formidables ouvrages, monuments architecturaux : Carpe Diem et Majunga, soit au total plus de 100 000 m² de bureaux tout neufs. Vieux modèle des tours, certes aménagées pour répondre aux évolutions des modes de travail, c’est à dire organisant des lieux de convivialité, des terrasses à chaque étape pour profiter de l’air et de la vue, faire des réunions. En tout cas des lieux correspondant au modèle de travail prépondérant, c’est à dire au bureau, réinventé mais bureau tout de même. Certains y investissent (ce qui est déjà un bon point), d’aucuns espèrent qu’elles se remplissent (ce qui est moins certain), en tout cas des gens bien renseignés continuent de croire dans ce modèle d’organisation du travail.
Au même moment, Facebook vient quant à lui, après avoir annoncé son intention d’installer son siège social pour l’Europe à King’s Cross, le nouveau quartier situé au Nord Est de Londres et grande opération d’urbanisme, de lancer l’idée de créer une ville pour ses collaborateurs à proximité de leurs bureaux californiens. On ne peut pas reprocher à Facebook d’être une entreprise passéiste et par le passé, elle s’est plutôt distinguée en devançant le reste des acteurs économiques.
Alors, que faut-il penser de tout ceci ? Les nouveaux modes de travail ne seraient-ils réservés qu’à une petite catégorie de travailleurs créatifs ou ces derniers sont-ils les avant-gardistes d’une tendance qui se confirmera dans quelques années.
Le travail semble soumis à une double contrainte : une tentation croissante, facilitée par le développement des technologies de communication, de rompre le lien entre travail et bureau, lui-même renforcé par le coût immobilier pour les entreprises et les aspirations légitimes des salariés ; de l’autre le constat qu’une part de plus en plus importante de la productivité tient à la capacité des employés à coopérer, à travailler en grande proximité et que la « conf call » ne remplace pas encore une discussion impromptue autour de la machine nespresso.
Ces évolutions ne sont en rien anodines et à l’heure où on s’interroge pour juger de l’opportunité d’une vaste infrastructure de transport pour une région comme l’Ile de France, il serait bon d’anticiper vers où balancera la tendance. N’injurions pas l’avenir : les tours ont un avenir, les starbucks aussi.
Morgan Poulizac, Responsable du Master Urbanisme