Minecraft City – Les citadins aux manettes ?
On dit souvent que la ville doit devenir plus inclusive, plus humaine, et en particulier grâce aux nouvelles plateformes digitales. Mais au-delà de ces belles paroles, quelles solutions concrètes peuvent être mises en place ? Certains jeux vidéo au succès planétaire comme Minecraft offrent de nouvelles perspectives en matière de participation citoyenne… Mais ces jeux vidéo suffisent-ils à eux-seuls pour mobiliser les habitants ?
Message à tous les fans de « SimCity » ou de « Minecraft » : votre moment de gloire est arrivé. Dans la ville de Demain, vous serez aux manettes ! C’est en tous cas ce que les expériences de « gamification » de l’urban planning cherchent à mettre en avant. L’idée est simple : il s’agit de rendre les citadins acteurs de la transformation urbaine en les invitant à imaginer eux-mêmes la revitalisation de leur quartier. Dès lors, quoi de mieux que d’entrer en contact avec les habitants en les invitant à utiliser des outils qu’ils ont déjà dans leur salon : à savoir, leurs jeux vidéo préférés.
Mobiliser les habitants dans la fabrique de leur ville : pas si facile
Derrière cette ambition de créer une ville plus inclusive, plus participative, l’enjeu est de réussir à mobiliser les premiers intéressés. Il faut les motiver : après tout, les habitants d’une ville sont-ils si sensibles à l’idée de participer à la revitalisation des espaces publics ? Comment faire en sorte qu’ils soient prêts à offrir un peu de leur temps pour donner leur avis ? Surtout, comment leur donner des moyens concrets et simples, pour apporter leur pierre à l’édifice ? C’est en se posant ces questions que la « gamification » apparait comme une solution pour faire de chacun un urbaniste en herbe.
Minecraft : solution sur le papier, mais en pratique ?
L’idée n’a rien de nouveau. Depuis déjà de nombreuses années, des initiatives sont lancées pour proposer aux citoyens d’imaginer leur ville de Demain, à l’instar du programme #CraftTaVille du Ministère de la Cohésion des Territoires, en 2018, et qui s’appuyait sur Minecraft, soit le jeu vidéo le plus vendu au monde depuis sa création, il y a un peu plus de 10 ans (devant Tetris !). De quoi garantir un fort taux de participation pour le Ministère ? Pas vraiment : au final, ce sont uniquement 27 projets qui ont été présentés. Pour un projet de participation citoyenne lancé à l’échelle de toute la France, on n’est pas tout à fait dans le game.
Donc l’urban planning grâce à Minecraft, une fausse bonne idée ? D’autres acteurs semblent pourtant faire un peu mieux que cette expérience manifestement loupée. C’est notamment le cas de Block by Block, une initiative une initiative de l’ONU Habitat, Mojang et Microsoft, qui utilise Minecraft depuis 2012 comme levier de participation dans des quartiers défavorisés à travers le monde (et across the blocks) : Nairobi, Bombay, Lima, Beyrouth, Katmandou, Manille, Johannesbourg. Des douzaines de projets dans plus de 35 pays ont ainsi été menés directement avec les résidents des quartiers en question, aboutissant à chaque fois à une réalisation concrète dans l’espace public. Jeunes et moins jeunes sont alors accompagnés pour donner leur avis, utiliser l’outil, comprendre comment identifier les priorités urbaines. C’est ici que se trouve la grande force de Block by Block : son objectif n’est pas uniquement d’interroger les habitants, mais de faire en sorte que chaque consultation résulte sur une réalisation tangible, en misant sur la collaboration avec les acteurs classiques.
A Stockholm, Minecraft réduit les inégalités de genre dans l’espace public
Par exemple, ces professionnels de la rénovation urbaine (urbanistes, architectes, agents municipaux, autorités régionales, ou même entreprises tech comme Ericsson) ont travaillé en 2019 avec l’Urban Girls Movement à Fittja, dans la banlieue de Stockholm. Sur une période d’un peu plus d’un an, le think tank suédois Global Utmaning, a organisé 8 sessions de travail pour repenser ce quartier défavorisé en donnant les manettes aux jeunes filles du quartier. Avec une vision : réduire les inégalités de genre produites au sein de l’espace public. Le projet devait ainsi démontrer qu’une « ville planifiée pour les filles, c’est une ville qui fonctionne pour tous », en s’appuyant notamment sur l’expérience de Block by Block en matière d’utilisation de Minecraft comme outil de modélisation. Et le résultat donne envie : light shows, barbecues, dance floors… Les jeunes filles ont laissé place à leur imagination pour penser une ville un peu différente, et surtout inclusive.
Pour Elin ANDERSDOTTER FABRE de Global Utmaning,
: l’urban planning par la tech, c’est bien, mais pour le rendre inclusif, il doit avant tout être collaboratif et ancré sur un territoire. Et la particularité de Block by Block, c’est bien celle de rester sur le terrain et de ne pas tout miser sur le jeu vidéo, comme ça a pu être le cas avec #CraftTaVille et ses 27 contributions. Comme l’explique Elin, Minecraft peut devenir un réel outil de collaboration, quand les professionnels sont directement impliqués.Pour mobiliser les habitants, il faut avant tout leur parler de chez eux : in their backyard
Que retenir de ces expériences Minecraft ? L’échelle avant tout. Car s’il y a un bien une partie de l’espace urbain qui peut mobiliser les habitants, c’est la rue, le trottoir, le parc où ils se rendent quotidiennement : chez eux. Du coup, au lieu de leur demander leur avis uniquement lorsqu’ils sont contre un projet, souvent dans le cadre d’une mobilisation NIMBY (« not in my backyard »), les outils de « gamification » sont un moyen de les embarquer pour une transformation. Minecraft n’en n’est pas le seul exemple : à Singapour aussi, le Future Cities Laboratory a lancé la plateforme « Ideas for Tanjong Pagar » pour tester des outils de Big Data favorisant la participation citoyenne lors de la revitalisation de certains quartiers.
Un outil plus qu’une révolution : la Minecraft City, ce n’est pas pour maintenant
Mais malgré ces quelques cas inspirants, qui font miroiter l’idée d’une inclusive city où le geek s’improviserait urbaniste, il faut rester réaliste. Même si les jeux vidéo sont simples d’utilisation, peu coûteux, et déjà des best-sellers qui peuvent favoriser l’inclusion, ils ne vont pas révolutionner la planification urbaine de nos villes : les manettes doivent rester dans les mains des professionnels. Parce que même les meilleurs joueurs de Mario Kart ne sont pas toujours les meilleurs conducteurs.