Michèle Pappalardo : « Réussir à vendre la ville durable à la française »
Regroupant acteurs publics et privés, le réseau Vivapolis cherche depuis 2013 à exporter le savoir-faire français en matière de ville durable. Interview de Michèle Pappalardo, sa co-animatrice, par ailleurs conseillère et maître à la Cour des Comptes.
Dans quelles conditions est né Vivapolis ?
En 2013, Nicole Bricq, alors ministre du Commerce extérieur, a décidé de classer les principaux sujets d’exportation français. Elle a identifié quatre « mieux » : mieux se soigner, mieux communiquer, mieux se nourrir et mieux vivre en ville. Pour chacun de ces « mieux », elle a nommé un fédérateur bénévole public ou privé (je suis la seule issue du secteur public) ayant carte blanche pour essayer de fédérer sa « famille ». Les entreprises travaillaient depuis plusieurs années déjà sur la question des villes, mais elles avaient du mal à s’organiser seules pour réussir à « vendre » la ville durable. Elles avaient besoin de ce que j’appellerais un « tiers de confiance », qui évite que l’une d’entre elles ne prenne le leadership au détriment des autres et qui puisse les entraîner, les aider à se coordonner. Nous avons constitué un comité de pilotage composé du COSEI (Comité d’orientation stratégique des éco-industries) et de l’Afep (Association française des entreprises privées) et décidé qu’il nous fallait une marque et un « discours ». La marque, c’est Vivapolis, et le discours s’articule autour de quatre caractéristiques de la ville durable à la française.
Quelles sont ces caractéristiques ?
Mettre l’homme au cœur du projet, être performant en matière des ressources naturelles, avoir une gouvernance appropriée à la fois forte, transversale et participative, et enfin insister sur le fait qu’on n’a pas de modèle et qu’il faut s’adapter au contexte, à la géographie, à l’histoire, à la culture locale. Ce dernier point est une manière différente d’appréhender le sujet, notamment par rapport aux anglo-saxons qui ont plutôt tendance à tout formater. La certification anglaise BREEAM, qui liste les actions à mener, diffère de la certification française HQE, où l’on va plutôt lister des questions à se poser. Notre démarche s’inspire globalement de celle de la Suède et de sa démarche SymbioCity, qui date des années 1990.
Quel est le statut exact de Vivapolis ?
Vivapolis est un réseau regroupant de très nombreux partenaires qui représentent des centaines d’entreprises. Par ailleurs, plus de 160 entreprises sont directement membres de l’organisation, qu’il s’agisse de grands groupes, de PME ou de start-up.. Aujourd’hui, seule la marque Vivapolis existe : il n’y a pas de personne morale, d’association ou d’agence. Tout le monde est invité et toutes nos actions sont menées sous une forme collaborative et bénévole au sein du réseau.
Comment s’effectue la synergie entre tous ces différents acteurs ?
La ville est un écosystème complexe qui allie des éléments publics et privés. Il y a des élus, un territoire, des entreprises et des citoyens. C’est un ensemble qui fonctionne ou pas. Du côté des partenaires publics de Vivapolis, nous avons sept ministères, les grandes agences comme l’ADEME, Business France, l’AFD pour financer le développement, le CSTB et la Caisse des Dépôts. Les collectivités locales sont aussi impliquées, par le biais de l’Association des Maires des Grandes Villes de France et, pour la coopération décentralisée, de Cité Unies-France. En matière de partenaires privé, nous avons des fédérations professionnelles comme Syntec-Ingénierie, l’Afep et le club Ademe international, mais aussi des entreprises de toutes les tailles, y compris des start-up. Tous ces acteurs entendent travailler ensemble pour aller à l’export en revendiquant le savoir-faire français sur la ville. Ils entendent aussi montrer et faire connaître des réalisations comme les éco-quartiers ou des exemples de gouvernance. C’est de cette manière que s’est mise en place la dynamique de Vivapolis.
Concrètement, quelles actions sont mises en œuvre dans le cadre de Vivapolis ?
Nous nous concentrons sur des actions opérationnelles. Par exemple, nous recevons des délégations et nous nous déplaçons à l’étranger pour des expositions et des forums. Nous avons aussi réalisé des documents de communication et nous venons de réaliser une étude sur cinquante réalisations d’entreprises françaises dans des villes à l’international, dans lesquelles on mesure l’impact des gaz à effet de serre dans le cadre de la COP21. Nous sommes très sollicités car la ville durable tient aujourd’hui une place considérable dans les préoccupations de tous les acteurs.
Quels sont les marchés propices à l’exportation de cette « ville durable à la française » ?
Initialement, nous avons défini quatre zones prioritaires pour ne pas nous disperser. Tout d’abord, la Chine, avec qui nous avons des accords bilatéraux sur le sujet de la ville durable. Ensuite, la Turquie, où un éco-quartier de la ville de Gaziantep bénéficie d’une subvention du ministère de l’Économie appelée « Fonds d’étude et d’aide au secteur privé » (FASEP). Mais aujourd’hui, le projet est ralenti parce que cette ville est située non loin de la frontière syrienne, ce qui complique la situation. Les deux autres pays identifiés comme prioritaires sont le Maroc et le Brésil. Cela dit, nous avons également répondu à des sollicitations qui n’étaient pas prévues. C’est le cas au Mexique, avec la ville de Campeche, dans le Yucatan.
Nous travaillons aussi beaucoup avec les pays d’Asie du Sud-Est : nous avons reçu des représentants indonésiens et thaïlandais, nous avons des projets d’actions au Vietnam et en Birmanie, et nous avons organisé un forum avec Business France à Singapour et à Kuala Lumpur. Nous comptons travailler sur l’Inde à partir de 2016. Pour le Moyen-Orient, nous nous concentrons pour le moment sur les villes de Masdar et Abu Dhabi. Enfin, il y a l’Afrique. En juillet 2015, nous avons organisé un forum en Côte d’Ivoire, l’idée étant de s’implanter dans ce pays mais pas seulement : nous allons là où il y a un besoin pour étudier les situations au cas par cas. Vivapolis a aussi permis le développement d’outils de marketing sous la forme de démonstrateurs 3D réalisés par des consortiums d’entreprises, en s’attachant aux cas concrets d’Astana au Kazakhstan et de Santiago du Chili, deux villes aux contextes géographiques et climatiques très différents. Ces outils montrent ce que l’on peut faire en matière de durabilité dans ces deux villes, en insistant sur les solutions des entreprises françaises.
Quels sont les atouts de la « ville durable à la française » ?
Notre point fort, c’est que nos villes sont bien connues dans le monde. En particulier Paris. La capitale est une accroche extrêmement forte, souvent vue comme un idéal. Nos interlocuteurs ont à l’esprit les villes françaises avec leurs différences mais aussi avec cette qualité de la vie française, c’est-à-dire des rues et des espaces publics animés et travaillés. Autant d’éléments qui, pour les Français, sont totalement normaux mais qui le sont beaucoup moins ailleurs dans le monde.
Le modèle français de ville durable s’exporte-t-il facilement ?
Les quatre caractéristiques de la ville durable à la française précisées plus haut sont très bien accueillies par nos interlocuteurs, qui reconnaissent qu’elles correspondent à notre savoir-faire. La notion d’adaptation, en particulier, séduit et nous distingue souvent de nos collègues anglo-saxons ou nordiques.
Vos projets de villes durables en Chine ont-ils des points communs avec un projet de ville nouvelle comme celui de Tianjin Eco-city ?
L’énorme différence entre Tianjin et nos projets, c’est que les Singapouriens investissent directement dans le projet de ville, ils en sont les promoteurs immobiliers, ce qui n’est pas du tout notre cas. Aller construire pour louer ou vendre à des Chinois des immeubles ou des maisons n’est pas notre objectif. Par ailleurs, Tianjin ne nous paraît pas être vraiment un modèle de ville durable – les récents évènements nous confortent dans ce sens (Ndlr : le 12 août 2015, plusieurs explosions se sont produites dans un entrepôt chimique, faisant 173 morts). Vous l’aurez compris : nous ne croyons pas à l’existence d’un « modèle de ville durable » que l’on pourrait reproduire à l’identique à travers le monde, ce qui est pourtant une démarche encore répandue aujourd’hui. En Chine, nous cherchons plutôt à participer à la conception et la construction de quartiers sino-français, répondant aux besoins des habitants chinois mais utilisant nos savoir-faire français.