MapKibera : la cartographie participative qui révolutionne la ville
Longtemps la cartographie a été l’outil d’un pouvoir centralisé qui en gardait jalousement la maitrise. Des bidonvilles du Kenya aux villes européennes, le domaine se démocratise grâce aux outils informatiques. Que révèle cette tendance sur le rôle des cartes et notre rapport à la ville et au territoire ?
Rendre l’invisible visible
Deux petites pièces presque vides dans un immeuble du sud de Kibera. Ce sont les locaux sans prétention de Map Kibera Trust où Joshua Ogure, coordinateur local du projet nous accueille.
L’idée de réaliser une carte détaillée du bidonville de Kibera a émergé dans l’esprit d’Erica Hagen, la fondatrice, quand elle était étudiante en développement international à l’université de Columbia . L’ambition était de donner à voir le détail de ce quartier d’habitat informel et de « rendre l’invisible visible » comme l’annonce encore le site internet.
Joshua se souvient « Au début, les habitants n’étaient pas à l’aise avec notre démarche, croyant que nous étions des espions du gouvernement. » En effet, le quartier étant exclusivement constitué d’habitat informel, toute autorité publique qui pourrait prendre la décision d’une expulsion est perçue d’un mauvais œil. C’est pourquoi avoir des équipes composées elles-mêmes d’habitants de Kibera était déterminant pour établir un rapport de confiance. « La cartographie initiale s’est faite en quelques semaines à l’aide d’équipes de jeunes du quartier rapidement formés aux outils utilisés tels le GPS. » En plus d’identifier le tracé des rues, la carte recense du mieux possible les commerces, les écoles…
Mais au-delà d’une simple carte, l’initiative s’est révélée être un outils d’émancipation formidable pour les habitants. Jusqu’alors, habitats et commerces étant absents des cartes, les habitants et les commerçants prenaient le risque de voir leur implantation sur le territoire constamment remise en question. Dès lors que la cartographie est réalisée, il est possible de localiser, d’identifier les différentes parties du territoire, de s’organiser et d’informer.
Une fois la carte terminée, elle est mise en ligne, imprimée et même peinte à même le mur dans certains endroits clés du bidonville pour aider les passants à se déplacer. L’équipe décide ensuite de lancer le projet « voice Kibera » afin que les habitants puissent raconter leurs histoires. « L’ambition était de donner à voir des visages de Kibera et ne pas subir le biais traditionnel des journalistes sur la façon de parler de notre quartier. » Par ailleurs, dans cette même dynamique de réhabilitation des habitants dans la société, lors de la dernière élection, MapKibera a informé massivement les électeurs en distribuant une carte recensant les différents bureaux de votes.
La carte : première étape d’un réveil politique local?
Aujourd’hui, MapKibera possède un aspect politique au sens large du terme qui ne fait pas de doute. Les noms choisis pour les trois sections du projets sur le site internet sont symptomatiques : citizen mapping, citizen media et citizen advocacy. Le projet possède deux versants complémentaires : informer et interpeler tant les habitants que les autorités.
Informer d’abord. Dernier exemple en date, « en 2015 nous avons mis à jour une carte avec toutes les écoles de Kibera car le réseau d’établissements avait beaucoup changé en quelques années. » Cela a donné lieu à la création du site openschoolskenya.org où chaque école est présentée sous forme d’une fiche profil rassemblant les informations majeures (gestionnaire public, confessionnel ou associatif, nombre d’élèves) et une description des infrastructures. « Le but est d’aider les parents à faire leur choix de manière informée. » De nombreuses écoles dans Kibera sont informelles, gérées par des églises ou des ONG, par conséquent l’information agrégée n’était jusqu’alors pas accessible. « Même le gouvernement n’en avait pas une cartographie complète et l’outil leur est aujourd’hui bien utile ». Le but de MapKibera est que les écoles informelles puissent être prises en compte par le gouvernement, enregistrées comme établissements scolaires et bénéficier de programmes d’amélioration des infrastructures. Ce nouveau type de cartographie est dont un outil fluide et ergonomique de remontée d’informations de terrain du public vers les autorités.
Interpeler ensuite. Le samedi matin suivant, la pluie est passée par là et a littéralement dissout certaines rue qui sont transformées sur leur partie centrale en grandes flaques boueuses. On retrouve Joshua en train d’interviewer un directeur d’une école qui a été détruite dans la nuit. Incendie ? voleurs ? non, ce sont les travaux menés en préparation de l’élargissement de la voix ferrée prévu dans le projet financé par la Banque Mondiale. Le reportage n’aura pas un écho incroyable mais il offre une première étape vers une critique argumentée par les populations, de programmes au pire totalement déconnectés du terrain, au mieux manquant de la plus basique concertation. En attendant, la frustration des acteurs locaux est palpable. Un directeur d’école résume dépité : « ils détruisent les écoles avant les bars ! »
Joshua explique : « Nous nous servons du réseau de « voice of kibera » pour mettre en avant des problèmes et des sujets sur lesquels nous appelons la communauté ou les autorités à l’action. » Malheureusement, il faut avouer qu’après l’engouement et la curiosité des débuts, les usagers ne visitent pas le site de manière quotidienne. La dynamique est probablement aussi ralentie par le faible taux d’équipement en smartphones qui permettraient l’accès continue à internet. La plateforme d’information reste toutefois très active en période électorale.
Prochain défi : attirer massivement le public vers la carte
Le crowdmaping serait-il l’avenir de la ville ? Déjà le GPS participatif « communautaire » Waze illustre l’impact positif de la mise en commun de l’information de manière passive ou active par ses utilisateurs. Ce nouveau type de cartographie offre un portrait fiable, actualisé et mouvant de la ville. Dans une veine plus inclusive, l’application « J’accède » encourage chacun d’entre nous à répertorier les lieux publics (restaurant, musée, salle de spectacle) en fonction de leur degré d’accessibilité aux différents types de handicap. Les outils de cartographie participative révèlent donc une ville sensible et la donnent à lire avec davantage de clarté. Ils permettent alors aux habitants d’améliorer leur expérience urbaine et aux autorités locales de développer une meilleure perception des dynamiques de terrain afin de faciliter le dialogue avec leurs administrés.
Aujourd’hui en Europe, les outils sont disponibles (OpenStreet Map, Google Map) et le taux d’équipement pour y accéder est élevé. Néanmoins, pour permettre d’utiliser le crowdmaping à son plein potentiel, deux pré-requis semblent nécessaires : attirer les plus grand nombre d’habitants et les fidéliser. Assurer l’usage par le plus grand nombre d’habitants garantirait que ces cartes constituent un portrait le plus fidèle possible du territoire dans sa diversité. Fidéliser les utilisateurs permettrait dans un second temps de faire vivre ces cartes et les utiliser comme outil de démocratie participative offrant aux habitants la possibilité s’approprier leur ville et de la co-construire. La carte aura alors finalisée sa mue d’un outil de contrôle centralisé à un outil de collaboration et d’émancipation de la population.
Le phénomène de l’été, Pokemon Go, nous prouve qu’il est possible de ramener les habitants à parcourir leur ville à travers le jeu. En s’inspirant de ce succès, développer des outils de cartographie participative incluant une dimension ludique permettrait de répondre à cette double exigence du nombre et de la fidélité des usagers. Si la cartographie devient un jeu, la ville devient une aventure ?