Manille : habiter l’impossible

Pour ne rien gâcher, Manille est colorée - Crédits travelmag.com sur Flickr
22 Oct 2015

Si le pays compte 144 villes au total, Manille est la capitale des Philippines et l’une des dix-sept entités urbaines appartenant à l’aire métropolitaine principale, aussi appelée “Grand Manille”. Avec ses 1 652 171 habitants en 2010, elle représente la deuxième ville la plus peuplée de l’archipel – derrière Quezon City – et l’aire urbaine la plus densément peuplée du monde.

Si les chiffres sont impressionnants, tournons-nous désormais du côté de certains usages locaux pour illustrer plus aisément l’ambiance de ces espaces méconnus. Habiter un lieu, cela se construit, et les territoires les plus démunis auront maintes fois prouvé leur réactivité en la matière. Convivialités, audace, robustesse ou inventivité : place aux leçons d’urbanité données par ces quartiers de Manille insolites.

Pour ne rien gâcher, Manille est colorée - Crédits travelmag.com sur Flickr

Pour ne rien gâcher, Manille est colorée – Crédits travelmag.com sur Flickr

J’habite un cimetière de Manille

L’une des figures emblématiques des urbanités singulières de l’archipel philippin s’incarne dans le fameux cimetière habité de Navotas, situé dans le Grand Manille. Le rapport aux morts et aux lieux d’inhumation représente bien souvent l’un des prismes les plus enrichissants pour tenter de comprendre telle ou telle société du globe. Chaque culture et chaque famille conduit ainsi deuils, funérailles et gestions mortuaires comme elle l’entend. Selon le rapport aux défunts qui s’y sera développé, les pratiques se matérialiseront de façons bien différentes d’un cercle social à l’autre.

“Philippines: les pauvres cohabitent avec les morts à Manille” via AFP

Le cimetière municipal du quartier de Navotas appartient à l’une des aires urbaines les plus pauvres de la capitale. En son sein, plus de six mille personnes ont trouvé refuge, à l’image d’autres quartiers défavorisés de Manille. De nombreux bidonvilles, toujours plus étendus, ont ainsi vu le jour dans les villes philippines durant la période de grande croissance économique du pays. Ici, c’est donc un lieu public qui est investi par des centaines de famille, construisant de nouveaux étages sur les mausolées en pierre, et investissant l’espace comme un lieu de vie à part entière. C’est non sans mal que les vivants se sont installés au cœur d’un urbanisme destiné aux défunts, où ossements et dangers sanitaires ne sont pas rares.

Les documentaires dédiés à cet ovni urbain montrent alors les activités quotidiennes de ces habitants du chaos : transformés en véritables mobiliers urbains, les tombeaux se voient réappropriées pour toutes sortes d’usages, du sport de rue à la pause autour d’un verre. De quoi interroger frontalement notre fréquentation de ces lieux physiques et spirituels. Et si on allait pique-niquer dimanche… sur les tombes du Père Lachaise ?

Je vis à l’orée d’un train

Autre manière d’habiter en ville toute aussi étonnante : loger sur les rails d’un train bel et bien en marche ! A Manille, toujours, la voie ferrée du Philippine National Rail road est occupée par près de 70 000 personnes, commerçants ou simples citadins. Maisons et échoppes sont ainsi édifiées à quelques centimètres seulement de la voie où, quotidiennement, les convois passent en frôlant les habitants et leurs infrastructures de fortune avec une vitesse de 35 km/h.

L’arrivée d’un convoi provoque une dispersion générale, et chacun reprend sa place dès qu’il est passé. Le scénario se répète au fil de la journée à chaque passage de train. Quelques centimètres seulement séparent les wagons des habitations, des étals de légumes, des laveries et de la chaise du coiffeur !“ dans “Manille, la vie le long du train” sur 360° Géo (Arte)

Vue imprenable sur la ville agile - Crédits Goya Bauwens sur Flickr

Vue imprenable sur la ville agile – Crédits Goya Bauwens sur Flickr

Les rails servent ainsi de point de rencontres privilégié entre les habitants : buanderie, déplacements ou terrain de jeu en tout genre s’agencent de façon routinière, entre deux trains. Tout comme son homologue mortuaire évoqué précédemment, ce mode de vie instable – qui renferme certes tous les préceptes d’une ville éphémère et astucieuse utopique – induit de considérables risques pour la vie des riverains. Si ces derniers ont bel et bien appris à vivre avec les passages réguliers des trains, les accidents font partie intégrante du quotidien…

Ces deux exemples d’habitats extraordinaires nous montrent que certaines parties du globe dissimulent des spécimens urbains à la fois surprenants et déterminants pour notre créativité. Bien que générés par des conjonctures économiques et sociales extrêmement précaires, ces terrae incognitae représentent donc le berceau d’idées et d’expériences ingénieuses. Le voyage sollicite la curiosité, et les influences qui ressortent de ces observations lointaines invitent bien souvent à conquérir nos espaces de façon toujours plus audacieuse.

Pour aller plus loin :

{pop-up} urbain
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