Le mall est mort, vive le mall !
Aux États-Unis, près de 25% des centres commerciaux pourraient disparaître dans les cinq années à venir. Temples de la consommation, points de ralliement iconiques des teen movies et accélérateurs de l’étalement urbain, ces « malls » doivent entre autre faire face à la concurrence des sites de vente en ligne. De l’autre côté de l’Atlantique, le modèle français traverse les mêmes difficultés. Pourtant, déjà championne d’Europe du nombre de centres commerciaux par habitant, la France continue à distribuer les autorisations de construire, dans une fuite en avant inquiétante.
Une crise de modèle ?
« Il y a beaucoup d’espace dans ce mall… » remarquaient avec un calme olympien les Blues Brothers, roulant à tombeau ouvert dans un centre commercial pour échapper à la police. Défonçant vitrine sur vitrine, ils s’émerveillaient : « pantalons disco, coiffeur, vêtements pour bébés, on trouve tout ici ! ». Sorti en 1980, le film Blues Brothers prend un malin plaisir à ravager le temps d’une scène un lieu emblématique de la culture américaine, où effectivement on trouve de tout. Ou du moins, on trouvait de tout. Car après avoir essaimé le pays dans les années 60 et s’être imposés comme une pierre angulaire de la vie sociale en zone périurbaine, les malls pataugent. La concurrence des sites de vente en ligne semble porter un coup majeur à un modèle dépendant entièrement de la voiture. Entre 2000 et 2013, la fréquentation des centres commerciaux aux États-Unis a baissé de moitié et les analystes prévoient la fermeture d’un centre commercial sur quatre d’ici 2022.
En France, la situation est différente mais elle n’en est pas moins alarmante. Si la baisse de fréquentation est régulière depuis quelques années, elle reste assez faible. En revanche, le nombre de centres commerciaux construits et en projet est en hausse constante, de manière complètement déconnectée de la consommation des ménages et des besoins territoriaux. Un rapport de 2016 du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) et de l’Inspection Générale des Finances, montrait une augmentation de 3% de surfaces commerciales chaque année depuis 2000, soit deux fois plus vite que la consommation française. Plusieurs lois sont aujourd’hui pointées du doigt pour avoir levé dès la fin des années 90 différentes conditions nécessaires à l’obtention du permis de construire.
Saturation commerciale
Si la France peut désormais se féliciter d’être championne européenne du nombre de centre commerciaux par habitants, elle doit faire face au revers de la médaille. L’étalement urbain et la prolifération chaotique des malls ont mené une concurrence déloyale aux centres-villes qui ont été lentement désertés. « 62 % des centres-villes observés ont un taux de vacance (commerciale) supérieur à 10 %, limite symbolique considérée comme critique. Ils étaient seulement 10 % en 2001 », explique un rapport de janvier 2018 de la fédération du commerce spécialisé (Procos) dont l’habitude est plutôt à la prudence pour ne pas affoler le secteur.
Pour l’architecte urbaniste Ariella Masboungi, lauréate du Grand Prix de l’urbanisme 2016 : « Le modèle français est un désastre. La France a un droit permissif alors que l’Europe du Nord a un droit non permissif. » ajoute-t-elle en faisant allusion aux règles d’urbanisme allemandes ou anglaises. La Grande-Bretagne, en effet, oblige tout projet à prouver qu’il ne peut être mené dans le centre avant de l’envisager en périphérie. L’Allemagne de son côté a imposé une législation très stricte depuis les années 60 qui énonce peu ou prou que « les projets d’implantation ne sont recevables que s’ils se situent dans une zone commerciale centrale ». Une position vivement contestée en 2006 par la Commission européenne mais défendue bec et ongle par l’état fédéral allemand. Dans une passe d’armes juridique houleuse, Bruxelles avait exigé une libre installation des commerces et l’Allemagne avait répliqué que le déplacement des commerces vers la périphérie serait préjudiciable aux personnes à faible mobilité. La détermination politique de l’Allemagne semble porter ses fruits puisqu’aujourd’hui ses villes moyennes ne traversent pas la crise subie par les villes françaises ou belges.
Politique de l’autruche
Alerté par le milieu associatif et les élus locaux, le gouvernement Macron s’est emparé du sujet. En tête de la mobilisation, l’association d’élus Centre-ville en Mouvement, qui étudie et accompagne la transformation des villes françaises depuis dix ans, suggérait en effet la mise en place d’un moratoire sur les autorisations de zones commerciales. Sans retenir cette option, le gouvernement a annoncé en mars dernier un plan « Action cœur de ville » de 5 milliards d’euros sur cinq ans pour revitaliser les centres-villes. Le programme doit « développer une nouvelle offre commerciale en centre-ville et rééquilibrer les conditions d’implantation avec la périphérie », selon le ministère de la cohésion des territoires. La volonté est de ne pas opposer centre et périphérie mais de les rendre complémentaires.
Pendant ce temps, dans un effort de coller aux désirs de consommation des français, les malls font leur mue. Toujours plus ambitieux et polymorphes, ils deviennent de véritables centres de loisirs à la pointe de la technologie et de l’innovation. Le projet géant Europacity prévoit outre la construction d’une vaste surface commerciale, des bureaux, des hôtels, des salles de spectacle, un parc aquatique, une piste de ski et même une annexe au Centre Pompidou. Annoncé pour 2024, ce mall du futur s’installe sur les terres agricoles du triangle de Gonesse, inhabitables à cause des nuisances sonores des aéroports de Roissy et du Bourget. La mobilisation locale est forte contre le projet qui a subi plusieurs revers administratifs en début d’année. On peut effectivement s’interroger sur la validité urbaine et économique d’un tel chantier : le nouveau pôle urbain exercera une concurrence disproportionnée sur les petits commerces locaux mais aussi sur les autres centres commerciaux de la région. Rappelons qu’à quelques kilomètres de là, un syndicat de municipalités franciliennes s’efforce plutôt de reboiser une plaine pour la protéger de l’urbanisation.
Pour aller plus loin :
Vos réactions
Bonjour,
Consultant en programmation Urbaine et Commerciale depuis 15 ans, après avoir passé une douzaine d’années chez différents promoteurs de centres commerciaux – heureusement sur des projets multi-fonctionnels de centre-ville (!) – je suis régulièrement consulté par des Elus sur l’avenir de leur centre-ville.
Autant, il y a quinze ans, on pouvait encore espérer redresser la barre, autant aujourd’hui, dans la plupart des cas, il est trop tard: seuls des services (banques) et des restaurants tiennent encore …
Nos édiles ont en effet laissé s’installer des hypermarchés avec galeries aux quatre points cardinaux de leur cité, et maintenant on assiste à la déferlante des Retail Parks où les enseignes voient l’opportunité d’exploiter leurs commerces avec des coûts immobiliers réduits.
Cependant, de nombreux projets périphériques ont du mal à se commercialiser, ou alors par des transferts qui déstabilisent d’autres galeries , ou les centre-villes …
Et pourtant, les projets se vendent et se revendent entre promoteurs, investisseurs court terme et investisseurs long terme …
Tout est en place pour arriver bientôt à un mini krach immobilier suite à l’éclatement proche (?) de la bulle spéculative de l’immobilier commercial périphérique …
Ce que je répète aux Elus depuis des années :
1/ le commerce de centre-ville ne se décrète pas : c’est le baromètre d’une cité bien gérée, et bien équilibrée …
2/ réhabilitez les logements de centre-ville vacants (30 % dans certains centre-ville anciens), de manière à ramener une population résidente de consommateurs de proximité, qui stabiliseront le CA des commerçants encore en activité en centre-ville
3/ ramenez des emplois tertiaires en centre-ville : pourquoi aller installer des services administratifs, Pôle Emploi ou autres, dans des zones d’activités périphériques, par facilité, alors que des services implantés en centre-ville créent du flux et des employés qui consommeront le midi, aux cafés, aux terrasses, et dans les commerces qui feront (enfin) l’effort de rester ouvert entre midi et deux …
4/ rendez vos centre-vile agréables, accueillants. Ne chassez pas les voitures, ce sont des clients potentiels ! Entre un centre ville peu pratique d’accès, où le stationnement a été supprimé, ou fait l’objet d’une tarification horaire discriminante, et le stationnement gratuit et confortable des pôles commerciaux de périphérie, les clients ont vite fait leur choix. Organisons des poches de stationnement suffisamment dimensionnées en limite périphérique de l’hyper centre-ville , à l’occasion d’opérations d’urbanisme, (parkings enterrés, silos …) où la gratuité soit la règle pour les
consommateurs du centre-ville …
5/ alors, quand toutes ces conditions nécessaires auront été mises en œuvre, les commerçants et les enseignes commenceront à s’intéresser à nouveau au centre-ville, et il sera temps de travailler sur l’organisation urbaine, architecturale, technique, juridique et financière des rez-de-chaussée commerciaux qui, la plupart du temps, ne sont plus du tout adaptés aux critères du commerce contemporain …
Quel chantier !
Mesdames et Messieurs les Elus … soyez visionnaires pour vos centre-villes !