L’urbanité, un nouvel élitisme pour les marques ?
Depuis maintenant plusieurs années, certaines grandes marques ont compris que le street-art était synonyme de ventes pour une cible bien définie de consommateurs urbains. Que ce soit par du graffiti, du yarn-bombing, des affiches, ou même des produits signés par des street-artistes, de nombreuses grandes marques ont associé leur image à l’art de rue.
Mais ça c’était avant, car les marques ne s’arrêtent jamais à la première mode et tentent habituellement, si ce n’est de correspondre à la tonalité actuelle, de la prévoir et de l’imposer au plus grand nombre. Le street-art associé aux marques n’est bien entendu pas dépassé, il est même carrément en vogue, puisqu’aujourd’hui ce sont même des agences de communication qui se créent pour répondre à cette demande et mettre en lien des grandes entreprises avec des street-artistes à l’occasion d’évènements divers.
Ainsi, dernièrement, c’est Peugeot qui a embauché deux street-artistes pour repenser intégralement l’espace Peugeot Avenue Paris, sur les Champs Elysées et ainsi mettre en valeur sa nouvelle 108 dans l’exposition Urban Life in Colors. Dans le discours visant à présenter sa petite dernière, la marque au Lion évoque la ville comme « son terrain de jeu favori ». Il n’en fallait donc pas plus pour la marque pour en conclure qu’il leur serait utile de se diriger vers cette nouvelle forme de communication et ainsi s’approprier tout le côté subversif, dynamique et urbain présent dans le street-art.
L’urbanite, un nouveau minerai ? pic.twitter.com/zpuiE8kW73
— Le Monde correct (@LeMonde_correct) 27 Juillet 2015
Mais dernièrement, l’appropriation de la culture urbaine par les marques a franchi un pas de plus. La marque SENNHEISER a notamment fait grand bruit dans le métro parisien en lançant à coups d’affiches 200×150, sa nouvelle série de casques intitulée (tenez-vous bien) « Urbanité » ! Oui oui, rien que ça ! Plutôt que de passer par quatre chemins et au final tenter de représenter la culture urbaine au travers d’un produit, la marque qui fabrique des microphones, casques, accessoires téléphoniques, intitulera son dernier né comme le meilleur produit de la ville…
En ce qui concerne la description du produit, le site internet spécifie que « L’URBANITE est destiné à des oreilles qui n’acceptent rien d’autre que la meilleure qualité sonore. » Doit-on en conclure que c’est l’image reflétée par ce qu’on doit trouver en ville ? Le meilleur et rien d’autre que le meilleur ?
Quoi qu’il en soit, d’autres marques jouent actuellement sur le même tableau sans pour autant s’intéresser à la construction de la ville. C’est notamment le cas de la marque UrbanPost qui se définit comme le spécialiste de la livraison urbaine.
D’autres marques s’investissent dores et déjà dans la construction de la ville et de leurs engagements et de nouvelles pratiques urbanistiques en découlent. Elles répondent certes à des impératifs privés mais déploient une pratique renouvelée de la ville en l’adaptant aux usages de ses employés ou de ses cibles clients.
Mais le cas de SENNHEISER est sans doute fondamental dans l’évolution de la stratégie des marques de ces dernières années. Découvrant (enfin !) que l’urbain se vit aujourd’hui comme une identité où chacun (et c’est cela le plus important) devrait pouvoir trouver sa place, la marque fait la promotion de son produit avec le terme Urbanité. En effet, pour information, selon wikipédia, l’urbanité décrit les spécificités, points de vue, réactions et modes de pensée associés au fait de vivre en ville. Sa source en latin est urbanitas, qui définit les qualités humaines acquises en société. Elle décrit une élégance de vocabulaire et de savoir-vivre, en opposition à rustique, discourtois ou brutal.
La Maison Plisson adopte le même lexique pour “s’adapter aux horaires des citadins” comme si finalement dans la tendance économique actuelle, l’élargissement des horaires de travail n’étaient qu’une donnée spécifiquement “citadine”.
Malgré cette apparente adaptabilité des marques, il transparait donc de cette nouvelle tendance, un certain élitisme assez paradoxal quand on pense que le street-art est à l’origine de cet “esprit urbain” sur lequel elles surfent aujourd’hui. En effet, le street-art provenant avant tout d’une culture populaire revendicatrice, l’usage élitiste que font les marques de tout ce qui découle de cette culture urbaine, la détourne de son aspiration.
Comprenant que l’urbanité serait pour elles, un “nouveau minerai”, la tendance que ces marques proposent laissent penser qu’elles en réservent aujourd’hui les joyaux à une certaine catégorie de personnes.
Et pour demain ? Deux stratégies possibles : continuer à transformer l’urbanité en un nouvel élitisme, ou au contraire étendre ce principe vers de nouvelles cibles et ainsi le transformer pour l’intérêt commun en un modèle intégrateur et digne de tous. What else ?