L’urbanisme transitoire, un paradoxe plein d’avenir

photo de la halle papin
1 Avr 2020 | Lecture 6 minutes

Depuis une petite dizaine d’années, l’urbanisme transitoire est sur toutes les lèvres. Dans la presse généraliste ou spécialisée, dans les colloques et les conférences, dans les salons urbanistiques ou les cénacles des députés. Pourtant, derrière ce néologisme relativement consensuel se cache une réalité très hétérogène, où les acteurs se cherchent et les modèles s’inventent encore. 

Avant-propos : en 2019, Bouygues Immobilier a piloté une étude interne sur l’urbanisme transitoire, réalisée par pop-up urbain. Complétant les nombreux travaux de recherche disponibles sur la question, cette étude visait à mieux comprendre les enjeux de ces modes opératoires émergents, et leurs incidences sur les métiers de la promotion immobilière et de l’aménagement. Les billets qui suivent en relatent les principaux enseignements, élargis aux différents métiers de l’urbain.

Les mots ne manquent pas pour désigner ce qui semble n’être qu’une seul et même phénomène : urbanismetransitoire”, “temporaire” ou “éphémère” font partie des termes qui reviennent le plus souvent. Certains parlent aussi d’urbanismeintermédiaire”, “événementiel” voire “intercalaire”. A cela s’ajoute le champ lexical de la friche, régulièrement utilisé. L’expression “urbanisme transitoire” révèle elle-même un paradoxe : si l’urbanisme suppose une planification sur le long terme, comment pourrait-il aussi être provisoire ?

Les mille visages de l’urbanisme transitoire

photo de la halle papin

Halle Papin © Kim Sakho

Ce flou sémantique est à l’image du secteur : hétéroclite et foisonnant. L’urbanisme transitoire s’est diffusé si rapidement que différentes visions s’entremêlent et se chevauchent. Il est toutefois possible d’en définir le principe de manière relativement consensuelle. Stricto sensu, l’urbanisme transitoire désigne l’occupation temporaire d’un bien immobilier vacant… A partir de là, mille nuances sont possibles. On peut en retenir trois principales. La nature du bien immobilier, d’une part : il peut s’agir de terrains vagues, de bâtiments inutilisés (anciennes gares ou locaux d’entreprises), de hangars, etc. La durée de l’occupation, d’autre part : celle-ci peut être particulièrement éphémère (de quelques jours à quelques mois), ou au contraire s’étaler sur plusieurs années. C’est par exemple le cas des Grands Voisins à Paris, l’un des projets les plus emblématiques du secteur, qui s’est installé sur l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul de 2015 à 2017, avant d’être prolongé pour la durée des travaux.

Et c’est d’ailleurs sur ce troisième point que les projets peuvent diverger. Certains projets servent en effet à préfigurer des usages qui seront pérennisés “en dur” dans un projet à venir. Par exemple, si une buvette rencontre un franc succès auprès des riverains, l’aménageur peut décider d’ajuster son cahier des charges pour intégrer cette composante au sein du futur programme immobilier. “Le succès des Grands Voisins a été étudié pour intégrer certains enseignements dans la dynamique globale de l’écoquartier à venir, écrivait Demain la ville à l’époque. Paris Batignolles Aménagement, en charge de la réalisation du projet, a d’ailleurs pour ambition de s’appuyer sur les nouveaux usages impulsés par l’occupation des lieux pour faire émerger ce nouveau lieu de vie pour les parisiens.” Le terme “transitoire” prend alors tout son sens.

La signalétique et le mobilier donnent de nouvelles couleurs à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul Photo : Jasmine Léonardon

La signalétique et le mobilier donnent de nouvelles couleurs à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul
Photo : Jasmine Léonardon

De quoi la transition est-elle le nom ?

Mais on aurait tort de croire que toute occupation temporaire s’inscrit forcément dans cette logique ! Certains projets assument de n’être que des occupations temporaires et limitées dans le temps, qui ne cherchent pas à “tester” des usages mais plus simplement à redonner vie à des friches et leurs quartiers environnants. En Île-de-France, près d’un quart des projets s’inscrivent “dans des contextes moins actifs du point de vue des transformations urbaines, sans dynamiques fortes de mutation”, comme l’expliquait l’Institut Paris Région dans un récent bilan. D’autres enfin définissent des objectifs plus ouverts, qui évoluent au fur et à mesure que les occupants apprivoisent le site… La notion de “transition” est donc à entendre au sens large : non pas transition entre un espace vacant et un projet urbain à venir, mais transition vers une redynamisation plus diffuse du territoire. Les deux définitions ne s’opposent pas, loin de là. Mais elles appellent évidemment des logiques très différentes sur le plan opérationnel, tant au niveau des cahiers des charges que des porteurs de projets qui s’installent sur un site.

Dans tous les cas, l’urbanisme transitoire implique une agilité sans précédent. S’il faut évidemment s’appuyer sur des méthodes urbanistiques éprouvées (montage de projet, normes réglementaires, etc.), l’occupation temporaire exige des ajustements permanents dans tous les domaines. Modèles économiques, événements et installations éphémères : un site en transition se doit d’être vivant s’il veut revivifier son territoire. 

Un Rubik’s Cube d’interlocuteurs

Dans cette perspective, un nouveau type d’acteurs émerge pour piloter et animer ces projets. Ils y jouent le rôle de couteau suisse, faisant l’intermédiaire entre les différentes parties prenantes. D’un côté, les collectivités, aménageurs publics ou propriétaires qui décident de mettre le bien immobilier à disposition, en définissant généralement les objectifs du projet. De l’autre, les “occupants” qui peuvent être de natures très variables. Sur un projet tel que les Grands Voisins, il fallait ainsi compter sur une ribambelle d’acteurs associatifs ou événementiels, de petites entreprises en coworking, d’agriculteurs ou d’artisans venant ponctuellement animer le site… sans oublier les visiteurs et les riverains, évidemment. Cette intermédiation incombait par exemple à Plateau Urbain, chargé de faire le lien entre l’aménageur (ici Paris Batignolles Aménagement) et les occupants. Autrement dit, de trouver le bon équilibre entre la planification de long terme et la vie quotidienne du site.  

Le facilitateur se retrouve ainsi au centre d’un vaste écosystème qui façonne l’identité du projet. C’est aussi ce qui explique que ces structures soient par nature pluridisciplinaires, capables de parler à la fois le langage de l’urbanisme “traditionnel” et celui des porteurs de projets, souvent issus de champs bien éloignés de l’urbain. C’est l’un des principaux enseignements de la première vague de projets d’urbanisme transitoire que la France a connu depuis le milieu des années 2010. Dotées de compétences qui dépassent les acteurs historiques du secteur, ces structures se sont imposées dans le paysage urbanistique et promeuvent à leur tour cette nouvelle manière de faire la ville. Cette évolution n’est évidemment pas sans poser quelques questions, en termes de jeu d’acteurs et donc incidemment de “partage du gâteau”. Un sujet évidemment crucial, sur lequel nous reviendrons dans les prochains volets de cette série de billets.

{pop-up} urbain
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Vos réactions

Farid
5 avril 2020

Vraiment intéressant

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