L’urbanisme qui joue avec le feu
Novembre 2018 : la ville de Paradise est ravagée par l’incendie le plus dévastateur que la Californie ait jamais connu. Aujourd’hui, la commune se reconstruit peu à peu mais elle n’oublie pas l’événement. Pour prévenir et limiter les catastrophes futures, les habitants et les pouvoirs publics travaillent sur un urbanisme anti-feu.
Chaque année en état de sécheresse extrême, la Californie doit apprendre à faire face à la multiplication des grands incendies. Perdues dans les immenses forêts du grand-ouest américain, certaines villes sont particulièrement exposées. Elles sont surveillées par le programme Wildland Urban Interface (WUI) de l’administration des incendies des USA. C’est le cas de Paradise, une ville de 27000 habitants du comté de Butte. En novembre 2018, elle est ravagée à 90% par le feu de forêt le plus meurtrier de l’histoire californienne. Provoqué par une étincelle sur une ligne électrique environnante, l’incendie dévore 620 km² avant d’être complètement éteint. 85 personnes perdent la vie et 19 000 bâtiments sont détruits sur son passage. Les experts rapportent qu’au plus fort de la catastrophe, l’équivalent de 200 terrains de foot étaient engloutis par les flammes chaque minute.
La ville phénix
Aujourd’hui, les habitants sont décidés à faire revivre leur petit coin de nature, aussi exposé au risque soit-il. Au gré des chantiers, la ville renaît doucement de ses cendres. Mais l’approche a changé : la municipalité profite de la « table rase » pour repenser son aménagement urbain, sa philosophie et sa résilience. Six mois après la catastrophe, elle publiait un plan long terme de rétablissement de la communauté, avec l’accompagnement du cabinet d’architecture Urban Design Associates. Le livret décline les priorités selon cinq grands axes que sont la sécurité, l’accueil, l’économie, la qualité de vie et l’écologie.
Ainsi, la ville repense son zonage, elle se verdit et améliore sa marchabilité, chose plutôt rare en zone rurale aux États-Unis. Son modèle fiscal évolue pour faire face aux lourdes pertes de l’incendie. Bien sûr, une panoplie d’actions sont dirigées vers le risque incendie : éducation et sensibilisation, système d’alerte, nouvelles routes d’évacuation… Des subventions sont également mises en place pour encourager les résidents à construire des maisons plus résistantes au feu. Certains ont déjà fait ériger des « Q Cabin », un modèle de maison en tôle corruguée inspiré des installations militaires de la Seconde Guerre mondiale.
Les arbres étaient adaptés, pas la ville
Au-delà du relogement en urgence des habitants, une vision plus long terme se met en place. « La destruction de la ville a été phénoménale, mais ce qui m’a frappé, c’est de voir la survie d’une partie de la forêt. Les arbres étaient adaptés au feu, la ville ne l’était pas », relève Stephen J. Pyne, historien de l’environnement spécialiste du feu et professeur émérite à l’université d’Arizona. À la manière de l’urbanisme de la Nouvelle Orléans qui avait accentué les effets dévastateurs de l’ouragan Katrina, la destruction de Paradise a permis de jeter la lumière sur les bonnes et les mauvaises pratiques en matière de gestion du risque d’incendie.
« Nous devons changer notre manière de penser » résume Dan Efseaff, chef de district aux parcs et espaces verts de Paradise. Avec différents acteurs, comme l’organisation de protection de l’environnement The Nature Conservancy et l’agence d’urbanisme et de paysagisme SWA group, la ville étudie pendant six mois comment le feu s’était propagé dans la ville. Elle développe ensuite des solutions capables de freiner la progression du feu, inspirées de la nature. Sept zones sont identifiées pour leur typologie et leur végétation, elles seront gérées différemment en fonction de leur écosystème et de leurs propres essences d’arbres. « L’idée est de créer une zone tampon tout autour de la ville » résume Dan Efseaff.
Paysagisme anti-feu
La ville a déjà commencé à acquérir des terrains dans la constitution de la ceinture verte. Cet espace sera surveillé et aménagé selon des principes stricts. Les essences, la distance entre les arbres, la hauteur des branches les plus basses, la hauteur de l’herbe… Plutôt que de multiplier les casernes de pompier ou d’investir dans des bassins de rétention d’eau, ce sont des principes de paysagisme qui sont mis en place. Ils sont moins coûteux et plus compréhensifs des mécanismes naturels.
C’est l’objet d’un revirement important de ces dernières années. La Californie s’est longtemps efforcée de protéger ses forêts en éteignant les feux. Désormais les services de gestion des forêts déclenchent eux-mêmes des incendies contrôlés. Ils reproduisent ainsi des phénomènes naturels et humains qui régulent les écosystèmes forestiers depuis la nuit des temps. Dans sa stratégie 2021, le service de gestion des forêts californiennes énonçait ainsi que « le consensus scientifique reconnaît que des incendies fréquents et de basse intensité peuvent être une force positive dans l’amélioration de la santé des forêts, de leur biodiversité et de la sécurité des habitants. Nous tirons parti des pratiques amérindiennes, des éleveurs et des communautés rurales pour rapidement développer l’usage des feux prescrits ». Jouer avec le feu pour mieux le maîtriser ?