L’ultra confort : de l’idéal personnel à la dégradation collective des villes
Dans son ouvrage “Homo confort, le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes”, Stefano Boni explique que la quête de l’ultra confort dans notre vie quotidienne nous restreint dans un cocon qui nous prive de l’expérience du monde extérieur et de nous-même.
Derrière cette réalité, qu’est ce que cette quête du confort raconte de notre relation à l’espace urbain ? Nous pousse-t-elle à penser, à concevoir, à produire la ville d’une manière particulière ? Que raconte-t-elle de l’évolution de nos villes ?
L’Histoire de l’humanité peut être racontée à travers les grandes inventions qui lui ont permis de gagner en confort de vie. De l’invention du feu pour se réchauffer, cuire, s’éclairer ; à l’électricité améliorant ainsi le cadre de vie tout en diminuant les efforts à fournir, l’Homme s’est peu à peu construit un environnement où il lui était plus facile de vivre. L’ère industrielle a apporté son lot d’innovations qui ont largement permis de transformer le quotidien. Longtemps considéré comme un luxe, le confort s’est désormais démocratisé dans une époque où les logements, les transports et le travail en usine se sont grandement améliorés.
Nous sommes désormais entrés dans une nouvelle époque : celle de l’ultra confort. Guidées par des avancées technologiques majeures, les dernières décennies ont réinterrogé de façon inédite notre lien au confort, qui selon certains se définirait comme une quête perpétuelle.
L’Homo-Confort de Stefano Boni
Anthropologue et essayiste italien, Stefano Boni s’est intéressé dans son dernier ouvrage “Homo-Confort, le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes” à l’évolution du rapport de l’Homme avec la notion de confort. Décrit comme un idéal absolu, l’Homo évoluerait de manière à être débarrassé de toute contrainte, fatigue ou encore effort. Une quête rendue possible grâce au confort moderne, qui selon-lui, aurait affaibli nos sens. Cela engendrerait une perte d’autonomie dans la vie de tous les jours causée par la technologie et les nouveaux dispositifs d’intelligence artificielle. Mais la notion d’Homo-confort s’accompagne également de celle d’un invidualisme croissant : la recherche d’un confort absolu pousserait en effet l’homo a davantage penser d’abord à lui avant de penser aux autres. Elle vient donc briser les relations sociales et dans le pire des cas les instrumentaliser pour servir son propre confort : “Plutôt que de se rendre au restau entre amis, on se fait livrer des burgers que l’on dévore devant Netflix. Au lieu de faire la fête sur le dernier tube de Rihanna, on passe l’aspirateur dans son salon et on planifie la semaine à venir… C’est ce qu’indique une étude du Credoc sortie fin 2021, dans laquelle 37 % des sondés rêvaient pour occuper leur vendredi soir d’un plateau télé, 13 % d’une soirée plaid sur le canapé et 34 % d’une séance course-ménage.”
Une quête de l’ultra-confort qui s’accompagne souvent de la notion d’instantanéité rendue possible par la révolution des objets connectés. Les êtres humains peuvent avoir accès à (presque) tout ce qu’ils désirent, rapidement, en un claquement de doigts. Que l’on parle de plateformes de streaming, de livraison à domicile ou de mobilier connecté, le confort a pris une place primordiale dans la vie des gens, et surtout dans leur intérieur.
Quelle place pour la ville dans la course au confort ?
Alors que l’Homo-Confort de Stefano Boni aurait tendance à privilégier le confort de son intérieur, on peut se questionner à ce que la ville a à nous offrir. Tout comme l’histoire de l’humanité, l’histoire des villes a été marquée par de grandes transformations qui ont amélioré la qualité de vie de ses habitants. Les principes hygiénistes ont modifié les formes urbaines pour diminuer l’insalubrité urbaine, les travaux d’Haussmann sont venus offrir des espaces publics de qualité, les aménagements urbains de la deuxième moitié du XXème siècle ont laissé une place prépondérante à la voiture pour améliorer les conditions de mobilité.
Pourtant paradoxalement, l’amélioration du confort personnel à travers la transformation de ville l’a rendu moins confortable. Le développement du tout-voiture a engendré de nombreuses problématiques que l’on ne connaît que trop bien aujourd’hui. Et pour de nombreuses personnes, l’atmosphère urbaine reste trop agressive : pollution, nuisances sonores, densité.. Autant d’éléments qui, au quotidien, poussent certains à se replier dans leur foyer, un lieu de sécurité et de confort. La crise sanitaire de la Covid-19 a par ailleurs largement participé à démocratiser ce sentiment. Le foyer est devenu le lieu de protection sanitaire quand l’espace public a porté l’étiquette de la maladie. Enfermés pendant des mois, les habitants ont davantage équipé leur domicile, augmentant ainsi leur confort et développé de nouvelles habitudes, quitte à ne plus quitter son chez-soi après le déconfinement.
Mais alors, sommes-nous devenus intolérants à ce que la ville a à nous offrir ? Cela pourrait s’expliquer par la différence de rapidité dans la quête d’un confort absolu personnel et celle d’un confort urbain collectif. La patiente nous quitte peu à peu lorsqu’il faut faire la queue au supermarché alors que les courses peuvent être livrées à domicile, lorsque nous devons payer 15 euros une séance de cinéma alors que l’abonnement Netflix attend sur la télévision, lorsque nous devons faire plus de 30 minutes de transport en commun alors que le télétravail nous est accessible. Alors que la technologie accroît rapidement notre confort personnel, les villes mettent du temps à se transformer.
Mais alors quel avenir pour nos villes?
Cette quête du confort personnel menée par l’Homo-confort vise ainsi à construire une ville sans contrainte, ou plutôt une ville où les contraintes sont déplacées. Le développement du streaming engendre la fermeture de lieux culturels, les services de livraisons à domicile reposent l’inconfort sur de nouveaux métiers précaires, le développement du commerce en ligne pousse les petits commerces à mettre la clé sous la porte. Autant d’évolutions qui marquent physiquement l’espace public, bien souvent de manière négative et qui sont déjà ciblées par certaines politiques publiques. Les dark stores sont le symbole même de cette lutte : ils se sont peu à peu installés au cœur des villes, sans participer à leur dynamisme. « La ville de demain, ce n’est pas la ville des rideaux baissés et des portes closes », a souligné le ministre de la Ville et du Logement Olivier Klein, illustrant ainsi la volonté de l’Etat de limiter leur déploiement.
Les exemples de villes pour lutter contre l’abandon des centres-urbains par leurs habitants sont nombreux. Confrontées à une réalité palpable, celle de la diminution de l’offre commerciale, culturelle, sportive engendrée par de nouvelles logiques de pratiques numériques de l’Homo-Confort, elles cherchent à rendre leur espace public plus attractif. On invente des espaces hybrides, des aménités où le lien social est favorisé, où les nuisances urbaines sont atténuées, souhaitant ainsi attirer de nouveau des usagers. On sort peu à peu d’une logique d’aménagement aseptisé, qui a à son échelle favoriser le recroquevillement des citadins sur le foyer, pour parler de ré-enchantement des villes. Car comme le souligne Stefano Boni “En nous privant de toute expérience considérée comme désagréable ou négative, le confort nous enferme dans un cocon protecteur qui nous coupe du monde extérieur et de nous-mêmes, de tout ce qui fait le « sel de la vie » et contribue à nous rendre pleinement humains.”
C’est à travers cette logique d’effervescence d’usages collaboratifs, qu’il sera alors possible de redéfinir un confort urbain que l’on a tendance à oublier dans l’aménagement de nos villes : celui de la sociabilité qui fait l’essence même d’une ville.