A Londres fleurissent des parcs pseudo-publics

Agent de sécurité dans le parc Fitzroy
11 Juin 2018

Le 15 octobre 2011, le mouvement Occupy se faisait évacuer du Paternoster Square à Londres sous prétexte que le parc était une propriété privée. Les Londoniens apprenaient alors que la Mairie cédait depuis quelques temps la gestion de ses parcs à des entreprises privées. Alors que la pratique devient courante, les citoyens s’interrogent sur le statut et la réglementation de ces « parcs pseudo-publics » qui rognent finalement l’espace public.

 

Parcs à Londres

Chantiers dans les parcs de Londres. Crédits : Shutterstock

Une étrange pathologie se propage depuis quelques années dans les squares londoniens. Impossible pour celui qui s’allonge dans l’herbe de faire une sieste. Au moment précis où, les paupières lourdes il commence à somnoler, un mal inconnu vient énergiquement le réveiller. Ce mal inconnu prend d’abord la forme d’un individu vêtu d’un uniforme. Ce dernier affirme qu’il ne fait qu’exécuter les consignes… Mais de qui ? Et quelles consignes ?

Ce témoignage à peine romancé a été recueilli par les journalistes du Guardian auprès de sans abris londoniens. En effet, la rédaction du journal enquête depuis quelques temps sur la privatisation de parcs publics, désormais rebaptisés « parcs pseudo-publics » ou « Pops ». Dans la capitale, ce système de gouvernance prend de l’ampleur sans que l’on ne sache rien de ses modalités. En effet, ces privatisations invisibles sont ignorées de l’usager. Au moins jusqu’à ce qu’il contrevienne à une règle édictée par le gestionnaire. Car c’est bien là toute la question, ces parcs pseudo publics ne relèvent pas du droit commun dans l’espace public mais d’un règlement privé, décidé par le propriétaire et mis en application par des sociétés de sécurité privées.

Agent de sécurité dans le parc Fitzroy

Agent de sécurité dans le parc Fitzroy à Londres – Shutterstock

Si rien n’oblige la ville à tenir un recensement de ces espaces, le Guardian dénonce un manque de transparence qui « alimente des inquiétudes au sujet d’un déficit démocratique grandissant au sein du pouvoir public local ». Sur les 14 propriétaires de parcs à Londres identifiés par le Guardian, seulement deux ont répondu, et de manière assez floue, aux questions des journalistes. Depuis, les témoignages de règles arbitraires imposées aux usagers pleuvent. Le plus mémorable se trouve dans les colonnes du Londonist. Sarah Gaventa, ancienne conseillère au gouvernement sur la question des espaces publics, y raconte avoir vu un agent de sécurité demander à deux ouvriers du bâtiment en pause déjeuner de quitter le parc. La raison invoquée ? Leurs pantalons pourraient salir le banc qui à son tour pourrait salir le costume de quelqu’un d’autre. « Apparemment c’est un Pops Hugo Boss » conclut-elle avec cynisme.

La sélection discriminatoire des usagers mise à part, leur activité peut également poser problème. Pendant l’enquête du Guardian, un journaliste s’est vu expliquer que toute activité journalistique sans autorisation était interdite sur le site. De même, le 15 octobre 2011, un groupe de manifestant rallié au mouvement Occupy Wall Street tentait de se réunir devant la bourse de Londres, sur le Paternoster Square. Ils furent évacué par la police au motif qu’ils étaient sur une propriété privée. Témoin des mêmes méthodes lors d’une manifestation Occupy Wall Street dans le Zuccotti Park à New York, l’architecte Léopold Lambert souligne à Libération l’importance d’un Pops dans la stratégie de contrôle des activistes : « Le statut légal de Zuccotti Park a joué un rôle crucial dans la manière dont la stratégie répressive de Michael Bloomberg (NDLR : l’ancien maire de New York) a opéré. » Le parc était en effet encerclé de barrières et d’agents de sécurité employés par le propriétaire du parc.

 

Les barrières et agents de sécurité empêchent l'accès des manifestants Occupy Wall Street au parc Zuccotti

Les barrières et agents de sécurité empêchent l’accès des manifestants Occupy Wall Street au parc Zuccotti (New York) – Shutterstock

« En 1961, raconte l’architecte, la ville de New York négocia un marché avec les promoteurs immobiliers voulant construire des tours plus hautes que ce que le code d’urbanisme ne le permettait. Ceux-ci pouvaient construire plus haut, seulement s’ils accordaient en échange une partie de leur espace au sol au public, qui demeurait cependant leur propriété. Ces espaces sont ainsi nommés « espaces publics à propriété privée » (privately owned public spaces). Le contenu de la législation concernant le fonctionnement de ces espaces est également ambigu, souvent au détriment du public. » En Angleterre, il semble qu’il s’agisse davantage d’une tendance à céder ces espaces aux promoteurs faute de moyens municipaux pour les entretenir.

Dès 2007 la Royal Institution of Chartered Surveyors, un organisme professionnel chargé de réglementer et de promouvoir la profession immobilière avait qualifié le phénomène de « révolution silencieuse dans la propriété foncière ». Ce à quoi certains universitaires avaient surenchéri en consacrant l’expression « urban enclosure », en écho aux enclosures qui avaient introduit la propriété privée dans l’agriculture traditionnelle coopérative anglaise au cours du XVIIème siècle. Le sujet peine à intéresser les citoyens anglais, malgré les efforts du Guardian pour donner de la visibilité au sujet, notamment grâce à une carte des Pops à Londres. Un phénomène à surveiller en France ?

Usbek & Rica
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Vos réactions

Said ALMI
15 juin 2018

Les Etats-Unis et la Grande Bretagne ayant souvent été érigés en modèles, emboîtons-leur le pas. Puis nous passerons à l’Assurance Maladie.

Quent LE
20 juin 2018

Vous l’indiquez en filigrane dans l’article, POPS ne signifie pas « parc pseudo-public » mais littéralement Privately Owned Public Space (donc clairement des espaces publics appartenant au privé).
https://en.wikipedia.org/wiki/Privately_owned_public_space

On peut effectivement les voir comme des « privatisations invisibles » mais cette analyse est en partie biaisée car les POPS n’ont jamais appartenu au public et donc n’ont pas été « privatisés ». Ils appartiennent tout simplement à un propriétaire privé qui les ouvre au public. Tout ceci dans la droite ligne de la philosophie juridique et de l’urbanisme anglo-saxon.
Par exemple à Taipei (Taiwan) qui applique une règlementation largement influencée par les pays anglo-saxons, la majorité des routes est détenue par le privé contrairement à la France.

La controverse soulignée dans l’article reposerait plutôt sur la nature des conventions passées entre les propriétaires et la ville (conditions d’accès…).

Si on peut voir les POPS sous un angle négatif, on pourrait aussi les voir sous un angle positif, et considérer par exemple des lieux comme les Grands Voisins comme des POPS au sens d’une mise en « commun » ?
Le sujet mérite débat en tous cas.

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