Londres dans les jeux vidéo : romantisme victorien ou urbanisme moderne ?

L’inquiétante et oppressante Dunwall, avatar fictif de Londres dans Dishonored
5 Nov 2018

Après les représentations de Tokyo, Paris et la ville américaine dans le jeu vidéo, c’est au tour de la capitale britannique de passer au crible. Considérée comme ville-monde depuis le XIXe siècle, Londres est aujourd’hui plus que jamais un melting-pot bouillonnant, à l’architecture en constante évolution. Les créateurs et créatrices de jeu vidéo ont-ils pris en compte cet aspect de la ville?

Vidéo conçue pour les 20 ans de la Playstation. On peut voir l’évolution de la skyline londonienne ainsi que celle des tendances culturelles des différentes époques traversées

Londres fait partie de ces villes, comme Paris, à avoir une histoire longue, depuis les premières installations durant l’âge de bronze aux grattes-ciels faits de verre et d’acier. Et à ce titre de ville ancienne à vocation internationale à travers le temps, elle a souvent été mise en rivalité avec la capitale française. Aussi, on pourrait s’attendre à ce que Londres reçoive un traitement similaire à celui de Paris dans sa représentation vidéoludique. Mais c’eût été trop simple. Car Londres n’a pas la même Histoire que Paris.

Le cliché victorien

Dans l’imaginaire mondial, Londres, c’est Big Ben, Piccadilly Circus et Buckingham Palace. Soit autant de hauts lieux construits pendant le XIXe siècle, correspondant à une Londres reconstruite suite au grand incendie de 1666, et après les avancées de la première révolution industrielle. Or, qui dit XIXe siècle britannique dit règne de Victoria. L’ère victorienne, avec tout ce qu’elle a de becs de gaz, ruelles insalubres et chemins de fer intra-urbains, est un terrain de jeu apprécié des développeurs de jeux vidéo. Il y a évidemment Assassin’s Creed Syndicate (2015), prenant place en 1868.

Vue de la Tamise depuis Big Ben

Vue de la Tamise depuis Big Ben (Assassin’s Creed Syndicate)

Mais il y a également l’ensemble des jeux s’inspirant de personnages – fictifs ou ayant réellement existé – qui peuplent la très riche culture populaire anglaise à cette époque : Sherlock Holmes (présent dans le monde vidéoludique dès l’apparition des premières plateformes comme l’Apple II ou le Commodore 64) et Jack l’éventreur sont parmi les plus plébiscités. On aura même droit à un Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur en 2009. Ici, c’est moins Londres que les personnages mythiques la peuplant qui intéressent les joueur·se·s. Cependant, l’atmosphère de la ville, mal éclairée, noircie par les fumées industrielles et embrumée par le smog, participe à l’immersion dans le jeu.

Autre conséquence de cette image d’Epinal de la Londres victorienne : les jeux vidéo steampunk[1]. Amnesia: A Machine for Pigs (2013), The Order: 1886 (2015) ou encore Dishonored (2012) partent tous de ce postulat, même si le dernier exemple se déroule dans la ville fictive de Dunwall (qui mélange des éléments de Londres et d’Edimbourg).

L’inquiétante et oppressante Dunwall, avatar fictif de Londres dans Dishonored

L’inquiétante et oppressante Dunwall, avatar fictif de Londres dans Dishonored

Evolution d’une ville et de son paysage

La Londres vidéoludique est-elle donc condamnée à n’être représentée que dans ses incarnations, réelles ou uchroniques, victoriennes ? Non, heureusement ! A l’instar de la filmographie de Guy Ritchie qui nous donne à voir l’évolution des quartiers de la capitale anglaise, le jeu vidéo est également une plateforme nous donnant à voir les évolutions urbanistiques et architecturales de Londres.

Pour commencer, nombre de jeux se déroulant à Londres dans un contexte contemporain se rapprochent de la visite touristique virtuelle. On peut admirer la cathédrale de Saint-Paul dans Tomb Raider III (1998), le London Bridge dans Test Drive 6 (1999) ou encore Buckingham Palace dans ZombiU (2012). Mais le jeu vidéo peut parfois également nous faire sortir des terrains battus, comme DiRT 3 (2011), qui nous permet de “drifter” allègrement autour de la centrale électrique de Battersea, immortalisée sur la pochette de l’album Animals de Pink Floyd.

Pigs on the wing dans DiRT 3

Pigs on the wing dans DiRT 3

La Londres contemporaine se visite également en monde ouvert. Ainsi, la série des The Getaway (2002 et 2004) et sa suite spirituelle, Gangs of London (2006) nous permettent d’arpenter les rues londoniennes, à pied comme en voiture, à la recherche de crimes à commettre. Lors du développement de The Getaway, les équipes de SCE London, le studio de développement, se sont imprégnées de l’atmosphère des différents quartiers de la ville qui allaient être représentés. En résulte une Londres numérique très polygonée, mais vivante, comme une carte postale des différentes communautés qui animent la ville au début des années 2000.

London Bridge is falling down (Legendary)

London Bridge is falling down (Legendary)

Car le tournant du millénaire voit également un changement dans la façon dont le monde perçoit Londres. Plus de la moitié des bâtiments dépassant les 400 pieds[2] de hauteur dans la capitale anglaise ont vu leur construction achevée en 2000 ou après. En conséquence, la skyline londonienne évolue à mesure que l’on avance dans le temps et dans les jeux. Ainsi, la grande roue du London Eye est quasi-omniprésente[3], forte de son statut de grande roue la plus grande du monde entre 1999 et 2006. Mais d’autres grattes-ciels apparaissent, au fil de la sortie de différents jeux. Le fameux Gherkin du 30 St Mary Axe est visible dans le paysage apocalyptique de Legendary (2008). La HSBC Tower est évoquée dans Call of Duty: Modern Warfare 3 (2011). Et évidemment, le London Stadium est largement visible dans les deux jeux officiels des JO de 2012, Londres 2012 (2012) et Mario et Sonic aux Jeux olympiques de Londres 2012 (2011).

Une version de la HSBC Tower dans Call of Duty: Modern Warfare 3

Une version de la HSBC Tower dans Call of Duty: Modern Warfare 3

Londres bénéficie ainsi d’une double identité vidéoludique. D’un côté, il y a la Londres mystique, romantique, presque gothique, du XIXe siècle victorien. De l’autre, il y a une Londres beaucoup plus moderne, centre économique et financier d’un monde en mouvement – les jeux les plus récents se déroulant dans la Londres d’aujourd’hui sont essentiellement des jeux de courses. Compte tenu de ces différentes métamorphoses, on attend un nouveau jeu en open-world, “à la GTA”, qui prendrait place dans la Londres d’aujourd’hui.

[1] Le steampunk est un genre littéraire uchronique qui part du postulat que le progrès technologique s’est arrêté avec la première révolution industrielle. Si ce genre est surtout utilisé dans la littérature, le cinéma, l’animation… pour des raisons esthétiques (cuir, cuivre, engrenages, vapeur…), il recouvre également des idéologies sociales, politiques et scientifiques arrêtées que l’on pourrait considérer comme rétrogrades (justification du colonialisme, darwinisme social…)

[2] Soit 122 mètres.

[3] On le retrouve entre autres dans les Gran Turismo, les Need for Speed et les Project Gotham Racing se déroulant à Londres.

{pop-up} urbain
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Vos réactions

Fyfre
6 novembre 2018

Article vraiment intéressant ! On aurait pu ajouter le jeu « Midtown madness 2 », un jeu de course de 2000 où l’on pouvait circuler librement ou faire des courses à Londres et San Francisco, au volant de véhicules emblématiques (bus à impériale, black cab, austin mini ou voiture de police). Le jeu « Hellgate : London » de 2007, hack’n’slash rappelant Diablo, présentait un Londres très atypique, envahi par les forces du chaos et ruiné.

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