L’intelligence artificielle au service du bâtiment de demain
Quelques jours avant le dévoilement du rapport Villani sur l’intelligence artificielle en France, se tenait à Cannes une table ronde sur « l’intelligence artificielle au service du bâtiment de demain ». Organisée par Bouygues Immobilier dans le cadre du Marché International des Professionnels de l’Immobilier (MIPIM), cette discussion avait pour but de rassembler différents acteurs du monde du bâtiment autour des perspectives d’avenir offertes par l’intelligence artificielle. De l’importance de bâtiments connectés, flexibles et humains, retour sur la table ronde et les principaux thèmes abordés.
De nouveaux besoins nomades
De la même manière qu’elle s’est intégrée à l’automobile, la technologie est en train d’entrer dans le bâtiment. Désormais capable de s’auto-diagnostiquer, d’optimiser sa consommation et son occupation, l’immeuble connecté offre de nouvelles opportunités au promoteur, comme à l’architecte et à l’habitant. Comment exploiter au mieux ces nouvelles technologies tout en respectant la vie privée ? Quels sont les business model du bâtiment de demain ? Comment intégrer les nouveaux métiers au processus de construction ? Pour adresser pleinement ces enjeux, la table ronde réunissait des intervenants aux profils variés, issus du monde de la recherche, du conseil, de l’architecture, des start-up et des investisseurs. Pour Éric Mazoyer, Directeur Général Délégué de Bouygues Immobilier, le débat sur l’intelligence artificielle est incontournable. Avec l’évolution des habitudes de travail, le besoin d’adapter l’offre est impérieux. « Aujourd’hui les locataires sont prêts à payer plus chers pour des durées plus courtes. Ils veulent des espaces modulables et des baux flexibles. » Le coworking répond à ces besoins et déplace l’activité immobilière vers de l’activité de service. « Il a fallu qu’on commence par mettre des capteurs sous les fauteuils dans nos bureaux pour se rendre compte que les taux d’occupation étaient à 60% explique Éric Mazoyer. Notre offre de coworking Nextdoor ne serait jamais née sans ces données. »
Vers l’hôtellerie d’entreprise
Cette nouvelle activité de services laisse présager une transformation du métier de promoteur immobilier, dont la mission excédera la simple livraison du bâtiment. « On ne vendra plus des mètres cube mais des postes de travail et des services » analyse Éric Mazoyer, qui imagine son entreprise se diriger vers de l’hôtellerie d’entreprise. « Jusqu’où ira-t-on ? Est-ce qu’on conservera la propriété du bâti ? Est-ce qu’on trouvera des structures en participation avec des financiers pour transférer la gestion et être opérateur comme on le fait sur Nextdoor ? » Si la question reste ouverte, les choix concrets se multiplient. Pour Marc Bertrand, CEO de la Française Real Estate Managers, le virage du service se prend très rapidement et crée une forte compétition entre les investisseurs. La difficulté principale réside dans l’alignement de deux temporalités opposées : le temps long de l’immeuble et le temps court de la technologie, constamment renouvelée. Pour contrer ce risque d’obsolescence prématurée, les intervenants s’accordent tous sur l’importance de concevoir des bâtiments réversibles. L’immeuble de demain sera mixte : équipé d’un restaurant, il pourra passer du logement aux bureaux et inversement. Modulable, ses murs seront mobiles en temps réels selon les besoins des usagers. Le projet Sways coordonné par Bouygues Immobilier à Issy-les-Moulineaux coche la plupart de ces critères, avec ses 40.000 mètres carrés répartis en vastes plateaux.
Dans le cœur de l’usager
Dictées par l’intelligence artificielle qui capte les besoins en temps réel, les évolutions dans le domaine de la construction convergent vers l’usager. En rupture avec la planification uni-fonctionnelle des années 90, l’architecture de demain se veut flexible à souhait. Pour Antoine Buisseret, directeur exécutif du Groupe-6 les traditionnelles maîtrises d’œuvre et d’ouvrage se verront bientôt accompagnées d’une maîtrise d’usage, une forme de service après-vente de l’immobilier. Il met en garde cependant contre cette architecture à la carte. « L’agilité du bâtiment a des limites. Un bâtiment trop agile et trop flexible prend le risque d’être insipide et pas du tout qualifié ». Le tout data semble ouvrir de nombreuses portes, mais il ne doit pas se faire sans l’aspect humain. En effet, il faut du temps à l’usager pour maîtriser une technologie et lui faire confiance. « L’être humain pardonne plus facilement l’erreur humaine que l’erreur de la machine, même si elle est ponctuelle » explique Rand Hindi, spécialiste en intelligence artificielle. Un point crucial selon lui, puisqu’une IA imparfaite va susciter de la méfiance. Une trop grande précipitation dans la mise en œuvre du bâtiment connecté et dans la conception de l’IA peut s’avérer contre-productive.
« La technologie est inerte, le vrai problème c’est l’humain qui l’utilise »
Source de peurs et de fantasmes, l’intelligence artificielle et ses applications sont effectivement encore mal connues. En octobre dernier un sondage IFOP affirmait que 64% des Français se disaient inquiets de son développement. La table ronde s’est donc également attachée à donner quelques définitions, pour mieux tordre le cou aux idées reçues. La plus grande inquiétude réside dans l’idée d’une IA autonome qui puisse prendre des décisions de manière autonome et proactive. Pour éclaircir le sujet, Rand Hindi s’attarde sur la distinction entre l’intelligence faible et l’intelligence forte. Alors que la première permet de réagir à une information et d’exécuter une tâche sans la comprendre, la seconde permet de comprendre la tâche et donc de prendre du recul sur celle-ci pour éventuellement trouver une autre approche. Mais le chercheur se veut rassurant : « il n’y a même pas le début d’une idée de comment aboutir à l’IA forte, assène le chercheur. On pense même ne jamais y arriver ». Si les machines ne savent qu’exécuter les tâches pour lesquelles elles ont été programmées, alors exit les scénarios terrifiants à la Terminator. Pour Rand Hindi : « la technologie est inerte, le vrai problème c’est l’humain qui l’utilise. » En effet, outre les programmeurs mal intentionnés, il a été observé que certaines intelligences artificielles perpétuaient les biais humains. Alimentées par de larges bases de données créées par l’activité humaine, elles reproduisaient par exemple des comportements sexistes ou racistes.
Data-Fracas
Plus que la question de l’intelligence artificielle, c’est la question des données qui soulève finalement le plus d’interrogations. John Van Oost, co-fondateur de la start-up Urban Campus revient sur son expérience et interroge la finalité même des données : « Collecter les données, d’accord, mais pour en faire quoi ? C’est pour réduire les coûts ? Réduire l’impact énergétique ? Rendre un service ? Ou optimiser les espaces ? Il faut engager une vraie réflexion dans le secteur ». Carburant d’un outil profondément disruptif pour le secteur de l’immobilier, les données restent la source d’atteintes au respect de la vie privée. L’importance de poursuivre le débat sur les questions légales et éthiques semble plus pertinent que jamais.
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Super intéressant. Merci !