Cas d’Ecoles : l’innovation comme boussole au service d’une institution territoriale en mal de reconnaissance
« L’école de la vie n’a pas de vacances. » Ce proverbe français aurait pu être une punchline de Jean-Michel Blanquer, ministre actuel de l’Education Nationale, pour annoncer sa grande réforme pour une “École de la confiance”.
Depuis plus d’un siècle et demi, le système éducatif français a connu de nombreuses vagues de réformes, toujours promues dans l’intention officielle de généraliser sa démocratisation à l’ensemble du territoire national. Rare domaine d’action publique où s’enchevêtrent compétences locales et étatiques, la question de l’enseignement et plus particulièrement au primaire, révèle l’attachement des maires à ce service public, symbole ancien de la République. De fait, l’école communale n’est-il pas l’un des derniers bastions de la vie des petites communes, notamment en milieux ruraux ?
« Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école ? »
Ce sacré Charlemagne y est bien pour quelque chose, en effet, mais celui à qui l’on doit le plus se nomme évidemment Jules Ferry. Cet avocat est le père de l’école gratuite, laïque et obligatoire de 6 à 13 ans, permettant ainsi à chaque enfant, quelque soit son milieu d’origine et sa résidence, de suivre un enseignement public. Les lois Ferry de 1881 et 1882 sont pionnières dans l’unification de la nation française. Non sans heurts, par ailleurs, puisque l’établissement d’un langage unique a rendu muet les patois de plusieurs localités. Cette nouvelle instruction publique a cependant eu le mérite de faire bénéficier chaque enfant français d’un socle de connaissances commun. Pour assurer cette mission républicaine, l’Etat s’est notamment appuyé sur les maires. Or, ces derniers se trouvent aujourd’hui les poings de plus en plus liés face aux contraintes budgétaires et à une vague de réformes (dont celle des rythmes scolaires de 2013) qui brisent pas à pas le modèle de l’école communale.
Dans cet ascenseur social qu’est l’école, les enseignants incarnent la cheville ouvrière de ce système fondé sur la croyance en le progrès, dont ils se font inévitablement le relais. Figures emblématiques du début du XXème siècle, les Hussards noirs d’autrefois ont laissé place aux “stylos rouges” d’aujourd’hui, militant pour que leur mission d’instruction se réalise dans les conditions les plus convenables[1].
Derrière ce tableau terni par des lois censées résoudre les crises, l’enjeu de l’équité territoriale en matière scolaire (et donc en filigrane celui des compétences des maires pour préserver et faire évoluer leurs écoles au sein de leur territoire) pointe son nez. Une école se ferme et c’est la vie de toute une commune qui semble condamnée, impactant la croissance démographique, l’activité économique et les aménités de celle-ci.
« Mon maire t’attrape par le col, Nouvelle Ecole »
D’un point de vue réglementaire, chaque commune doit être pourvue d’une école publique élémentaire, dont elle est propriétaire (sa construction, réparation, son extension, équipement et fonctionnement sont à sa charge). Le conseil municipal décide quant à lui de la création et de l’implantation des classes, alors que le maire est en charge du contrôle de l’obligation scolaire, en lien avec l’inspecteur d’académie.
Au crépuscule des années 1890, il n’est d’ailleurs pas rare d’apercevoir des établissements hybrides, faisant office à la fois de mairie et d’école. Traditionnellement construite en forme de « U », la mairie se situe dans un corps central, alors que les écoles de garçons et de filles se trouvent dans les ailes symétriques latérales. Renforçant le caractère monumental des hôtels de ville, ces ensembles polyvalents affirment la présence de la République aux quatre coins du territoire national, relevant ici d’une volonté centralisatrice exacerbée sous la IIIème République.
Dans ces lieux d’apprentissage de la démocratie, encastrant le local au national, se dégage un modèle architectural particulier répondant à des préoccupations pratiques et symboliques. La construction d’une architecture adaptée aux nouveaux usages et répondant aux enjeux socio-environnementaux apparaît de fait comme déterminante pour les écoles de demain.
Réformes des écoles : bonnet d’âne ou couronne de laurier ?
Loin de la Guerre des boutons à l’ombre des préaux couverts, les tensions autour des écoles primaires sont encore d’actualité dans les municipalités. La tendance de ces dernières années, qui vise à opposer les questions de fonctionnement matériel (compétence du maire) aux problématiques de contenus pédagogiques (apanage des enseignants en qualité de fonctionnaire d’Etat), a renforcé une forme de méfiance voire d’indifférence entre tous ces acteurs.
Selon les maires ruraux, vent debout, la proposition de création “d’établissements publics des savoirs fondamentaux”[2] (nouvelles entités publiques qui regroupent dans une même structure et sous la même direction des classes d’un collège et d’écoles du secteur de recrutement du collège) permettrait surtout à l’Etat de faire des économies et favoriserait une école inégalitaire dont les élèves des espaces isolés et des milieux populaires seront les premières victimes… S’y ajoutent les associations de parents d’élèves inquiets pour la santé et la sécurité de leurs progénitures dans des écoles où la culture civique se délite.
De nouvelles relations de confiance à trouver, ou l’art d’innover
Eu égard des diatribes médiatiques entachant le rôle de l’école publique, les enjeux de demain seront bel et bien de parvenir à retisser des liens de confiance entre les maires, les enseignants, les parents d’élèves et le Ministère. L’objectif est alors de s’entendre pour construire une éducation innovante, équitable et adaptée, qui puisse correctement préparer les citoyens en devenir aux défis actuels et à venir. Et il semblerait que des pistes d’action se dessinent doucement mais sûrement dans les sillons de l’innovation.
Le Lab 110bis rattaché au Ministère de l’Education Nationale se présente comme un espace ouvert « offrant à tous les acteurs de l’éducation nationale un cadre de liberté pour expérimenter, échanger, apprendre et tester rapidement des solutions répondant aux défis de l’éducation d’aujourd’hui et de demain. » Cette intention performatrice se traduit notamment par des événements permettant de mettre en lien gestionnaires et acteurs de terrain, à l’instar du DataViz Challenge « Education & Territoires » qui s’est tenu fin mars dernier. Au-delà de l’enjeu initial d’engager les acteurs du secteur dans un exercice de co-construction des politiques publiques éducatives, il est intéressant de constater le besoin prégnant de dialoguer et de créer autour des problèmes réels rencontrés par le secteur.
Parce que la communication participe au processus d’acculturation de l’innovation et permet d’échanger collectivement sur des pratiques et valeurs communes, terminons en citant le projet accompagné par le Lab 110bis, « Classe à 12 ». Ce projet peer-to-peer co-construit avec les enseignants des classes dédoublées (CP et CE1) prend la forme d’un réseau social de “retours d’expériences et d’échanges de pratiques personnalisées entre pairs au moyen de vidéos échangées et commentées”. Cette plateforme de discussions est vouée à aborder autant de conseils pédagogiques, de débats sur la posture de l’enseignant ou sur les relations entretenues avec les collectivités, que les espoirs et difficultés rencontrées par le corps enseignant. Gageons qu’à travers ce dispositif innovant, pensé pour redonner confiance aux acteurs de l’enseignement, le rôle de l’école comme catalyseur de citoyens responsables renaisse dans ce contexte acéré.
Diane Devau
[1] Parmi elles : salubrité des classes et du bâtiment scolaire, matériel d’enseignement suffisant et de qualité, lutte contre le surnombre d’élèves par enseignant, combat contre la désertification scolaire, etc.
[2] Mentionnés à l’article 6 quater du projet de loi pour une école de la confiance, ils illustrent le principe d’« école du socle ». L’argument officiel d’un tel amendement s’incarne dans la promotion d’une continuité des apprentissages depuis le CP jusqu’à la 3e.
Vos réactions
Bonjour
Attention, il y a une grossière erreur quant aux ouvertures et fermetures de classes. Ce n’est absolument pas le conseil municipal qui décide.
« L’ouverture et la fermeture d’une classe, dès lors qu’elles n’entraînent pas la création ni la suppression d’une école, ne nécessitent pas de décision du conseil municipal. La décision d’ouvrir ou de fermer une classe, donc d’ajouter ou de retirer un poste d’enseignant, relève du directeur académique des services de l’éducation nationale. »
Source : MÉN https://www.education.gouv.fr/cid72/qui-decide-d-ouvrir-ou-de-fermer-des-classes.html