L’impensé de l’habitat temporaire
Tiny house, télétravail, yourtes écologiques… Les formes alternatives d’habiter, à la fois mobiles ou légères, suscitent l’engouement dans des formes de plus en plus multiples. Pourtant l’aménagement du territoire semble continuer de les dédaigner.
Les alternatives à l’habitat ordinaire semblent avoir le vent en poupe. On a découvert les adeptes de tiny house minimaliste et itinérante ; on entend parler d’écolos frugaux qui s’installent en yourte dans la forêt ; mais aussi de communautés zadistes en lutte ou autres woofers saisonniers…
La montée des préoccupations écologiques semble porter cette vague, en distillant dans l’habitat une nouvelle éthique de sobriété. Difficile de les regrouper sous un seul vocable, on pourrait parler d’habitat mobile ou nomade mais certains sont sédentarisés. On pourrait retenir l’aspect léger, mais entre la cabane auto-construite et réversible et la tiny house commercialisée clé en main, toute équipée, il existe un monde. Certains de ces habitats valorisent des formes de retraite individualiste, ou à l’inverse la vie en communauté.
Éternité ou temporaire ?
En tout cas, d’un point de vue du logement, ces alternatives échappent aux modèles ordinaires et sédentaires pour rejoindre la marginalité. Pour reprendre les mots de l’architecte Laurent VIALA : « Les champs de l’architecture et de l’urbanisme s’arrangent mal du temporaire. » Signataire d’un chapitre dans le livre collectif Actualité de l’Habitat Temporaire paru en 2016, il ajoute : « construire un bâtiment, une ville, a longtemps rimé avec bâtir pour l’éternité. »
Le livre regroupe les interventions de différents chercheurs lors du colloque du même nom, organisé à Montpellier en octobre 2013. Anthropologues, architectes, géographes, sociologues s’étaient réunis pour discuter de cet objet hybride et protéiforme, qu’il avait alors baptisé “habitat temporaire”. Aux côtés des nouvelles formes d’habitat écologique que nous avons cité, ils avaient réunis une myriade de manières d’habiter comparables, des caravanes des gens du voyage aux squats bobos, en passant par les travailleurs saisonniers ou pendulaires, les migrants en bidonville ou les globe-trotters mondialisés.
L’ombre du post-fordisme
En effet, on peut reconnaître une forme d’habitat temporaire dans les récentes évolutions du milieu du travail post-covid. La possibilité offerte par le télétravail de choisir un lieu de vie différent de son lieu de travail, l’essor de nouvelles géographies comme les zoom towns vont dans ce sens. À l’heure manière, les coworking et les coliving permettent aux travailleurs du secteur tertiaire d’adopter des modes d’habiter souples et temporaires.
Ainsi, la question de l’habitat temporaire, si elle est actualisée par ces changements récents, doit prendre en compte des transformations plus profondes. Dans ses travaux, le chercheur en économie Arnaud LE MARCHAND relie l’habitat non-ordinaire avec la segmentation salariale. « Ces formes d’habitat, dites marginales, doivent être pensées au sein des mutations d’ensemble de la société post-fordiste » explique-t-il, « et leur retour peut s’expliquer par l’intermittence temporelle et spatiale du travail ».
Pour Gaëlla LOISEAU, anthropologue et co-directrice de l’ouvrage, ce type d’habitat est parfois contraint par l’emploi et la précarité, mais il peut être choisi. Et il est difficile de discerner l’un de l’autre. Elle nous explique ainsi l’organisation du colloque et son inscription dans un mouvement initié quelques années plus tôt (en 2005) par l’association HALEM, qui accompagne juridiquement les habitants de logements éphémères ou mobiles.
« Leur approche est de rendre visible toute la diversité de ces modes de vie, les réhabiliter sans les cloisonner et en cassant les logiques de segmentation. Car en fait, une seule problématique se pose pour tous ces modes d’habiter, c’est qu’ils ne sont pas reconnus au PLU (le plan local d’urbanisme). » Ainsi, d’après Gaëlla LOISEAU, fédérer systématiquement les différentes communautés d’habitants temporaires correspond à une volonté politique de surmonter les préjugés existants.
Un héritage raciste
Spécialiste des gens du voyage, la chercheure poursuit : « Les gens du voyage ont été précurseurs dans cette capacité d’habiter autrement. Ils en ont subi les conséquences et ont été davantage discriminés ». Le 17 décembre 2007, le président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) reconnaissait que « les gens du voyage ont depuis près d’un siècle un statut spécifique » et que « les différences de traitement visant les voyageurs, tsiganes ou autres, doivent être considérées comme des discriminations fondées sur l’origine ».
Dans la Revue Dessinée 31, l’ethnologue Lise FOISNEAU va plus loin encore : « La catégorie gens du voyage s’inscrit dans une longue histoire, commencée au moins en 1912 lorsque la troisième République a créé la catégorie de “nomade”. Il s’agissait alors d’éviter une désignation raciale contraire aux principes républicains, tout en contrôlant des populations dont le mode de vie était jugé indésirable. En France, les formes de l’anti-tsiganisme se sont structurées autour d’une certaine idée de la mobilité. »
En 2000, la loi Besson a imposé aux communes de plus de 5000 habitants de se doter d’aires d’accueil pour les gens du voyage. Aujourd’hui, elle est toujours pointée du doigt pour sa faible mise en pratique. Pire, une enquête du juriste issu des gens du voyage William ACKER démontre que les aires existantes se situent pour la plupart reléguées dans des zones non désirables, soumises aux pollutions industrielles et environnementales. StreetPress a récemment enquêté sur l’aire d’accueil jouxtant l’usine Lubrizol et qui a subi la catastrophe de plein fouet.
Vous avez dit PLU ?
Gaëlla LOISEAU témoigne d’ailleurs d’une anecdote significative à propos des tiny houses, ces mini-maisons qui coûtent en moyenne 40 000 euros. Le droit de l’urbanisme ne leur prévoit aucune disposition spécifique et certains acheteurs ne parviennent tout simplement pas à trouver d’endroit pour les installer. Pour se prémunir des plaintes, des constructeurs se contenteraient donc de donner le numéro de l’assistance juridique d’HALEM à la livraison.
C’est dans cette même zone grise que se trouvent les habitants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Depuis l’abandon du projet d’aéroport, leur principale revendication est de faire reconnaître leur relation particulière au territoire. À la fois habitants, cultivateurs et défenseurs de leur milieu naturel, ils débordent des catégories classiques du PLU (urbain, agricole, naturel). Aujourd’hui, c’est toute une cohorte de voyageurs, de saisonniers et de marginaux qui échappent à toute planification urbaine et territoriale, mais surtout qui subissent de fait une répression morale et institutionnelle.
Les “probablement accueillants”
Pourtant l’habitat temporaire a des arguments à offrir. Plus sobre par définition, il ne permet pas de stockage et engendre une économie de moyens qui mérite d’être soulignée à l’heure de la crise environnementale. Arnaud LE MARCHAND observe d’ailleurs que ces pratiques peuvent accompagner les processus de requalification des territoires en friches. À la manière des tiers-lieux qui célèbrent et permettent la mutation d’îlots et de quartiers, cette agilité là est précieuse pour favoriser les dynamiques de villes circulaires et pour limiter l’artificialisation des sols.
L’habitat temporaire n’est d’ailleurs pas en reste et des initiatives fleurissent pour sensibiliser et informer sur le sujet. En 2020, un guide juridique pour habitats alternatifs a été publié sous la plume de Joris DANTHON, afin d’éclaircir les différentes réglementations en vigueur. De son côté, l’association Hameaux Légers a entrepris de réaliser une cartographie participative des 150 villes « probablement accueillantes », où les pouvoirs locaux semblent favorables aux projets alternatifs. Elle prépare d’ailleurs un MOOC (annoncé pour la rentrée), avec la Fédération de l’Habitat Réversible, une fédération d’associations dont HALEM fait partie.
Hériter d’un traitement répressif et discriminant à l’encontre des gens du voyage et des travailleurs précaires, l’habitat temporaire reste encore un impensé de l’aménagement moderne. S’il venait à être reconnu, il cesserait peut-être d’être un parent pauvre de l’urbanisme pour devenir un outil inclusif et écologique.
Vos réactions
Bonjour Marc,
Tu m’avais demandé l’article de David ; le voici
Bien à toi
Cécile