L’immobilier participatif s’expérimente au “Parc habité des sècheries”
D’après un récent article des Echos, la fascination pour la maison individuelle ne perd pas en ardeur. Et pour preuve, en France, l’étalement urbain consomme l’équivalent d’un département français toutes les décennies. Une expansion urbaine insoutenable qui nécessite de nouvelles solutions. Le « Parc Habité des Sècheries » pourrait bien trouver une réponse à cet enjeu afin de concilier cadre de vie et densité.
Imaginez 9 hectares de verdure et votre logement, au centre de ce vaste cadre paysager… C’est le « Parc Habité des Sècheries » réalisé à Bègles, une banlieue sud de la ville de Bordeaux. Le projet imaginé par Aquitanis compte bien offrir une part de jardin à tous les habitants, sans pour autant ressembler à un quartier pavillonnaire. Entre rêve d’une maison individuelle et réalité d’un seuil de densité à maintenir par des « immeubles maisons », le parc est-il une réponse à ces deux besoins à priori contradictoires et aux attentes des habitants ? Ces derniers ont-ils eu leur mot à dire dans la conception de leur logement et de son environnement ?
Un parc étendu vers les nouveaux logements pour créer un effet jardin
« Conçu il y a plus de 10 ans, le parc prévoyait au départ une cité-jardin de 150 logements logements individuels ». Une conception plus moderne inspirée du modèle utopique de la fin du 19ème siècle, pensé par le britannique Ebenezer Howard, qui s’articule autour de divers enjeux, dont notamment la maîtrise publique du foncier et d’équipements et la présence d’une ceinture agricole avec une densité assez faible du bâti. L’évolution de ce projet a fait apparaître de nouvelles ambitions, valeurs et programmes qui répondent aux ambitions de développement urbain des élus et techniciens de la ville de Bègles, ainsi que de Bordeaux Métropole.
Le succès du premier projet participatif « La Ruche » réalisé par Axanis, coopérative immobilière et filiale de l’OPH de Bordeaux Métropole Aquitanis, en collaboration avec la ville de Bègles, a conduit à renouveler cette coopération sur une opération en accession sociale à la propriété au sein du projet d’aménagement du « Parc Habité des Sècheries ». Le parc, piloté par Aquitanis dans le cadre d’une ZAC propose d’étendre les espaces verts qui constituent le parc arboré de l’hôtel de ville aux parcelles autrefois dévolues aux anciennes Sècheries.
En respectant un cahier des charges précis, les opérateurs immobiliers invités à intervenir au sein de cette ZAC ont ensuite réalisé des constructions qui apparaissent aujourd’hui comme « déposées » au milieu des espaces verts.
C’est dans ce contexte que la coopérative immobilière a réalisé il y a quelques années l’ensemble dénommé « Les Carrelets », 46 logements en accession sociale à la propriété.
Pour concevoir cette opération, les architectes se sont inspirés de l’histoire du lieu, longtemps marqué par la pêche à la morue, activité alors génératrice de prospérité. Par exemple, pour se rapprocher de cet héritage et s’insérer dans l’environnement tout en préservant la biodiversité, les îlots de cette parcelle sont répartis en trois « pontons » pour reprendre l’aménagement des berges. L’aménagement et l’architecture rappellent ainsi “les cabanes de pêcheurs perchées au-dessus de la Garonne”, avec la végétation qui permet une certaine intimité des logements perceptibles entre les branches. De même, au fil du paysage, il est possible de découvrir allées piétonnes, passerelles et escaliers aériens entre les bâtiments.
Au sein de la ZAC, ces derniers mois, la coopérative immobilière s’est lancé un tout autre défi, toujours avec l’appui de la ville de Bègles : la réalisation d’un programme d’Habitat Participatif, « Les Petits Ruisseaux ».
L’opération immobilière participative, une alternative aux projets immobiliers classiques
Au cœur de la ZAC se distingue donc une initiative novatrice dans le domaine de la programmation immobilière : une partie des logements est dédiée à l’accession sociale à la propriété participative ! Ainsi, est né le projet “Les Petits Ruisseaux”, dans la lignée du projet participatif « la Ruche ». Lancé en février 2016, par une réunion publique, cet ensemble d’habitat participatif a suscité dès le début l’intérêt d’une centaine de personnes.
Pour mettre en œuvre cette opération, Axanis a fait appel à la coopérative « Faire-Ville » dont le rôle est de mettre en avant le processus participatif. Pierre Etienne Faure, chargé de programmes à Faire-Ville, l’assistant à maîtrise d’ouvrage du projet participatif spécifie bien que cette démarche se différencie de celle d’un groupement de citoyens qui se met à la recherche de partenariats afin de monter un projet autonome. Ici l’habitat participatif est proposé par un opérateur social pour des logements destinés à l’accession à la propriété. Le programme est donc porté par un opérateur et rassemble les futurs habitants intéressés par une démarche collective. L’enjeu est alors de constituer un groupe à travers l’organisation de plusieurs réunions publiques.
D’après Pierre Etienne Faure, « le participatif ne peut pas être vendu comme un produit immobilier« . En effet, ce n’est pas un modèle préconçu qui sera imposé aux futurs habitants, mais la proposition d’un nouveau mode de vie, le participatif, qui renvoie à la volonté réelle des habitants de s’investir et créer du lien social. Il s’agit d’une approche ouverte à des personnes qui n’ont pas forcément une sensibilité écologique ou sociale marquée, ni même un esprit militant, mais qui peuvent se retrouver dans cette idée de projet collectif.
Ainsi, à travers le participatif, l’opérateur ne propose pas des immeubles standardisés. L’objectif poursuivi est de réaliser des logements et des usages personnalisés.
Quatre phases clés pour définir le projet ensemble
Concrètement, cet ensemble a pris forme en plusieurs étapes marquantes.
La première phase correspond à la définition précise d’une programmation de la conception. Elle interroge sur la manière dont le groupe veut travailler ensemble et définit l’espace collectif qui les intéresse, comme par exemple un atelier de bricolage, des terrasses sur les toits ou une buanderie.
Suite à cette étape, l’architecte élabore le projet. La deuxième phase consiste donc à concevoir le bâtiment grâce à des allers-retours entre les architectes et les habitants. Au cours de cette phase, les logements sont adaptés aux besoins et aux usages de la parcelle.
Au cours de la troisième phase, l’équipe de pilotage accompagne et aide les habitants à se regrouper sous forme associative pour décider ensemble du règlement de copropriété, mais aussi afin que les projets s’organisent lors de la phase de réalisation, phase 4.
La coopération entre les habitants proposée par ce type de démarche est une réponse à un souhait de la société de mieux habiter l’immeuble en ville, d’entretenir des relations étroites de bon voisinage dans un respect mutuel. Cela se traduit par la création d’espaces partagés comme une salle commune pour des repas entre voisins au sein de l’immeuble ou de terrasses aménagées avec des jardinières par exemple. Dans le cas du projet participatif des “Petits Ruisseaux”, la demande plutôt atypique a été de mettre en place une salle du silence pour faire des activités de relaxation comme le yoga.
Accessible et attractive, une démarche participative révélatrice de visions divergentes
Dans son montage, le projet participatif implique une proposition préalable de l’opérateur. Or, lors de sa concrétisation, faire adhérer l’ensemble des habitants au cahier des charges de l’aménageur s’est révélé difficile. En effet, les futurs habitants n’avaient pas forcément la même vision, et l’exercice a mis en avant des craintes, par exemple, sur la sécurité des enfants vis-à-vis de cette liberté de déplacement dans les espaces verts sans clôtures.
La difficulté majeure rencontrée a été le temps de conception du projet. D’habitude, les nouveaux foyers tentent d’acheter le plus rapidement possible. Or ici, ici les habitants interviennent très en amont, dès la phase de conception. Le temps d’accompagnement est donc plus long que pour une opération classique d’achat en Vente En Etat Futur d’Achèvement (VEFA). Ainsi, cela peut produire un décalage entre les envies passées et futures, laissant alors le temps aux foyers de changer de projet de vie. Ainsi le projet aura mis 4 ans et demi au lieu, comme c’est le cas pour un projet en accession habituel, de 3 à 4 ans.
La qualité de vie d’une maison individuelle avec l’avantage du collectif
Participer à la conception de son logement, c’est quelque part aussi se rapprocher d’un rêve, celui de la maison individuelle, synonyme de liberté, d’espaces et de confort d’usage. Ainsi, le projet participatif propose aux futurs occupants au prix de l’accession sociale des “appartements d’architecte” qui intègrent une adaptabilité et une conception personnalisée des logements et des espaces partagés.
Si le projet est si attractif, c’est d’abord parce qu’il permet d’accéder à la propriété pour un prix maîtrisé et contenu le tout sur un territoire doté d’un cadre de vie agréable et plutôt bien desservi par les transports en commun. En effet, l’accession sociale accessible sous plafond de ressource dont 80% de la population française peut prétendre a été réalisé ici à travers la location-accession (PSLA) qui permet aux acquéreurs de bénéficier d’un taux de TVA réduit. Par ailleurs, le projet d’Habitat Participatif étant porté par un opérateur, les futurs habitants sont assurés qu’il sera mené à terme.
En dehors de cet aspect attractif, le participatif est aussi un élément qui attise la curiosité des intéressés, et d’après Pierre Etienne Faure, si l’aspect participatif peut rebuter certains participants qui peuvent y voir un imaginaire particulier véhiculé par les médias, tous néanmoins sont à la recherche d’une bonne relation avec leur voisinage et, avec le temps, comprennent les enjeux qu’implique cette conception collective. A la différence d’un quartier pavillonnaire, ce quartier apporte une vision de vivre ensemble par le voisinage.
Pour le futur habitant, l’objectif de faire en commun et d’être ensemble est donc au cœur de son implication. Cependant, après la conception participative des logements, une longue phase de construction peut être ressentie comme un temps mort, une attente et une rupture dans le processus de participation. Cela peut ainsi contribuer à faire perdre le fil du processus de ‘faire ensemble’ et les liens tissés, et même inciter quelques habitants à changer de projet de vie en cours de route.
Actuellement, le permis de construire ayant été obtenu par “Les Petits Ruisseaux”, une consultation a été lancée auprès des entreprises afin de pouvoir lancer la construction dans le courant du premier trimestre 2019.
Les leçons qui peuvent être tirées de la proposition d’aménagement préalable de “parc habité” et plus particulièrement du projet participatif avec les habitants est la manière de concilier la vision des habitants avec celles des aménageurs en amont du projet. Un point à développer sachant que le participatif est un modèle qui gagnerait à être développé car il répond à des demandes actuelles : anticiper davantage le long terme, être fédérateur comme le demande aujourd’hui les habitants des villes et permettre de moduler ensemble les lieux de vie quand le besoin se fait sentir.
Toutefois, il nécessite peut-être une réorganisation dans la relation client et les services de montage de projet pour la rendre plus souple et réduire ainsi le temps de conception du projet. Avec quelques perturbations, le projet participatif du parc habité a permis d’expérimenter une démarche plus citoyenne qui se prête bien aux opérations d’aménagement en accession sociale à la propriété. Avec l’implication croissante des habitants dans la conception, l’émergence de nouveaux usages et attentes, c’est un vent nouveau qui souffle sur la programmation immobilière, dont l’habitat participatif pourrait bien préfigurer le mode de vie de demain.
Vos réactions
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