L’hydrogène : plein de promesses, beaucoup de défis

Les taxis Hype sont les premiers taxis fonctionnant à l'hydrogène au monde - Wikipédia
20 Fév 2020 | Lecture 4 minutes

Bus, bateaux, voitures… depuis quelques années les expérimentations de véhicules fonctionnant à l’hydrogène se multiplient. Encore pionnières, elles espèrent apporter la preuve de la viabilité de l’hydrogène comme énergie propre et paver la voie à sa généralisation. Rouage décisif de la transition énergétique ou chimère industrielle ?

Leader mondial

En juin 2018, l’ancien ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot présentait un « plan pour l’hydrogène qui visera à faire de notre pays un leader mondial de cette technologie ». Convaincu de son potentiel, il promettait 100 millions d’euros par an pendant cinq ans pour développer la filière. À en croire Le Monde, l’investissement de l’Etat a été tempéré depuis, mais l’hydrogène continue à susciter beaucoup d’intérêt et aussi beaucoup de débats.

L’hydrogène est un vecteur incontournable de la transition énergétique, car il permet notamment de pallier l’intermittence des énergies renouvelables.

Pierre-Etienne Franc, directeur de l’activité hydrogène du groupe Air Liquide

En effet, contrairement au nucléaire qui est pilotable, le photovoltaïque et l’éolien produisent de l’électricité de manière variable et discontinue en fonction des conditions météorologiques ou du cycle jour nuit. Se pose alors la question de stocker l’électricité excédentaire pour la réinjecter en cas de besoin, mais les capacités actuelles des batteries ne sont pas satisfaisantes. L’hydrogène lui, peut être stocké sur le long terme. Un avantage comparatif important qui lui permet donc de renforcer la place du renouvelable dans le mix énergétique de demain.

De l’hydrogène propre ?

Connu et maîtrisé depuis longtemps, l’hydrogène est l’élément chimique le plus répandu dans l’univers. Ses propriétés sont intéressantes. Plus léger que l’air, il a servi par exemple pour faire voler les dirigeables. Hautement inflammable, c’est aussi ce qui a causé l’arrêt de son utilisation à l’époque. Très dense énergétiquement, il est utilisé depuis plus de 50 ans comme combustible dans le secteur spatial. Il sert aujourd’hui majoritairement dans le secteur industriel, pour la pétrochimie ou la production d’ammoniaque.

À Bécancour au Canada, Air Liquide s'est doté du plus grand électrolyseur PEM au monde pour produire de l'hydrogène décarboné - Jean-Erick Pasquier/Air Liquide

À Bécancour au Canada, Air Liquide s’est doté du plus grand électrolyseur PEM au monde pour produire de l’hydrogène décarboné – Jean-Erick Pasquier/Air Liquide

Mais l’hydrogène n’est pas une source d’énergie, il est ce qu’on appelle un vecteur d’énergie. C’est à dire qu’il n’existe pas tel quel dans la nature (comme les combustibles fossiles), il doit être produit (comme l’électricité). Il faut donc de l’énergie pour obtenir de l’hydrogène. Pour des raisons économiques, l’énergie utilisée vient en grande majorité de combustibles fossiles (à 96% dans le monde). Seule l’électrolyse de l’eau, pratiquée à partir d’électricité décarbonée (issue d’électricité nucléaire ou renouvelable) permettrait de produire de l’hydrogène propre. Une technique maîtrisée mais dont les coûts sont encore trop élevés comparativement à la production fossile.

Équation miracle

L’électrolyse consiste à faire passer un courant électrique dans de l’eau, ce qui provoque une réaction chimique et produit de l’hydrogène. L’opération peut avoir lieu dans le sens inverse : mélangé à de l’air, l’hydrogène produit de l’électricité et rejette de l’eau. C’est autour de cette équation miracle, que devraient se développer de nombreuses solutions à base d’hydrogène.

Vulgarisation de la production, du stockage et des usages de l’hydrogène

Vulgarisation de la production, du stockage et des usages de l’hydrogène

Couplé à un panneau photovoltaïque, un électrolyseur offre par exemple une auto-production locale d’électricité. Il permettrait ainsi d’alimenter en énergie des territoires isolés, là où il est trop complexe ou trop coûteux d’installer un réseau électrique. On peut donc imaginer voir un jour des immeubles ou des îlots s’équiper de la sorte pour gagner en autonomie énergétique.

Asseoir la filière

En matière de mobilités et transport léger et lourd de biens, la pile à combustible permet de faire circuler un véhicule en consommant de l’hydrogène et en rejetant uniquement de l’eau. L’autonomie serait meilleure qu’un véhicule électrique doté d’une batterie. Le temps de recharge est également bien plus court : quelques minutes contre quelques heures pour un véhicule électrique. D’autres applications existent, dans le secteur industriel pour la production d’acier bas carbone par exemple, ou dans l’énergie pour décarboner progressivement le système gazier.

« Les technologies sont prêtes et elles sont fiables. L’enjeu est à présent de passer à l’échelle pour rendre ces solutions viables économiquement » soutient Pierre-Etienne Franc. De fait, les industriels ont récemment multiplié les démonstrateurs. En 2018, une navette fluviale était mise en service à Nantes, une flotte d’utilitaires à Rungis, un réseau de bus à Pau… La même année, l’Allemagne mettait en service le premier train à hydrogène au monde, fabriqué par Alstom. Depuis 25 ans, le Japon mène une politique ambitieuse de déploiement de véhicules et de stations à hydrogène. Il prévoit ainsi 800 000 véhicules en circulation en 2030. L’archipel compte sur les Jeux Olympiques cette année pour promouvoir ses innovations.

Le match du siècle

Pourtant, d’un point de vue purement écologique, l’hydrogène n’est pas une solution miracle, notamment si l’on réfléchit en terme d’effet rebond. Ce phénomène, de plus en plus documenté, démontre que l’amélioration de l’efficacité énergétique d’un produit entraîne une augmentation de son usage et donc des externalités négatives. Les piles à combustibles nécessitent par exemple un métal rare, le platine qui est principalement extrait en Afrique du Sud et qui doit voyager. La perspective de remplacer l’intégralité du parc automobile mondial peut également donner le vertige, à l’heure où il faudrait plutôt ralentir la production mondiale.

Le développement d’une filière hydrogène nécessite des efforts financiers importants et des arbitrages stratégiques de long terme. Pourtant, en dehors des deux sphères opposées de ses défenseurs et de ses détracteurs, le débat sur l’hydrogène semble largement déserté. C’est regrettable, il rejoue le match le plus incontournable de notre époque : celui des partisans de la décroissance contre les partisans de la croissance verte.

Usbek & Rica
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