L’homme tournesol
La quantité d’énergie solaire reçue chaque jour par la Terre est plus de 15.000 fois supérieure à la consommation d’énergie quotidienne de l’ensemble de la planète. Capter les rayons du soleil s’impose donc comme un défi majeur de la production énergétique propre.
Et si la maison de vos rêves était une centrale électrique solaire ? D’accord, on craindrait le bunker massif et bétonné, où l’autosuffisance se ferait au détriment du confort et de l’esthétisme. Ou bien un abri camouflé sous une immense toiture bleutée, perdue dans la pampa. La maison-centrale, selon ce scénario, relèverait plutôt du cauchemar. Mais, imaginons à nouveau : une maison lumineuse, avec des grandes baies vitrées, de la verdure, des toits utiles, des jeux de niveaux, entre ombre et lumière. Une maison solaire. Et belle.
Comme dans un jeu de lego dont on aurait tout juste disposé les pièces sur le tapis, ces constructions en sont à leurs balbutiements, bien que la technologie de base (le panneau solaire, déjà dépassé dans sa forme brute) date de plusieurs décennies. Tout est question de qualité des matériaux, de modelage, d’innovation en matière de stockage, et de lien avec les activités humaines. Plus que le simple toit, c’est l’homme qui doit se réapproprier le soleil. Devenir lui-même tournesol.
Le bâtiment est le secteur d’activité le plus énergivore, avec 43% de l’énergie consommée en France. Selon le dernier rapport de l’Anah (agence nationale de l’habitat), deux millions de logements sont mal chauffés et un million jugés « inconfortables ». Aussi, en 2012, le budget moyen pour l’énergie du logement est 32% plus élevé qu’il y a dix ans. Voici donc le chantier de demain : convertir tous les bâtiments en unités de production énergétique. Et les exemples grandeur nature démontrent que la technique est acquise et en constante amélioration.
Ovni éco-performant
À l’échelle du bâtiment de vie, le futur se construit en saupoudrage. Ici on teste, là on évalue. La base est immuable : un bâtiment à énergie positive, c’est d’abord un immeuble qui consomme le moins possible. Près de Paris, le Green Office de Meudon joue avec les nouvelles technologies solaires. Soit un bâtiment de 23 300 m2 en bioclimatique, doté de 4000 m2 de panneaux photovoltaïques et d’une chaudière à cogénération biomasse. Un Ovni super-performant qui vient de boucler sa première année en énergie positive, tout en restant compatible avec les règles économiques du marché de l’immobilier. La demande est forte pour ce nouveau type de bâtiment-centrale à la fois économe et confortable. Un nouveau Green Office est en préparation à Nanterre, et d’autres vont suivre.
Ailleurs, sans atteindre les records de Meudon, les constructions vertes poussent comme des champignons sur la mousse automnale. La maison « air et lumière » de l’éco-quartier de Verrières le Buisson ou le siège de l’Institut national de l’énergie solaire, à Chambéry, sont autant de bâtiments truffés de capteurs solaires, pompes à chaleur et autres ventilation hybride. A Lyon, projet Hikari (qui signifie « lumière », en japonais) sera le premier îlot à énergie positive en France, réalisé par Bouygues, avec Toshiba, le Nedo et l’architecte japonais Kengo Kuma.
Une fois généralisés les bâtiments auto-suffisants, chaque foyer pourra vendre son énergie excédentaire : au lieu de subir, impuissants, l’évolution des prix, nous laisserons nos habits de simples « clients d’énergie » pour ceux de producteur et de revendeur énergétique. Début 2012, sur les 20 000 maisons basse consommation que compte l’Union européenne, pas moins de 17 000 étaient situées en Allemagne et en Autriche. Des pays précurseurs, qui vont bientôt faire des émules, au vu des opportunités du secteur en matière d’emploi : selon la Commission européenne, l’amélioration des bâtiments nécessite un investissement de plus de 30 milliards d’euros par an jusqu’en 2020 et permettrait la création d’un million d’emplois.
À plus grande échelle, on a pensé recouvrir les étendues désertiques d’un tapis géant de cellules photovoltaïques, tel un océan bleu nuit sur le sable. L’utopie consiste à pomper un maximum de soleil pour le ramener vers les zones habitées, même à des dizaines de kilomètres de la source chaude. C’est l’exemple « Desertec », mirage d’une méga-centrale en plein Sahara, qui alimenterait jusqu’à l’Europe du Nord. Mais l’avenir est à la décentralisation de l’énergie. Comme pour les fruits et légumes, place aux circuits courts, au local. Une vision moins verticale, plus partagée de la production énergétique, qui veut faire rayonner le soleil aux abords du capteur. Un maillage du territoire que l’on peut aborder à l’échelle du quartier.
Derrière ces innovations technologiques, l’enjeu est la mise en réseau des maisons. Trouver une logique, une cohérence sur un territoire donné, en prenant en compte les spécificités des activités humaines. Là encore, l’innovation se situe de l’autre côté du Rhin, dans des éco-quartiers déjà bien équipés pour maximiser l’usage du doux soleil allemand. C’est le cas à Eberswalde, une commune de 40 000 habitants, à 60 km au nord de Berlin, qui ne compte pas moins de 90 petites centrales solaires. Grâce au soleil, mais aussi à la biomasse et aux éoliennes, le canton produit déjà deux fois plus d’énergie qu’il n’en consomme.
Nanotechs à grande échelle
Car le futur est dans le mix. Vent et soleil se relaient dans les premiers quartiers post-hydrocarbure en gestation. Un indice de ce que demain nous réserve se niche au sud-ouest de Paris. Nom de code : IssyGrid. Là, au sein de ce réseau intelligent, on intègre la production d’énergie renouvelable locale au réseau de distribution publique, en optimisant consommation et stockage. 10 000 personnes sur une zone de 160 000 m2 de bureaux sont intégrées à « la grille ». Ils seront bientôt rejoints par les quelque 4000 habitants du nouveau quartier du Fort d’Issy. Bureaux et habitations : le mélange n’est pas anodin. Il s’agit de penser les économies d’énergie à l’échelle du quartier, en collant au plus près aux activités humaines. En ligne de mire, éliminer les pics de consommation, à la fois catastrophiques sur le plan économique (c’est là que l’énergie est la plus coûteuse) et environnemental (on sollicite alors les ressources les plus polluantes). A Issy, les innovations sont nombreuses : prises pilotables à distance, capteurs de températures et thermostats communicants. Soit un maximum d’informations transmises au système d’information énergétique central, afin d’alerter les citoyens-consommateurs s’ils dépassent, par exemple, les seuils de consommation.
Du quartier vert à la ville écolo, il n’est question que d’une extension du périmètre des smart grids (les réseaux intelligents). Deux cas d’école constituent la « ville tournesol » de demain. D’abord, celle construite ex-nihilo. Imaginer le futur en partant d’une page blanche permet toutes les audaces et les plus folles ambitions. C’est le cas, notamment, à Masdar, aux Emirats-Arabes-Unis, où une ville verte devrait pousser, en plein désert, durant la prochaine décennie. Mais encore faut-il disposer de temps, d’argent, et d’espace pour se permettre de tels projets. En Europe, c’est bien en travaillant sur l’existant que les dispositifs écologiques – solaire en tête – viendront s’adapter, en suivant les exemples pionniers de Meudon et d’Issy. Et les économies de grandes échelles seront boostées… par l’infiniment petit.
C’est en effet grâce aux innovations des nanotechnologies que les membranes et capteurs solaires, toujours plus efficients, plus fins et invisibles, recouvriront nos logis d’un épiderme ultrasensible. Des technologies reproductibles, aux coûts maîtrisés, qui ne signifieront pas pour autant un mouvement d’uniformisation de la production énergétique urbaine. Car en phosphorant sur les moyens les plus high-tech d’emprisonner les rayons du soleil, ou de capter le souffle du vent, les chercheurs ont aussi redécouvert les fondamentaux. Non, les rendements solaires ne sont pas les mêmes à Dunkerque et à Nice. Et chaque ville, par sa topographie, sa situation géographique, son milieu naturel ou son sous-sol, dispose de ressources propres. Reste à trouver le bon équilibre, le mix approprié, en appliquant les principes de base de la géographie physique.
Seriez-vous prêt à déménager pour habiter dans
un nouvel éco-quartier « solaire » ?
Liens :
advancity.eu
bfmtv.com
developpement-durable.gouv.fr
issy.com
green-office.fr