L’expérience Biosphère urbaine : vivre la low-tech en ville

26 Fév 2025 | Lecture 3 min

Depuis 2016, des inventeurs et inventrices de la low-tech enchainent avec succès les expérimentations d’habitat “basse technologie” sous différentes latitudes (sur un catamaran autour du monde, sur un radeau amarré en Thaïlande, dans le désert de Basse-Californie au Mexique, dans une tiny house en Bretagne, dans un studio parisien, etc.). En milieu rural, un nombre croissant de collectifs et de foyers utilisent des low-tech au quotidien et continuent d’innover pour répondre à leurs besoins (pour des usages domestiques mais aussi pour l’agriculture, la construction, la transformation alimentaire, etc).

Ces technologies présentent un triple intérêt : écologique, social et économique. Particulièrement dans un contexte de hausse des prix de l’énergie et de baisse du pouvoir d’achat. Mais quid des 56% de terriens vivant en ville ? Qui veut installer un four solaire et un biodigesteur sur son balcon, ou transformer sa baignoire en bassin à spiruline ?

Infographie « Low-tech : Assurer durablement l'essentiel pour tous » © Arthur Keller et Émilien Bournigal - Low Tech Lab

Infographie « Low-tech : Assurer durablement l’essentiel pour tous » © Arthur Keller et Émilien Bournigal – Low Tech Lab

Le qualificatif de low-tech s’applique à une démarche et non pas à son résultat. Ainsi, un objet n’est pas low-tech dans l’absolu, il est plus (ou moins) low-tech qu’une solution alternative répondant au besoin initial.  L’approche low-tech, parfois appelée innovation frugale, est une démarche innovante et inventive de conception et d’évolution de produits, de services, de procédés ou de systèmes qui vise à maximiser leur utilité sociale, et dont l’impact environnemental n’excède pas les limites locales et planétaires. La démarche low-tech implique un questionnement du besoin visant à ne garder que l’essentiel, la réduction de la complexité technologique, l’entretien de ce qui existe plutôt que son remplacement. La démarche low-tech permet également au plus grand nombre d’accéder aux réponses qu’elle produit et d’en maîtriser leurs contenus.

Définition issue du rapport de l’ADEME : Démarches « Low Tech », 2022

Tutoriel “Biosphère Urbaine : Filière élevage de grillons comestibles” © Biosphère Expérience

Tutoriel “Biosphère Urbaine : Filière élevage de grillons comestibles” © Biosphère Expérience

Une première étude ergonomique réalisée en 2020 montrait déjà la nécessité d’adapter les low-tech au mode de vie citadin et appelait à la réalisation de tests “en situation réelle”. Cet automne 2024, l’équipe de Biosphère Expérience a donc lancé une double expérimentation :

  • “Biosphère Urbaine” dans appartement mis à disposition par la mairie de Boulogne-Billancourt,
  • et un programme de sciences participatives avec plusieurs centaines de volontaires de toute la France et la Belgique

Pendant 4 mois, ces deux expériences permettent de collecter diverses données sur l’impact écologique, l’accessibilité financière, les effets sur la santé, les aspects psychologiques, l’ergonomie, etc.

L’objectif : “concevoir un mode de vie qui ne produise pas de déchets, divise par 10 la consommation d’eau, réponde aux objectifs 2050 de l’ONU pour les émissions de gaz à effet de serre, et qui soit à la fois désirable et accessible à tous !” et ainsi participer à une réflexion sur le futur des villes.

Un écosystème low-tech dans un appartement de 28 m2

Pour l’expérience “Biosphère Urbaine”, l’équipe a aménagé un appartement typique de la région parisienne en y installant une vingtaine de dispositifs low-tech fonctionnant en synergie pour répondre aux besoins quotidiens des habitants.

Autosubsistance alimentaire

Pour le sujet de l’alimentation, ils et elles ont élaboré des menus équilibrés à l’aide d’un nutritionniste. Certains ingrédients sont produits sur place : légumes feuilles et herbes aromatiques en bioponie, culture de pleurotes dans la douche, et pour les protéines et la B12, un micro-élevage de grillons.

Économie d’eau et d’énergie

L’appartement, ancien et mal isolé, a été isolé par leurs soins avec des blocs de laine de chanvre dans une ossature bois, le tout couvert par du tissu. L’idée étant que l’aménagement réalisé soit réversible, afin d’être adapté pour les locataires. Ils affirment pouvoir rentabiliser le coût de 2500€ en quelques années grâce aux économies de chauffage. L’équipe a également installé une douche à brumisation économe en eau et en énergie. Celle-ci comporte un ballon d’eau chaude de 2L, dans lequel l’eau se refroidit progressivement (pour profiter des bienfaits de la douche fraîche sans choc thermique), pour une consommation finale de 5L d’eau par jour au lieu de 35 à 60L pour une douche “classique”. Le chauffe-eau et les quelques autres appareils électriques sont alimentés par 4m2 de panneaux photovoltaïques et des batteries dont le stockage est géré par un programme simple et des interrupteurs à enclencher selon la météo annoncée. Un dispositif “intelligent” sans intelligence artificielle.

Gestion des déchets

Même s’ils adoptent des pratiques de consommation proches du “zéro-déchet”, reste à traiter les 700 grammes de déchets organiques produits par personne chaque jour. Afin de valoriser cette matière, ce sont les larves de mouches soldat noires qui ont été choisies pour leur performance exceptionnelle. Elles se nourrissent des matières fécales issues des toilettes sèches “vivantes”, ainsi que des déchets organiques alimentaires préalablement broyés (grâce à un broyeur à énergie musculaire conçu avec L’Avant d’Après). Elles en font un engrais très nutritif pour les plantes, puis un peu avant qu’elles arrivent au stade de mouches adultes, elles constituent une source de protéines idéale pour des poules ou même des chats.

Et puisque rien n’est à jeter, après récolte des pleurotes, le substrat colonisé par le mycélium est broyé et moulé pour fabriquer des objets (pour des usages similaires à ceux du polystyrène expansé, de l’isolant ou du cuir animal).

“Pour nous l’appartement du futur, c’est comme un être vivant. Il recycle et transforme tout ce qui y rentre, surtout les déchets organiques.”

Tout un réseau de partenaires locaux

La collaboration et le lien social sont des piliers de la philosophie low-tech. Plutôt que de rechercher l’autosuffisance, les locataires de l’appartement comptent sur un réseau de partenaires locaux (dont certains créés pour l’expérience).

Pour l’alimentation, une épicerie collaborative les fournit en produits vrac. Ils achètent leurs légumineuses déjà cuites auprès d’une restauratrice, afin de mutualiser l’énergie de cuisson. Un échange a été mis en place avec une exploitation agricole qu’ils aident une demi-journée par semaine, et à qui ils donnent une partie de leurs larves pour la nourriture des poules, en échange d’œufs frais et d’un panier de fruits et légumes. Dans leur réseau, on trouve également des incubatrices de grillons, un élevage de mouches soldat noires, un fournisseur de spores de pleurotes, un micro-méthaniseur qui produit du gaz à partir des déchets organiques, des artisanes et artisans pour la fabrication de certains objets, sur mesure et diverses expertises techniques.

Un mode de vie radicalement différent

Partager son habitat avec des insectes et des champignons, prendre des douches écossaises, cultiver ses propres légumes, gérer soi-même ses déchets organiques… L’appartement low-tech nous invite à réinventer les standards de confort. Présenté comme “un appartement futuriste”, il fait naître un autre imaginaire, en contraste avec la maison connectée et la smart-city.

Réintroduire du vivant dans l’habitat citadin modifie-t-il notre rapport à la nature ? Dans leurs interviews, les deux habitants se placent comme faisant partie d’un écosystème où ils sont en association avec les autres espèces vivantes. Leur écosystème-appartement s’inscrit également dans un réseau d’échanges avec des petits acteurs économiques et associatifs à l’échelle de la ville. La low-tech, en rendant visibles ces interdépendances choisies, évoque la philosophie du care.

L’habitat low-tech est-il vraiment économe ? Demande-t-il nécessairement plus d’entretien, donc de travail domestique ? Est-on plus heureux sans électroménager ? À quoi ressemblerait un territoire low-tech ? De quoi dépend l’acceptabilité de ces modes de vie ? La recherche autour des low-tech est encore à ses débuts et ces deux expérimentations devraient permettre d’évaluer et améliorer les systèmes existants et d’orienter les recherches futures. À suivre.

LDV Studio Urbain
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