Les # sur les réseaux sociaux : revendiquer pour transformer la ville ?
#sacageparis, #laguillotièreencolère, #StopEuropacity… Depuis plusieurs mois, de nombreux hashtag traitant des sujets urbains font le buzz sur les réseaux sociaux. Derrière ces démarches, certains portent des revendications précises : une ville « plus propre », la conservation du caractère patrimonial d’une ville, l’arrêt d’un projet, l’amélioration de la qualité de vie d’un quartier…
L’avènement des réseaux sociaux, et notamment de Twitter, est-il en train de révolutionner la manière dont chacun s’exprime autour des sujets urbains ? Et finalement, le hashtag n’est-il pas aujourd’hui un nouveau moyen de concevoir la ville ?
Le hashtag : un outil de communication porteur de revendications
Le symbole du hashtag apparaît pour la première fois en 1960 dans le monde des nouvelles technologies. 47 ans plus tard, le 23 août 2007, Chris Messina, designer, écrivain et conférencier passionné de Twitter, propose d’utiliser le symbole pour regrouper des messages traitant d’un même sujet. Le symbole # jusqu’à ce jour appelé “dièse” devient le “hashtag”, et sa nouvelle utilisation va alors changer l’histoire des réseaux sociaux. Durant la même année, un feu de forêt en Californie est déclaré, causant des dégâts considérables sur le territoire. C’est alors un habitant de San diego qui déclenche le premier hashtag d’envergure : #sandiegofire. Cette catastrophe naturelle est donc l’occasion de tester l’utilisation et l’impact du hashtag. Un succès, puisque ce premier hashtag a permis d’informer les habitants en temps réel sur les mesures prises par la ville et de l’avancée du feu.
Au fur et à mesure des années, le phénomène des réseaux sociaux et par extension, la place des # se sont largement démocratisés. Des #jesuisCharlie aux #balancetonporc, ils ont permis de fédérer ou de dénoncer autour d’événements de société marquants et ont pu avoir une place importante dans les débats actuels. À l’ère du tout numérique, la démocratie en ligne prend de plus en plus d’importance, subsistant à l’absence du débat public souvent décrié dans de nombreuses sphères.
Aujourd’hui le hashtag est ancré dans les mœurs et s’impose dans le monde entier. Il est devenu à la fois synonyme de rassemblement, de mobilisation, mais également de moyen d’expression instantané sur les ressentis des internautes vis-à-vis des phénomènes mondiaux.
La fabrique urbaine n’échappe pas au phénomène. Le débat citoyen autour des questions d’aménagement étant encore trop souvent limité, les réseaux sociaux offrent aujourd’hui une nouvelle place d’expression, de contestation, à qui le veut quand il le veut. De quoi en séduire certains.
Le hashtag, un nouvel outil de pression face aux collectivités ?
Ce hashtag revendicateur a émergé au départ autour de sujets politiques majeurs touchant le monde entier. Seulement aujourd’hui, nous voyons apparaître des hashtags sur des sujets à plus petite échelle concernant notamment des dysfonctionnements rencontrés par les habitants au sein des villes.
C’est le cas de #SaccageParis, un mouvement né sur Twitter dénonçant le problème récurrent de la propreté au sein de la capitale. En 2019, le quotidien britannique The Guardian décrivait la capitale comme « l’homme sale de l’Europe ». Depuis, des séries de clichés et vidéos sont publiées et accompagnées du hashtag montrant les poubelles renversées, les déchets sauvages qui s’accumulent, le mobilier urbain dégradé… Un simple hashtag qui en quelques mois s’est transformé en un véritable mouvement, devenu viral, et récupéré notamment à des fins politiques lors des élections municipales de 2020. Face à l’ampleur du phénomène, plus de 200 000 tweets ont été recensés sur les mois de novembre et décembre derniers, la mairie de Paris a été contrainte de réagir. Car derrière les questions de propreté urbaine, ce sont également les choix d’aménagement et d’esthétisme initiés par la mairie qui sont questionnés.
À l’initiative de ce nouveau # revendicateur, un élément déclencheur : celui du remplacement du mobilier urbain parisien historique, dessiné par le Baron Haussmann. Aujourd’hui les critiques se sont largement élargies : des coronapistes aux choix architecturaux, la ville de Paris est passée au crible sous le prisme de la critique. Depuis, la mairie a annoncé fin 2021, 500 projets de rénovation urbaine pour l’année 2022 afin d’améliorer considérablement l’état de la capitale.
Aujourd’hui, le #saccageParis s’est largement dupliqué à de nombreuses villes françaises : #saccageLyon, #saccageBordeaux, #saccageNantes, autant de nouveaux # qui portent les revendications d’une partie de la population citadine agacée des choix d’aménagement établis par leur mairie.
Outre leur capacité à dénoncer, les # peuvent quelquefois réellement participer à l’arrêt d’un projet urbain. Ces dernières années, face à l’éveil des consciences écologiques, ce sont d’importants projets d’aménagement qui furent contestés et Twitter a été la plateforme sur laquelle les débats se sont constitués. #StopEuropacity (contre le projet d’aménagement d’Europacity, un mégacomplexe de loisirs en région parisienne), #Garedunord (fortement utilisé pour la contestation du projet de rénovation de la gare parisienne) ou encore #NDDL (utilisé lors de la contestation du projet d’aménagement de l’aéroport de Notre Dame des Landes à côté de Nantes) ont sollicité de fortes adhésions. Une effervescence de tweets, la plupart du temps en contestation, expliquée par la dimension nationale des débats, mais aussi par le manque d’organisation d’espace de dialogue démocratiques concrets (concertations locales, débats publics…). Dans ces cas, l’utilisation des # permet le recensement des articles, blogs, contenus experts ou militants, et donc l’augmentation de leur visibilité. Une exposition médiatique qui permet à la fois de nourrir, voire d’orienter les débats, laissant la parole à toutes et tous, et permettant de fédérer plus efficacement divers acteurs autour d’une cause. Le résultat ? L’apparition d’une nouvelle pression numérique à destination des collectivités et des porteurs de projet privés qui peut parfois écraser en lui-même le projet.
Le hashtag, la mort du débat public urbain ?
Une chose est sûre, l’apparition du débat numérique offre une nouvelle forme de participation et de concertation dans la construction des territoires. Elle peut pallier au manque concret de démocratie directe dans la fabrique urbaine, souvent aux mains du privé. Dans certains cas, elle contribue même à l’amélioration de quartiers dégradés, permet la mise en place d’événements participant au maintien de l’intérêt général, favorise la sauvegarde des espaces verts via la création d’un # porteur. Elle peut également donner la possibilité aux acteurs de la fabrique de la ville, de connaître l’avis des habitants sur les projets, sur le territoire, et par conséquent d’une certaine manière, d’entrevoir ensemble l’amélioration de leur territoire.
Néanmoins, l’émergence de ces nouvelles démocraties numériques, notamment dans les débats liés à la fabrique urbaine, pose question : celle de l’accaparement de la visibilité médiatique par une seule voix commune, souvent en contestation. La liberté d’expression qu’offre Twitter est certes exceptionnelle, mais elle est à relativiser dans ce qu’elle produit : contrairement au débat public, alimenté par des expertises concrètes (connaissances des enjeux, gestions des temps de parole, véracité des arguments cités…), les débats et publications numériques ne reflètent bien souvent qu’une partie de la réalité, sont souvent porteurs de fausses informations et sont parfois totalement déconnectés des réalités locales. Une dérive qui peut modifier le sens des revendications (le #SaccageParis en est un bel exemple). La démocratie numérique offre également et rappelons-le, la parole à un groupe réduit de personnes, pas forcément représentatif des réalités locales.
À l’heure où l’on souhaite des villes plus concertées et plus en accord avec les besoins réels des habitants, ne serait-il pas dangereux de confier l’ensemble des clés de l’aménagement urbain aux raccourcis parfois bien simplistes d’un simple mot dièse ?