Les starchitectes sont-ils en voie d’extinction ?
La vision de l’architecte est-elle en train de connaître une grande mutation ? Le phénomène des starchitectes, vedettes de l’architecture dont les villes s’arrachaient les projets, semble en effet tourner une page. Fini les budgets faramineux pour des buildings “œuvre d’art”, les villes investissent désormais davantage dans une nouvelle génération d’architectes aux projets plus collaboratifs, moins centrés sur l’expression d’une personnalité et qui propose davantage un nouveau mode de vie. Comment se fera l’architecture de demain sur ce nouveau modèle ? Est-ce réellement la fin des starchitectes ? Et que cela présage-t-il pour les générations à venir ?
Une architecture pour faire “sensation” ?
À partir des années 80, on a vu l’explosion de la recherche d’une architecture dite de “sensation” dans les grandes villes du monde. Souvent cité comme l’exemple majeur, le Guggenheim à Bilbao de Frank Gehry est un parfait représentant de la starchitecture. Avec cette démarche, le but était de construire un bâtiment iconique, moderne, qui dénote avec le paysage et qui est associé à un grand nom de l’architecture dont la renommée marquera les esprits et permettra une nouvelle attractivité pour le quartier, ainsi que pour la ville toute entière.
Toutes les villes veulent alors leur starchitecte pour signer une réalisation inédite et ainsi entrer dans le palmarès des villes européennes reconnues ! Tel un trophée, il fallait un bâtiment qui soit reconnaissable, unique, ambitieux, dont tout le monde parle et qu’on associerait directement à la ville. Ainsi les starchitectes créent des structures monumentales, controversées, ultra modernes, déconstructivistes, qui attirent, interrogent, font débattre et donc deviennent iconiques.
L’origine des starchitectes peut remonter à Frank Lloyd Wright et des bâtiments comme le Guggenheim de New-York en 1959, mais c’est dans les années 80 qu’émerge toute une génération d’architectes dont les créations vont trancher avec le style général. Les projets se multiplient alors et on peut citer le centre Pompidou de Renzo Piano et Richard Rogers, la pyramide du Louvre Ieoh Ming Pei, le Gherkin de Londres par Norman Foster, etc.
Ces architectes sont aussi victimes de leur succès, leur starification n’est pas toujours appréciée. Frank Gehry a notamment expliqué qu’il ne se considérait pas comme tel et n’aimait pas ce qualificatif. Renié par ses porteurs, le terme “starchitecte” n’est pas un qualificatif qui plaît à tous, il sert surtout à définir les architectes qui ont reçu une forte médiatisation.
Une architecture à l’accès ?
La crise financière et la réduction de budget pour ce type de constructions monumentales, souvent très coûteuses, a considérablement participé à atténuer l’engouement provoqué par ces projets. Les villes ont été moins enclines à dépenser pour une architecture spectaculaire et de nombreux projets se sont retrouvés en suspens durant la période post-crise financière.
C’est aussi un changement d’approche architecturale qui s’est opéré, pour des visions moins post-modernistes, mouvement dont les starchitectes sont les figures emblématiques. Vivement critiquée aujourd’hui, cette architecture monumentale est vue comme détachée de son contexte, sans racines et source de gros investissements, devenant ainsi un risque financier dans une période de restrictions.
Souvent ces bâtiments reçoivent un accueil mitigé, voire sont très critiqués. La cause principale ? Leur rupture avec le lieu où ils prennent vie. À l’image de la phrase qu’aurait prononcée Rem Khoolas “fuck the context”, on préfère développer des villes géantes dont les bâtiments n’ont plus de lien avec le tissu urbain. Ainsi, on a vu pousser dans les villes une architecture spectaculaire, dépossédée du lieu, parfois irréelle, dont la forme et les textures pouvant donner des impressions d’immensité, de bug urbain, d’objets immenses.
Certains bâtiments ont aussi été plus problématiques que prévu par leur coût, leur entretien, le vieillissement, où une utilisation peu lisible… Des constructions sont discréditées par les nombreux dépassements de budgets, qui certes sont courants pour de grands projets, mais particulièrement conséquents et brutaux dans certains cas, comme par exemple, la philharmonie de Paris de Jean Nouvel qui a coûté trois fois son prix initial ou plusieurs projets de Santiago Calatrava ont eu des dépassements de budget et des retards très importants. Dans un contexte où les collectivités ont de moins en moins de moyens, de tels projets ne trouvent plus le succès d’antan.
De nombreuses villes ont par exemple tenté de reproduire l’effet du Guggenheim de Bilbao comme le MUCEM de Marseille, le Musée de Confluences de Lyon, où le Louvre-Lens, mais avec un relatif échec.
Vers de nouveaux besoins architecturaux
En parallèle, on constate la mise en avant d’une architecture plus locale, un fort intérêt pour la discrétion, des besoins écologiques et une approche en coût global qui répond à des restrictions économiques. Naît alors un intérêt grandissant pour de nouvelles formes et de nouveaux matériaux, plus naturels ou issus du recyclage. Il y a de moins en moins de reconnaissance pour les œuvres d’ingénierie spectaculaires qui ne correspondent plus aux critères actuels. Aujourd’hui, notamment dans les prix d’architecture, cette architecture spectaculaire est délaissée.
Ainsi, les prix d’architecture ont privilégié et récompensé des architectes ayant une vision plus locale, intime, discrète. De plus, les équipes sont aussi davantage mises en évidence. En effet, depuis les années 2010, le prix Pritzker, la plus haute distinction de l’architecture mondiale, récompense des architectes dont la carrière est souvent implantée localement, avec peu de réalisations en dehors des frontières.
En témoigne le prix remis en 2012 à Wang Shu, architecte chinois qui revendique un travail amateur et local, ou même plus récemment au trio espagnol RCR Arquitectes qui a réalisé la majorité de ses œuvres en Espagne et au défaut en France. Un localisme affirmé et récompensé, loin de l’architecture gigantesque et mondialiste qui a franchi toutes les frontières que l’on pouvait voir dans les prix des années 2000.
Aujourd’hui, les architectes récompensés revendiquent leur localisme, une valorisation de la proximité et de l’échelle humaine. Que soit de la part des jurys comme des lauréats, il y a une rupture avec le discours universel des décennies précédentes, l’influence locale est valorisée.
Les nouvelles manières de concevoir les projets sont aussi mises en avant. De l’architecture éphémère ou expérimentale aux matériaux plus simples, locaux, recyclés, ce sont des approches très différentes des grands projets architecturaux qui sont en train d’émerger. On peut notamment citer le fort développement de l’architecture éphémère ces dernières années avec la réutilisation de friches urbaines ou des projets comme Bellastock. Une architecture qui combine des préoccupations contemporaines, comme l’économie du partage, le recyclage, la participation citoyenne ou les problèmes de logements.
La starchitecture continue
Dans certaines grandes villes, les grands projets continuent pourtant de fleurir, voire se multiplient ! La crise financière étant moins prégnante, les investissements reprennent pour la compétition sans fin des projets spectaculaires. De nouvelles tours pour Manhattan fleurissent. Même à Paris, dans le quartier de la Défense ou autour du périphérique parisien de nombreux grands projets émergent, non pas sans certaines contestations comme la Tour Triangle de Herzog & de Meuron.
Dans les zones économiques en forte croissance, des projets faramineux voient encore le jour sous le trait d’architectes dont les noms seront mis en avant. Comme Le Corbusier ou Lloyd Wright en leur temps, une génération d’architectes stars et un mouvement architectural s’est créé et développé depuis les années 80. Si cette génération a vieilli et que les crises économiques ont pu réduire un temps les projets, on constate que l’attrait pour ces bâtiments se maintient. Des villes continuent à vouloir attirer des grands noms et construire des projets qui dénotent dans le paysage architectural mais à l’image des musées qui tentent de reproduire l’effet de Bilbao, peut-être ne correspondent-ils plus assez aux critères actuels souhaités par les habitants et dont les villes ainsi que la planète ont réellement besoin.
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Super article !